Tirs groupés contre Rachid Boudjedra : le débat intellectuel tourne au pugilat
Par R. Mahmoudi – Après Yasmina Khadra, c’est au tour de Kamel Daoud de réagir au dernier livre de Rachid Boudjedra dans lequel il les accuse, eux et d’autres écrivains encore, comme Boualem Sansal, Salim Bachi ou Wassila Tamzali, d’être des «contrebandiers de l’Histoire», et d’avoir accepté, par opportunisme ou par naïveté, de jouer le rôle d’écrivains-alibis manipulés par un quarteron d’intellectuels français.
La polémique ne fait que commencer et promet de prendre une dimension inédite avec cette tendance à la judiciarisation du débat intellectuel. Car, dans sa lettre publiée par le site Huffpost Maghreb, l’écrivain et chroniqueur Kamel Daoud annonce avoir déposé plainte contre Rachid Boudjedra, et aussi contre son éditeur, pour exiger réparation et excuses publiques. Pourtant, Boudjedra ne fait que répliquer, dans un style corrosif et rageur, certes, mais qui est celui des pamphlétaires, à des écrits et, surtout, à des attitudes et des déclarations publiques tout à fait assumées et qui n’en sont pas moins controversées.
Boudjedra dit avoir écrit son «brûlot» pour crier sa colère contre ceux qui participent à la falsification de l’Histoire soit par leur œuvre littéraire ou artistique, soit par des déclarations qu’il juge infâmantes ou révisionnistes. Il explique que ce qui l’a décidé à produire ce pamphlet, c’est la publication et la présentation en Algérie d’un livre faisant l’apologie d’un collaborateur notoire, Bouaziz Bengaga.
C’est de là qu’est partie l’idée de régler leurs comptes à ce magma d’écrivains et d’intellectuels qui, selon Boudjedra, étaient allés trop loin dans la compromission avec le «lobby sioniste» et se complaisaient dans ce rôle de négationniste et d’apologétique de la colonisation. La critique la plus virulente était réservée à Boualem Sansal mais il n’épargne pas Yasmina Khadra dont il reconnaît pourtant la valeur de grand écrivain. Il lui reproche de s’être laissé entraîner sur ce terrain d’apologie des bienfaits de la colonisation dans son roman Ce que le jour doit à la nuit qui est, selon les termes de Boudjedra, «l’expression d’un fantasme algérien que Frantz Fanon a bien analysé» : «Le colonisé est souvent orphelin de son colon et, de ce fait, il va le sublimer, lui trouver toutes les qualités humaines et extrahumaines».
Dans la catégorie de «contrebandiers de l’Histoire», Boudjedra cite également Kamel Daoud à qui il reproche notamment d’avoir fait d’Albert Camus «un grand ami des Arabes» et «plus algérien que n’importe quel Algérien», tout en déclarant son indifférence pour les Palestiniens, les Arabes et les musulmans, «lui qui, balance Boudjedra, a été très jeune membre du GIA !» Est-ce une extrapolation de la part de Boudjedra, étant donné que Daoud lui-même a avoué avoir été, dans sa jeunesse, embrigadé par l’idéologie islamiste ?
R. M.
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