Réunion du G5 Sahel à Bamako : le pari français pour isoler l’Algérie
Le nouveau président français, Emmanuel Macron, veut sortir la France de l’impasse malienne. Pour ce faire, il consacre deux voyages au Mali en un laps de temps très court et deux entretiens téléphoniques au président Bouteflika, dont le premier était menaçant et le second (daté de deux jours) encore plus pernicieux.
Selon des observateurs avertis, le président français, qui était très attendu entre autres dossiers sur la question du Mali et la situation dans le Sahel en général, s’apprête à rallumer le brasier. L’injonction faite à l’Algérie sur une question qui nécessite une discussion de vive voix dénote de desseins inavoués de la nouvelle administration française.
Pour rappel, le président français avait annoncé, le 19 mai dernier, avoir eu un entretien téléphonique avec son homologue algérien, le premier échange entre les deux hommes depuis l’élection de Macron le 7 mai 2017. Selon les médias français, Macron a affirmé avoir informé Bouteflika de son déplacement au Mali lors de cet entretien : «Je lui ai fait part (…) de mon souhait de pouvoir en parler avec l’Algérie de manière très franche.» Emmanuel Macron a également précisé que rien ne lui permettait de confirmer le soutien présumé d’Alger à Iyad Ag-Ghali, chef du mouvement djihadiste malien Ansar Dine. Ces indiscrétions rapportées par la presse française à l’époque avaient provoqué un grave malaise entre les deux capitales. Puis le président français s’est entretenu par téléphone le 28 juin avec son homologue algérien, selon l’agence de presse Reuters. Une source proche de l’entourage du locataire de l’Elysée a expliqué à Reuters que la situation sécuritaire au Mali et les négociations de paix avaient été au centre de l’échange entre les deux chefs d’Etat. Le président français a notamment formulé des «proposition concrètes» visant à relancer le processus de paix au Mali, selon la source citée par Reuters et qui a préféré demeurer anonyme. La source n’a pas précisé les détails de ces propositions.
Toute cette agitation se produit à la veille de la rencontre des chefs d’Etat des pays du G5 Sahel (Mauritanie, Mali, Burkina Faso, Niger et Tchad) qui se tiendra demain à Bamako. Ces présidents africains (dont la plupart sont installés par Paris à l’instar deux du Mali, du Niger et du Burkina Faso) doivent notamment discuter de la mise en place d’une force conjointe antiterroriste pour contrer une activité terroriste très active ces derniers mois dans la région sahélo-saharienne.
Opération Barkhane : un permis de tuer
Notons qu’en 2014, la France a été derrière la création du G5 Sahel (Mauritanie, Burkina Faso, Mali, Niger, Tchad) sans l’Algérie. A Paris, l’absence de l’Algérie ne suscite aucun regret, même si personne n’osera le dire ouvertement. Bien au contraire, on y voit une excellente occasion de contrer l’influence militaire et stratégique algérienne sur la bande sahélo-saharienne, en vidant notamment de sa substance le Comité d’état-major opérationnel conjoint liant les pays de la sous-région sahélienne et l’Algérie, dont le commandement est basé à Tamanrasset.
Mieux encore ! Les autorités françaises vont accompagner la montée en puissance du volet sécuritaire du G5 Sahel en apportant une aide directe à la future école de guerre de Nouakchott, qui devrait à terme devenir un collège interarmes ouvert aux autres forces de défense et de sécurité (police, gendarmerie, douanes, gardes nationales, agents des eaux et forêts).
Sur le dossier malien, le nouveau président français a donné, jusqu’à présent, tous les gages d’une parfaite continuité avec la politique menée par François Hollande. En tant que chef des armées, Emmanuel Macron hérite d’un dispositif militaire – l’opération Barkhane – qui couvre cinq pays du Sahel et mobilise depuis trois ans plus de 4 000 soldats français au nom de la lutte antiterroriste. Mais pour quel résultat et jusqu’à quand ?
Selon un rapport de la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH), le Mali a atteint «un niveau d’insécurité sans précédent» et la situation ne s’améliore guère. Les «385 attaques qui ont coûté la vie à au moins 332 personnes, dont 207 civils, dans le nord et le centre du pays» en 2016, ainsi que les «621 cas de torture, enlèvements, détentions arbitraires et extorsions de tous types» répertoriés par l’ONG montrent que «les actes de violence augmentent au lieu de diminuer ». Au fil des mois, l’opération Barkhane est devenue un permis de tuer, disent les observateurs. Et son principal artisan, Jean-Yves Le Drian, est devenu le ministre des Affaires étrangères d’Emanuel Macron.
Concernant l’Algérie, il convient de rappeler qu’elle a pourtant, fourni pendant longtemps du carburant à l’armée malienne pour l’aider à assurer ses patrouilles dans les zones d’insécurité. Le pays a également formé au moins deux bataillons antiterroristes au Niger, voisin auquel il a promis de l’aide pour la construction des casernes destinées aux forces de défense et de sécurité sur la frontière commune. La poursuite de cette coopération est souhaitée par ces pays.
L’Algérie est et reste le parrain de l’accord conclu en mai et juin 2015 entre Bamako, des mouvements armés et la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA). L’Accord d’Alger prévoit entre autres la mise en place d’autorités intérimaires dans le nord du Mali, de patrouilles mixtes et l’application du programme de désarmement des ex-rebelles.
Par conséquent, le G5 Sahel ne pourra finalement pas faire l’économie d’une coopération avec l’Algérie, la puissance militaire et stratégique régionale. La France ne pourra pas éternellement faire croire à ces pays qu’elle sera toujours à leurs côtés dans leur combat contre le terrorisme dès lors que la présence même de ses forces armées sur le sol sahélien alimente le ressentiment, voire la soif de les combattre militairement.
Ramdane Yacine
Comment (25)