Larbi Ben M’hidi : l’homme au sourire de juste
Arezki Hatem – L’homme de conviction et de lutte pour l’émancipation de son peuple du joug colonial accueillit ses geôliers avec un large sourire, non pas un sourire de dédain pour ses cerbères impitoyables de la machine guerrière de la France, mais un sourire-message chargé de symbolique, une sorte de discours sibyllin, de mots subliminaux que les généraux de la quatrième puissance militaire de l’époque auront compris comme sa dernière salve de lutte, mais que ses compagnons de lutte auront saisi comme un appel à la continuité de la lutte révolutionnaire. Un message d’espoir que les combattants de l’ALN interceptèrent avec lucidité et courage : ne pas avoir peur, ne pas arborer une mine défaite, l’esprit perdu… devant ses oppresseurs, c’est leur dire que la mort d’un homme, une éminence grise soit-elle du mouvement révolutionnaire, est loin d’être le glas qui sonne la fin d’un combat, mais un énième coup de tambour sur le chemin de la lutte pour l’affranchissement du peuple algérien de la bride coloniale.
Larbi Ben M’hidi le militant exemplaire
Les premiers pas de Ben M’hidi sur le long et sinueux chemin du militantisme remontent aux débuts des années quarante à Biskra, où sa famille s’est installée. Une ville-berceau des premiers soubresauts du jeune militant engagé que fut Larbi Ben M’hidi. En adhérant d’abord au mouvement des Scouts musulmans algériens, une école de militantisme et un cadre de socialisation pour les jeunes Algériens. En somme, les premières tétées dont beaucoup de grands militants du mouvement national algérien goûtèrent le goût précoce de l’engagement pour la liberté.
Le tournant décisif dans l’engagement du jeune Larbi est pris en 1943 à l’occasion du retour sur le terrain de la lutte politique du Parti du peuple algérien (PPA) qui anime dans la ville des Ziban des conférences publiques à l’endroit de la jeunesse pour la mobiliser dans la lutte révolutionnaire.
«Ben M’hidi ne tardera pas à émerger pour devenir un des responsables du PPA. (…) Affable, toujours souriant, bien élevé, il attirait les plus réservés. Bon conférencier, il savait toucher les cordes sensibles, surtout celles des jeunes», note Si Hachemi Trodi, condisciple de Larbi Ben M’hidi au collège Lavigerie de Biskra et proche compagnon de lutte.
Les événements sanglants du 8 mai 1945 et le point de non-retour sur le chemin de la lutte armée
La fin de la Seconde Guerre mondiale et la capitulation allemande entonnèrent dans le ciel algérien un tonnerre d’espoir de la fin imminente et irréversible de la longue nuit coloniale. Mais vite, le peuple déchanta et l’espoir laissa la place à l’un des massacres que le peuple algérien n’a jamais connus jusque-là de la présence française en Algérie. Plus de 45 000 morts, des milliers de blessés, une désolation qui n’a d’égale que la ville de Berlin en ruine.
Le passage à l’action armée est devenu la seule voie qui permet au peuple algérien d’accéder à son indépendance et de surcroît arracher des mains du colonialisme français la terre algérienne, longtemps foulée par des pieds si lourds de haine et de racisme.
Larbi Ben M’hidi fut de ces voix qui réclamèrent le saut le plus prompt pour la lutte armée, d’où son activisme titanesque pour convaincre les récalcitrants de la nécessité urgente de passer aux armes, car le processus vital de la nation algérienne était menacé et risque d’emporter à jamais tout espoir de liberté. Ainsi, il sera l’un des premiers militants à intégrer l’Organisation spéciale (OS) à sa création.
«Il faut se préparer au retour de manivelle, au choc, pour ne pas être emporté par l’ouragan. Il faut préparer la résistance», met-il en garde ses proches. Car l’homme savait qu’une révolution ne pouvait se réaliser et aboutir à l’indépendance sans l’engagement de tous, chacun à sa manière et dans un sens de responsabilité très élevé, car en face : une grande puissance militaire et un colonialisme rompu aux manœuvres d’endiguement des mouvements révolutionnaires.
Larbi Ben M’hidi et la nuit de la Toussaint
Ben M’hidi s’est retrouvé vite par son activisme fécond comme l’un des premiers hommes à s’engager dans la lutte armée, en créant avec ses pairs (les six historiques) le CRUA, le Comité révolutionnaire de l’unité et de l’action, le premier organe organisationnel ayant présidé au lancement de la lutte armée. Il fut désigné comme responsable de l’Oranie, mais comme la direction d’Alger a été vite décapitée par la police française, le rappel de Ben M’hidi dans la capitale s’est vite imposé de lui-même, car l’homme était connu pour sa grande capacité d’organisation, son charisme et carrure de meneur d’hommes.
Abane-Ben M’hidi, les frères siamois du Congrès de la Soummam
Les débuts de la révolution furent difficiles, manquant lamentablement d’organisation politique capable de doter la lutte armée de sa lanterne politique, seule capable de la guider sur l’ardent chemin du combat diplomatique, un segment à ne pas négliger pour parachever le combat pour l’indépendance.
Les têtes pensantes de la révolution algérienne ont pensé à l’organisation d’un congrès dans le but d’assoir la lutte armée sur un socle solide : une organisation politico-militaire avec une organisation digne des grands mouvements révolutionnaires ayant précédé la révolution algérienne. Il est primordial de rappeler que la libération d’Abane Ramdane des geôles de la France contribua amplement à insuffler à la révolution un souffle salvateur, car le mouvement indépendantiste s’embourba dans une tenace vase de désorganisation.
Le courant passa vite entre Abane et Ben M’hidi qui partageaient une vision moderne et démocratique de la lutte révolutionnaire. Ils furent tous les deux les artisans des résolutions du Congrès de la Soummam, un modus operandi démocratique qui aurait mené le combat libérateur vers les rivages d’un Etat de droit si les embusqués de la dictature n’avaient pas orchestré un guet-apens contre la souveraineté du peuple algérien.
Aussaresses le criminel de guerre qui avoua l’exécution de Larbi Ben M’hidi
La version française de la mort de Ben M’hidi attribua cette dernière au suicide, mais personne n’avait cru à la thèse des autorités françaises, jusqu’à la publication des mémoires du général Aussaresses, l’un des officiers opérationnels à Alger, avouant avec un cynisme dépassant tout entendement sa responsabilité dans l’exécution de Ben M’hidi. Un crime d’Etat.
Larbi Ben M’hidi, le martyr au sourire du juste, est aujourd’hui célébré dans la pénombre de l’Algérie indépendante, alors que sa place doit être au firmament de la patrie, pour qu’à chaque regard vers le ciel, son sacrifice nous rappellera notre devoir de mémoire et de fidélité, fidélité à son combat.
Arezki Hatem
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