Abdallah Zekri à Algeriepatriotique : «Le procès Merah ravive les tensions»
Pour le président de l’Observatoire contre l’islamophobie, le procès du frère de Mohamed Merah a créé un malaise dans la société française qui a donné à l’affaire une dimension exceptionnelle. Abdallah Zekri affirme, dans cette interview à Algeriepatriotique, que le frère de l’assassin abattu par la police en raison de «dysfonctionnements au sein des services de renseignements» français, «n’est pas comptable des tueries» commises par le terroriste.
Algeriepatriotique : Le verdict dans l’affaire du frère du terroriste Mohamed Merah semble avoir créé un malaise dans la société française. Quelle analyse faite-vous de ce procès hyper-médiatisé ?
Abdallah Zekri : Ce procès restera dans les annales de la justice française parce qu’il a été celui d’un terroriste mort confondu avec son frère. Or, ce n’étaient pas les actes de Mohamed Merah qui étaient jugés mais bien ceux dont était accusé son frère Abdelkader. Je comprends la douleur des parties civiles auxquelles je témoigne ma solidarité, mais ce transfert de culpabilité a créé un malaise qui a donné au procès une dimension exceptionnelle. Mohamed Merah est bien mort et son frère n’est pas comptable de ses tueries. L’accusé avait droit à une défense comme n’importe quel justiciable et il n’y avait pas à s’offusquer de le voir assisté par des avocats. Le réquisitoire du procureur a été sévère, mais le tribunal ne l’a pas suivi sur les faits de complicité et a démontré qu’il n’a pas succombé à la dictature de l’émotion. Il a rendu un verdict qui fera l’objet d’un appel. Laissons la justice suivre son cours.
Ce procès est un indice sur une certaine dichotomie qui s’installe de plus en plus entre les musulmans de France stigmatisés et le reste de la société française. Pensez-vous qu’une confrontation intercommunautaire est possible dans les années à venir ?
Il est vrai que ce procès, hors norme, a créé des tensions dans la société française ; rien que le fait de menacer de mort les avocats de la défense qui ont été traités par leurs confrères d’avocats lâches, indignes, etc., montre bien dans quel climat de violence la Cour d’assises a siégé. Dans un pays démocratique et de liberté, chaque individu a le droit à sa défense.
Après la Seconde Guerre mondiale, on a bien permis aux nazis qui ont exterminé des juifs, d’avoir des défenseurs, sans compter d’autres criminels de guerre, sans que cela ne pose problème aux familles des victimes.
Mohamed Merah a commis des crimes horribles, il a été abattu par les forces de l’ordre et une fois décédé, toute action en justice aurait dû être éteinte. Malheureusement, le fantôme du terroriste a plané en permanence sur la salle d’audience et au sein du palais de justice. Mohamed Merah aurait pu être mis hors d’état de nuire car il était fiché «S», mais il y a eu un dysfonctionnement au sein des services de renseignements.
La Cour d’assises où siégeait des magistrats professionnels, a décidé de ne pas retenir la complicité d’assassinat et a condamné Abdelkader Merah à 20 ans, refusant de suivre les réquisitions de l’avocat général. Un deuxième procès va avoir lieu en fin d’année 2018 qui va encore raviver les tensions et faire revivre à nouveau un cauchemar aux familles des victimes. Là aussi, certaines familles sont contre et d’autres pour ce second procès, sans compter l’appel du Parquet.
Je ne pense pas que ce procès puisse créer une confrontation entre les musulmans de France et le reste de la société française, car les actes ignobles de Mohamed Merah ont été dénoncés et condamnés par l’ensemble des musulmans de France, comme tous les actes de terrorisme d’ailleurs. Il n’appartient pas du tout aux seuls Français de confession musulmane de dénoncer les actes de terrorisme, car nous ne sommes ni coupables ni responsables des actions que commettent des fanatiques au nom de l’islam. Combattre et dénoncer le terrorisme concerne toute la communauté nationale.
L’enterrement de Mohamed Merah avait suscité une vive polémique…
Il y a 5 ans, j’ai permis l’enterrement à Toulouse de Mohamed Merah, contre l’avis défavorable du maire de cette commune, car il s’agissait d’un terroriste français né en France et la loi est claire à ce sujet. J’ai également soutenu le président de l’APC en Algérie qui avait refusé de recevoir le corps de Merah pour être enterré dans sa commune. Pour moi, il fallait l’enterrer rapidement pour arrêter la polémique qui consistait à parler d’un criminel et lui assurer ainsi une sorte de propagande.
L’extrême-droite redouble de férocité dans ses campagnes xénophobes et islamophobes. Pensez-vous que les Français – et, au-delà, les Occidentaux – appartenant à cette obédience fanatique et chauvine pourraient passer à l’acte contre les musulmans ?
L’organisation terroriste Daech, en commettant des attentats en France et en Europe, a toujours cru que les groupes racistes d’extrême-droite et identitaires pourraient se venger en tuant des musulmans pour créer un affrontement général qui mènerait à une guerre civile, mais cette opération n’a pas eu l’effet escompté.
Les groupes d’extrême droite et Daech sont deux mouvements qui se nourrissent l’un et l’autre par leurs discours fanatiques ; un intégrisme qui nourrit un autre intégrisme.
Quelles solutions préconiseriez-vous pour éviter que la haine raciale s’exacerbe davantage ?
Concernant les solutions, elles sont simples : continuer à faire passer des messages de paix de l’islam. Dire qu’il y a plus de 5 millions de Français de confession musulmane et que ceux qui ont basculé dans le terrorisme ou la violence ne représentent qu’une poignée d’individus. Que les musulmans sont également victimes de ce terrorisme aveugle qui n’épargne personne, pour preuve, les attentats du Bataclan et de Nice où des dizaines de Français de confession musulmane furent tués.
Pensez-vous que les musulmans, premières victimes du terrorisme islamiste, agissent suffisamment pour défendre et faire connaître le vrai islam, celui de la paix, de la cohabitation et de la tolérance ?
Certains responsables musulmans agissent suffisamment et défendent avec force l’islam avec ses valeurs de paix, de tolérance et dans le cadre de la cohabitation, nous avons mis en place des commissions du «vivre-ensemble» avec les responsables des autres cultes pour échanger et effectuer un travail commun de mobilisation.
Il faut maintenant que les médias donnent la parole aux vrais représentants de l’islam et non à des imams auto-proclamés ou à des «Arabes de service» qui ont des discours flatteurs.
Propos recueillis par Karim Bouali
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