De la médiocrité de l’être à la puissance de l’avoir
Par Mesloub Khider – A l’ère de l’argent roi, n’importe quel gueux est assuré de se hisser aux cimes du pouvoir par la grâce de son compte bancaire. N’importe quel roturier est capable d’accéder aux palais de la puissance politique grâce à ses liasses de billets. De se faire respecter, admirer, aduler. Quand l’argent se saisit de l’être, l’être se mue en son agent vil et servile. Quand tout s’achète, même l’honneur et la dignité, c’en est fini de l’humanité.
Méditons ce texte de jeunesse de Karl Marx : «Ce que je peux m’approprier grâce à l’argent, ce que je peux payer, c’est-à-dire ce que l’argent peut acheter, je le suis moi-même, moi le possesseur de l’argent. Telle est la force de l’argent, telle est ma force. Mes qualités et la puissance de mon être sont les qualités de l’argent ; elles sont à moi, son possesseur. Ce que je suis, et ce que je puis, n’est donc nullement déterminé par mon individualité. Je suis laid, mais je puis m’acheter la plus belle femme ; aussi ne suis-je pas laid, car l’effet de la laideur, sa force rebutante, est annulée par l’argent. Je suis, en tant qu’individu, un estropié, mais l’argent me procure vingt-quatre pattes ; je ne suis donc pas estropié ; je suis un homme mauvais, malhonnête, sans scrupule, stupide : mais l’argent est vénéré, aussi le suis-je de même, moi qui en possède.
L’argent est le bien suprême, aussi son possesseur est-il bon ; que l’argent m’épargne la peine d’être malhonnête, et on me croira honnête ; je manque d’esprit, mais l’argent étant l’esprit réel de toute chose, comment son possesseur pourrait-il être un sot ? De plus, il peut s’acheter des gens d’esprit, et celui qui en est le maître n’est-il pas plus spirituel que ses acquisitions ? Moi qui, grâce à mon argent, suis capable d’obtenir tout ce qu’un cœur humain désire, n’ai-je pas en moi tous les pouvoirs humains ? Mon argent ne transforme-t-il pas toutes mes impuissances en leur contraire ?
Si l’argent est le lien qui m’unit à la vie humaine, qui unit à moi la société et m’unit à la nature et à l’homme, l’argent n’est-il pas le lien de tous les liens ? Ne peut-il pas nouer et dénouer tous les liens ? N’est-il pas, de la sorte, l’instrument de division universel ? Vrai moyen d’union, vraie force chimique de la société, il est aussi la vraie monnaie divisionnaire.» (K. Marx, Manuscrits de 1844.)
M. K.
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