Pourquoi la France a perdu sa guerre contre le terrorisme au Mali
Dans une tribune publiée il y a une semaine dans le quotidien français Libération, Denia Chebli, doctorante à Paris-I Panthéon-Sorbonne et membre du programme européen Social Dynamics of Civil Wars, dresse un bilan peu reluisant de l’intervention française au Mali. Denia Chebli soutient d’emblée que l’objectif assigné par François Hollande en 2013 à l’opération Serval (qui deviendra l’opération Barkhane en août 2014) – à savoir «arrêter la progression des groupes terroristes» et «aider le Mali à recouvrer son intégrité territoriale et sa souveraineté» – n’a pas été atteint.
La chercheure indique à ce propos, dans sa tribune intitulée «L’échec de l’intervention française au Mali», que depuis la signature de l’accord pour la paix et la réconciliation, en juin 2015, la situation sécuritaire du Mali n’a cessé de se dégrader. «Les groupes armés signataires (GAS) n’ont pas été désarmés, ce qui explique la prolifération du banditisme. Les violences intercommunautaires se sont multipliées, impliquant des communautés restées jusque-là en dehors du conflit», constate Denia Chebli, expliquant que «l’Etat malien n’a qu’une présence limitée, y compris dans les grandes villes, et les groupes armés prolifèrent, faisant régner l’insécurité à quelques kilomètres de la capitale».
Denia Chebli fait également observer que les forces internationales, initialement déployées pour stabiliser le Nord, font face à une augmentation d’actes violents dans le centre du Mali. La situation, soutient-elle, fait que peu de réfugiés acceptent de rentrer au Mali malgré l’appui financier au retour volontaire mis en place par le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR).
Plus grave, Denia Chebli fait remarquer que «les trois principaux mouvements islamistes (Mujao, Ansar Eddine, Aqmi) se sont renforcés avant de s’allier au sein du Groupe pour le soutien de l’islam et des musulmans. Seule force nationale unie, ils gagnent du terrain dans les zones rurales et progressent sur un plan politique et militaire».
Comment cela a-t-il pu se produire ? La chercheure met en cause la manière avec laquelle le travail de renseignement pour identifier les terroristes et leurs caches d’armes a été mené. Ce travail a suivi l’opération qui a permis de désorganiser militairement les mouvements islamistes. Elle indique qu’en s’appuyant sur la délation des habitants, l’armée française a «encouragé les règlements de compte», les fausses accusations et les trahisons». Bref, il a y eu une profusion de délations intéressées qui a complètement faussé le travail de renseignement.
Ce chaos sécuritaire, explique Denia Chebli, a fini par provoquer une nostalgie de l’occupation islamiste chez certains. Elle indique à ce propos que «la gouvernance islamiste a marqué les esprits, et pas toujours de façon négative. Eau et électricité gratuites, distributions alimentaires hebdomadaires, gratuité des soins à l’hôpital et des médicaments, financement des mariages religieux et suppression des taxes et des impôts». «Porteurs d’un projet de contre-Etat, les islamistes sont à peu de chose près les seuls à proposer, à travers le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans, une idéologie qui dépasse les clivages intercommunautaires avec à sa tête un Touareg, un Arabe et un Peul. En zone rurale, ils constituent la seule force financière et sécuritaire crédible. Grâce à leurs activités liées au narcotrafic ou au terrorisme, ils bénéficient de revenus considérables», fait observer la chercheure française, pour qui «cette montée des islamistes signale l’échec sans appel de la stratégie militaire actuelle». «Au moment où le gouvernement remet à plat l’ensemble des dossiers de défense, il est plus qu’urgent de réorienter radicalement la politique française au Mali, sauf à connaître le même échec qu’en Afghanistan», avertit Denia Chebli.
Sadek Sahraoui
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