Retrait de la plainte contre Le Monde : le cataclysme n’a pas eu lieu !
Par Youcef Benzatat – Sans surprise, Bouteflika aurait donc retiré sa plainte contre le quotidien français Le Monde pour diffamation. Pour rappel, ce journal avait placardé sa photo en une aux côtés de celles d’autres chefs d’Etat incriminés d’évasion fiscale suite à l’affaire des Panama Papers.
Le retrait de cette plainte n’a pas échappé à l’opinion publique algérienne qui s’est exprimée sur la Toile de façon unanime et que l’on peut résumer comme suit : Bouteflika et le système qu’il représente n’avaient pas intérêt à ouvrir les hostilités contre ce journal. Parce que celui-ci est un organe officieux de l’Etat français. Entrer en conflit avec ce journal, c’est donc entrer indirectement en conflit avec l’Etat français. Autrement, ce conflit entre les deux Etats est improductif pour les affaires des uns et des autres, trop d’intérêts sont en jeu, il fallait donc stopper net les hostilités et revenir à de bons sentiments. Ce qui fait dire à l’opinion algérienne que cette attaque du journal Le Monde contre le pouvoir algérien était vouée dès le départ à subir l’effet d’un pétard mouillé qui ne devrait déboucher sur un quelconque cataclysme. Dans ce cas là, pourquoi donc le journal Le Monde s’est attaqué au pouvoir algérien en la personne du chef de l’Etat, Abdelaziz Bouteflika, sachant que cette affaire pouvait déboucher sur un cataclysme de révélations sur le vaste réseau de corruption que connaît l’Algérie et dont la France elle-même n’a pas les mains aussi propres dans cette affaire ? La question reste entière !
C’est donc dans l’ordre des choses que les médias relais des deux rives de la Méditerranée se sont empressés à saluer la voix de la «sagesse», celle d’un Président appelant à «l’apaisement», malgré qu’il soit humilié par ce journal qui insinuait que ce dernier fait partie des chefs d’Etat voyous et corrompus pour être rendu coupable d’évasion fiscale. Un message fort adressé à l’opinion encore permissive et une confirmation réciproque du compromis autour du silence sur la suite à donner à ce retrait de plainte. Les commentaires de ces médias sur cette affaire devraient en rester là.
Cela s’entend surtout pour l’image du système de pouvoir algérien qui n’avait d’autre choix que la résilience pour empêcher le cataclysme que cette affaire aurait pu déclencher. Déposer plainte était nécessaire dans un premier temps, comme pour convaincre la population d’une innocence présumée du chef de l’Etat. Mais allez jusqu’au bout du procès, c’est une toute autre affaire. Le Monde peut disposer par un simple coup de fil de la liste de tous les comptes bancaires et des affaires détenues en France par les membres du sérail du pouvoir algérien, y compris du premier cercle parmi les amis et les plus proches de la famille Bouteflika, directement ou bien à travers des prête-noms, s’il ne l’a pas déjà entre les mains ! Une opinion récurrente sur les réseaux sociaux algériens, sur laquelle il y a unanimité, c’est que des fortunes mal acquises par le premier cercle du sérail du pouvoir sont détenues ou investies en France et dans plusieurs autres paradis fiscaux à travers le monde. Une multitude d’exemples détaillés circulent sur les réseaux sociaux. Certaines affaires avaient même été médiatisées en Algérie.
Voilà l’explication sans langue de bois véhiculée par les réseaux sociaux algériens sur cette affaire qui a poussé le pouvoir algérien à déposer plainte contre ce journal dans un premier temps, pour reculer sur la pointe des pieds au moment de vérité. Car cela relève du suicide collectif de vouloir affronter le principal média français face à la justice de ce pays autour d’une affaire de corruption, avec toutes les conséquences que cela pourrait produire.
La défense aurait beau insister sur le fait que le retrait de la plainte était dicté par une nécessité d’apaisement, malgré un dossier «bien ficelé et que le procès était gagné d’avance». Pas si sûr, tant que le procès n’a pas eu lieu et qu’un verdict impartial ne soit produit. De quoi certifier comme par un lapsus révélateur que les verdicts de la justice algérienne sont connus d’avance, parfois décidés sur un coup de fil «d’en haut». En France, nous avons affaire à une justice indépendante, que même la raison d’Etat est parfois sans aucune utilité.
Tout compte fait, l’opinion algérienne retient de cette affaire l’essentiel, à savoir que ce retrait est une invitation à l’apaisement des médias français lors du traitement de sujets sensibles concernant l’Algérie.
Y. B.
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