Les incantations sécuritaires
Par Mesloub Khider – La bourgeoisie algérienne et les plumitifs à son service tremblent sur leurs bases. Conscients de la gravité de l’actuelle crise économique, préoccupés par les explosions sociales inévitables, perturbés par la tournure chaotique de la situation en Algérie, angoissés par la perspective de leur engloutissement sous les gravats d’une guerre civile ruineuse et interminable, ils mobilisent toutes leurs énergies pour exorciser leur peur par des discours lénifiants sur la sécurité. Par sécurité, il faut entendre la sécurité de leurs biens, de leurs multiples comptes en banque, de leurs nombreuses luxueuses résidences, en un mot de leurs richesses.
En résumé, la perpétuation de leur domination dans la sécurité de leur douce existence. De toute évidence, la crainte que leur inspire la dégradation de la situation économique les empêche de dormir. Et pour éviter le cauchemar de leur disparition sous les coups des soulèvements populaires, ils persistent à nous bercer d’illusions pour nous empêcher de rêver d’une autre Algérie affranchie de leur domination. D’aspirer à une Algérie enfin débarrassée de toutes les injustices sociales, de l’exploitation, de l’oppression.
La petite bourgeoisie intellectuelle et commerciale, inquiète elle aussi pour sa rentière situation, se dépense sans compter pour distiller ses appels à la préservation de la paix sociale. Qu’il faut traduire par sa tranquillité sociale. D’où sa propension frénétique à occuper les rédactions de tous les médias pour débiter les mêmes analyses moralisatrices sur le destin harmonieux de tous les Algériens.
La cohésion sociale, voilà sa consigne adressée à tous les Algériens tentés par la remise en cause du régime dictatorial dominant malmené par la crise. Par cohésion sociale, elle entend le maintien du statu quo, la préservation de ses privilèges, la perpétuation de ce système mafieux honni. Même au prix de sacrifices uniquement consentis par les masses laborieuses et populaires algériennes, appelées à accepter la dégradation de leurs conditions d’existence dans l’intérêt du capital algérien.
Après l’opium du peuple (la montée voulue de l’islamisme) appelé à la rescousse pour damer le pion aux forces progressistes en pleine effervescence dans les années 1970 et 1980, en vue de contrer ainsi leur ascension, voilà venu le temps de l’union sacrée nationale pour souder une Algérie dans la tourmente. Si la propagation de l’islamisme a réussi à endiguer les mouvements sociaux et de révoltes durant un quart de siècle sur l’autel de presque 300 000 morts, l’appel à l’union nationale algérienne ne réussira pas cette fois-ci à entraîner l’adhésion des masses opprimées à ce projet de dévoiement au profit des classes dominantes. Leurs exhortations appelant le peuple à la tempérance, à la modération de ses revendications, à l’acceptation de la baisse de son niveau de vie, au respect de l’ordre (établi), trahissent la volonté de cette classe parasitaire de faire payer la crise aux seules couches laborieuses. Leurs sermons prétendument pédagogiques sur la sécurité, destinés au peuple, tendent ainsi uniquement à désamorcer toute velléité d’actions des travailleurs et des chômeurs algériens pour défendre leurs droits. Ainsi, incités à mettre en sourdine leurs revendications salariales et sociales, les masses travailleuses algériennes sont en réalité invitées à se résigner.
Leurs leçons de morale, leurs prêches sur la sécurité à préserver, sur le respect de chacun, la politesse, le civisme, l’éducation traduisent une réelle inquiétude de cette classe dominante quant à son avenir. Et visent à nous enchaîner, par davantage de résignation, de soumission, d’asservissement, à leur inique et tyrannique société en crise. La crise n’est pas une fatalité. Et la résignation ne doit pas être une finalité. Nous devons instaurer une autre société. Une société fondée sur la justice sociale et l’égalité. Et seule la résistance aux attaques antisociales et la lutte pour une transformation révolutionnaire de l’Algérie devront guider notre conscience et notre combat.
En vérité, l’insécurité (sociale, économique, existentielle) est déjà le lot quotidien de la majorité des Algériens. L’insécurité, nous la subissons depuis le berceau jusqu’à la tombe. Nous la tétons au sein angoissé et famélique de notre mère. Nous la sentons aux cris enragés par le désespoir de notre père. Nous l’entendons dans chaque voix plaintive de notre entourage. Nous la percevons dans chaque regard inquiet par l’absence d’avenir de chaque badaud. Nous l’observons sur chaque silhouette au dos courbé par le fardeau d’une existence emplie de tourments. Nous la devinons dans la démarche résignée de l’enfant déjà en proie à la vacuité d’une vie sans joie. Nous la vivons dans chaque famille pour qui les fins de mois difficiles durent trois semaines. Nous la croisons dans chaque quartier populaire où les petites mafias sévissent sans vergogne, à l’abri des policiers concentrés dans les résidences huppées pour protéger la fine et délicate population de la promiscuité inopportune des hordes sauvages. Nous la portons avec nous-mêmes dans notre sommeil, agité par les cauchemars qui nous poursuivent même la nuit. Nous la retrouvons même au réveil pour poursuivre son travail de destruction tout le jour. Voilà la vraie insécurité : une vie de dépit, subie sans répit. Une vie de reclus, au milieu de gens repus. Une vie emplie de détresses, dans une Algérie pourvue pourtant de richesses.
Pas de sécurité sans justice sociale, sans égalité sociale.
M. K.
Comment (2)