Rebrab et les aciéries de Piombino : étrange retournement de situation
Par Mourad R. – Présentée à l’époque par l’ancien président du Conseil, Matteo Renzi, comme étant une «opération stratégique», marquant le début d’une nouvelle ère de coopération partagée entre Alger et Rome, la vente des aciéries ex-Lucchini à l’industriel Issad Rebrab semble s’acheminer vers un repositionnement de la part du groupe algérien.
Ce dossier ayant pris trop de temps, les autorités italiennes chargées du volet des IDE, à commencer par le ministre Carlo Calenda, ne cachent plus leur irritation et semblent de plus en plus enclines à relancer la position des Indiens de Jindal, qui avaient été écartés, il y a trois ans, au profit de l’offre de Cevital.
Etrange retournement de situation car, faut-il le rappeler, le gouvernement de Matteo Renzi en 2014 avait pesé de tout son poids pour favoriser Issad Rebrab au détriment de Jindal dans ce qui était présenté comme l’ultime tentative pour sauvegarder l’acier made in Italy.
De fait, et à distance de trois ans, force est de constater que l’engouement initial de Cevital pour la structure toscane est en perte de vitesse (la bureaucratie ayant eu raison de l’enthousiasme initial). C’est du moins ce que laisse entendre la presse italienne, qui précise que tant les politiques que les syndicats ont envie de croire qu’avec les Indiens de Jindal un plan de sauvetage des aciéries de Piombino, moins ambitieux mais plus réaliste et concret, permettra de préserver ce fleuron industriel local.
A cet effet, la presse locale multiplie les articles et les dossiers décrivant Jindal comme étant «le chevalier blanc» qui sauvera ce secteur du marasme actuel et saura trouver avec les autorités italiennes un nouvel accord plus avantageux, mais également plus contraignant, à même de préserver les emplois, à quelques mois des élections législatives d’avril 2018.
Des sources bien informées indiqueraient, en outre, qu’Issad Rebrab négocierait, en ce moment, sa sortie et aurait déjà fixé le prix, 120 millions d’euros, avec une perte sèche de 60 millions, lui qui s’était engagé, dans son offre, à en investir huit fois plus. Les pourparlers avec Jindal sont d’ordre strictement économique. Or, le gouvernement italien est pressé et observe avec agacement l’évolution lente et confuse du dossier; les pressions des syndicats et des organismes locaux ont fait dire à des proches du ministre du Développement économique, Carlo Calenda, et au commissaire extraordinaire, Pietro Nardi, que l’heure est grave et qu’une décision s’imposait…
Ce dernier, en particulier, reproche au groupe algérien de ne s’être pas acquitté des obligations énoncées dans l’addendum signé en juin dernier, qui prorogeait les délais du redémarrage des aciéries. Le ministre Calenda a été encore plus explicite, en soulignant que le moment est venu de rechercher des solutions alternatives. En effet, selon les termes de cet accord complémentaire, durant ce laps de temps, Aferpi, la filiale italienne du groupe Cevital, aurait dû redémarrer l’activité et s’atteler à trouver un partenaire stratégique, avant le mois d’octobre… Un blocage, nous dit-on, qui impose aux décideurs italiens de choisir entre deux options : la plus probable porterait sur la vente totale du secteur sidérurgique de la part de Cevital. Selon plusieurs sources, des tractations sont en cours avec les dirigeants de Jindal, qui, par ailleurs, ont déjà rencontré le maire de Piombino, Massimo Giuliani, et le président de la Région de Toscane, Enrico Rossi. L’écueil à surmonter tourne autour du prix et, sur ce point précisément, le gouvernement italien, fort des clauses de l’addendum signé en juin dernier, prévoyant la résiliation du contrat, en cas de non-respect des termes et des clauses, pourrait exercer une forte pression sur le groupe algérien, lui imposant des conditions moins avantageuses.
Mardi prochain, le ministre Calenda rencontrera l’administrateur délégué de Cevital, Saïd Benikene, et convoquera par la suite une rencontre avec les syndicats qui, du coup, se mettent à espérer «après plusieurs mois au cours desquels nous avons attiré l’attention sur les problèmes de Piombino, le gouvernement semble enfin prendre acte de l’impasse actuelle et serait sur le point de changer de feuille de route», nous confie un dirigeant de Fiom, le principal interlocuteur syndical.
Une chose est sûre, si les négociations entre Aferpi et Jindal n’aboutissent à aucun accord, le commissaire extraordinaire Pietro Nardi, sur la base de l’addendum cité ci-haut, sera en droit de destituer Rebrab de ses droits ; les aciéries repasseraient dès lors entre les mains de l’administration extraordinaire et la négociation repartirait de zéro, soit celle d’avant décembre 2014, avec Jindal cette fois-ci comme interlocuteur privilégié.
Une issue, il faut en convenir, bien en deçà des perspectives prometteuses de l’«acquisition stratégique», fortement voulue par Matteo Renzi et des synergies plurielles qui intéressaient tant l’Italie que l’Algérie.
M. R.
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