Jacob Cohen à Algeriepatriotique : «Mohammed VI méprise son peuple»

Jacob Cohen
Jacob Cohen. D. R.

Algeriepatriotique : Quinze personnes sont décédées et d’autres blessées dans une distribution d’aide alimentaire à Essaouira. Ce tragique incident contredit l’image flamboyante d’un Maroc prospère que tentent de renvoyer les médias marocains. Quelle est la situation sociale réellement au Maroc ?

Jacob Cohen : Depuis Hassan II, le Maroc a bénéficié d’une grande mansuétude de la classe politique et des médias français, qui chantent les louanges d’un régime tolérant qui avance vers la démocratie, grâce à un lobbying fait de cadeaux et de pressions. Résidences de luxe, cadeaux prestigieux. On a ainsi créé la légende du «roi des pauvres». Mohammed VI contrôle tous les rouages de l’économie marocaine avec les bénéfices qui en découlent. Il y a eu, certes, l’apparition d’une classe moyenne dans les villes, mais l’écart entre les riches et les pauvres n’a jamais été aussi profond. Plus de la moitié de la population vit misérablement. L’éducation, la justice et la santé sont dans un état lamentable. Certaines scènes dans les zones déshéritées sont dignes du servage. On assiste aussi à l’accaparement de milliers d’hectares par les puissants du régime, contraignant des hordes de campagnards à l’exode. Cette réalité est dissimulée derrière des festivités de toutes sortes et d’un nationalisme outrancier au bénéfice de la monarchie.

Ce triste événement a eu lieu alors que les Rifains ne décolèrent pas. Pensez-vous que ces deux faits pourraient faire tache d’huile et provoquer un soulèvement généralisé au Maroc ?

Je ne le crois pas. Le régime bénéficie d’un soutien international inconditionnel. Le pays est quadrillé par des milliers d’agents de l’Intérieur et par des imams à la solde du régime. Le soulèvement du Rif reste cantonné à la région et la monarchie joue habilement sur son aspect «sécessionniste». L’événement d’Essaouira est déjà récupéré par le limogeage d’un colonel de gendarmerie, sans vraiment s’interroger sur les causes scandaleuses qui l’ont provoqué. Les grands médias, les patrons, les partis politiques, la moyenne bourgeoisie ont intérêt à maintenir cette stabilité. Et en dernier recours, il reste la répression.

D’aucuns affirment que les citoyens marocains ignorent tout des richesses qui leur reviennent de droit et qui sont spoliées par la famille alaouite. Comment cela est-il possible ? La peur ? L’analphabétisme ? La soumission ? Les croyances ?

Aujourd’hui, la télévision et l’internet rentrent presque partout au Maroc. Il est difficile d’imaginer que les citoyens marocains ignorent l’accaparement des richesses. Il suffit de regarder les voitures de luxe et les lieux de divertissement dignes de Miami. J’ai entendu des gens simples le mentionner. Une expression populaire fait du Maroc «la ferme du roi». Mais comment réagir ? La majorité des Marocains sont pris dans l’engrenage infernal de s’en sortir, de se saigner pour éduquer leurs enfants, ou pour se soigner, ou pour éviter de tomber dans les mailles arbitraires de la police et de la justice. On a peur pour le peu qu’on possède. On connaît la férocité des répressions. Et puis, il y a le matraquage omniprésent sur le roi, la servilité des courtisans qui se courbent jusqu’à terre pour lui baiser la main. Une machinerie incroyable. Et un appareil sécuritaire tentaculaire prêt à sévir.

Des migrants marocains sont réduits à l’esclavage en Libye et attendent depuis des mois une intervention de leur gouvernement qui fait la sourde oreille. Pourquoi le Makhzen ne réagit-il pas, selon vous ?

Le Makhzen a d’autres priorités que de s’occuper de citoyens misérables et paumés. Un tel régime a pour axiome, entre autres, le mépris du petit peuple. L’obsession des responsables se résume à : comment s’enrichir un peu plus, comment étendre son influence, comment attirer l’attention du palais et devancer ses desiderata ? Alors, des migrants marocains…

Le Maroc mène un lobbying intense pour infiltrer l’UA et la Cédéao et placer ses pions à l’Unesco et à l’IMA avec le soutien actif de la France. Que cherche Rabat à travers ce positionnement diplomatique ?

Depuis 1975 et la «marche verte» envahissant «pacifiquement» le Sahara Occidental, la diplomatie marocaine est paralysée par ce problème insoluble. Impossible de vaincre par les urnes ou les armes. Un recul menacerait le régime. Sans compter que c’est un levier que l’Occident utilise pour obtenir la docilité du pays. La nouvelle diplomatie marocaine tente de sortir de ce piège, allant jusqu’à chercher une neutralité bienveillante avec Moscou ou se présentant comme le champion d’un islam modéré en formant des centaines d’imams «compatibles» pour l’Afrique et l’Europe. C’est une diplomatie dynamique et intéressante, mais insuffisante pour lui fournir la sortie politique souhaitée.

De nombreux analystes mettent en garde contre la montée de l’extrémisme religieux au Maroc. A quoi est due cette exacerbation du fanatisme dans ce pays connu pour son islam modéré et tolérant ?

La montée du religieux au Maroc a commencé avec Hassan II qui avait ainsi pensé éliminer les contestataires de gauche. L’éducation a été purgée des thèmes qui auraient pu pousser à la réflexion politique ou philosophique. L’arabisation a fait sortir tout un pan de la culture occidentale du bagage intellectuel des jeunes. La corruption et la gabegie ont poussé la jeunesse à se tourner vers des solutions de morale et de justice. Les événements internationaux ont renforcé cette tendance. Il y a certainement aussi un sentiment grandissant de frustration de ne pas pouvoir accéder à cette société de consommation libérale qui éclate de partout. Je n’écarte pas l’hypothèse d’un désir populaire profond de récupérer une authenticité et une dignité nationales.

Y a-t-il une menace d’implosion au Maroc qui serait provoquée par les trois éléments déclencheurs que sont l’intégrisme, la misère et la poussée indépendantiste ?

Je ne crois pas à une menace d’implosion, sauf si le gendarme du monde décide de le faire avec un «Daech» local, mais je ne vois pas pourquoi il le ferait. Sur l’intégrisme, le roi a finement joué pour le vider de son potentiel révolutionnaire. En domestiquant le PJD (parti «islamiste») et en en faisant un rouage du système monarchique, le roi a canalisé le gros des revendications islamistes. Il reste le grand groupe «Al Adl wa Lihsan» militant et structuré, mais il est étroitement surveillé, infiltré et harcelé, et il ne veut pas se lancer dans la politique. Sur le plan religieux, le roi reste la grande figure du «commandeur des croyants» dont les médias et les imams relaient le message. La misère a déjà donné lieu à des soulèvements populaires noyés dans le sang. Quant à la poussée indépendantiste, elle reste marginale, excentrée et sans relais réels dans le pays lorsqu’elle se revendique comme telle.

Interview réalisée par Mohamed El-Ghazi

Comment (7)

    BabEIOuedAchouhadas
    23 novembre 2017 - 0 h 48 min

    Le Maroc ? Le seul pays au monde qui trouve les moyens de continuer à creuser même en ayant touché le fonds. Dixit Fellag.

    Algérie Authentique
    22 novembre 2017 - 22 h 57 min

    cet interview est plutôt optimiste pour l’avenir de la monarchie d’escobar , c’est quand même catastrophique! espérons que le gendarme du monde change, que les zétazuniens s’écroulent en Syrie, amen!

    Sprinkler
    22 novembre 2017 - 20 h 33 min

    Ce qu’on retient de cette excellente interview c’est que ce  » peuple de sujets  » n’a ni la volonté ni la force de s’affranchir des fers de son monarque. Qu’il est condamné au servage. Voilà un chapelet de vérités que l’Ane de Troie de la France en Afrique – dit  » Commandeur des croyants  » – devrait égrainer avant de braire ses hallucinations du Grand Maroc…

    karimdz
    22 novembre 2017 - 20 h 30 min

    Tel père tel fils, sa médiocrité mimi 6 ressemble de plus en plus à son père hassassin 2, narcissique, orgueilleux, dépensier à outrance, assassin, sans scrupules, et sioniste qui plus est.

    Le makhzen investit et dépense l argent du peuple dans des complexes touristiques et des infrastructures dédiées aux seuls touristes, pendant que le peuple crève de faim.

    Il ne mérite que le sort du roi louis 16.

    Moskosdz
    22 novembre 2017 - 17 h 12 min

    Le dictateur,sa majesté le roi du kif,ses conseillers sionistes et ses généraux barons de drogue ont induit le peuple Marocain en erreur en lui faisant croire que c’est en dénigrant l’Algérie,ses martyrs et ses institutions que le Maroc serait un eldorado,malheureusement le fossé qu’il a tenté de nous creuser est tombé lui même dedans et ce n’est qu’un début.

    Felfel Har
    22 novembre 2017 - 16 h 30 min

    Quand ce sont des Algeriens qui critiquent Mu… 6 …, tout devient affaire d’etat, mais quand c’est un francais qui le declare publiquement, c’est le silence radio! La presse marocaine, unanime, se tait et attend des ordres qui ne viendront de nulle part. Meme des francais de souche commencent a douter des choix faits par leurs presidents depuis des lustres. Ce soutien, exprime de maniere inconditionnelle au Maroc, s’averera contre-productif au fil des ans. Leur pays a simplement mise sur un canasson boiteux qui n’ira pas loin. S’en prendre a l’Algerie pour faire avancer leur bourricot risque de leur faire perdre pas mal d’avantages. On n’insulte pas impunement le futur.
    PS: Je m’excuse pour les accents, le clavier dont je dispose ne me permet pas de les mettre la ou il faut.

    Rayes Al Bahriya
    22 novembre 2017 - 16 h 15 min

    Du centralisme monarchico fanatique religieux.
    Un peuple docile qui aime la misère et la
    Prosternation au pseudo amir el moumnin.
    À quoi bon d’avoir un vicaire de DIEU en terre …
    Sur terre ….
    C’est un corps argileux et mortuaire.
    Liberez vous!…
    Dieu est mort…
    Dieu des arabes …biensure .
    Y a que dyeux aveugles dans des corps epaves.
    Triste peuple.
    Les peuples ont des gouvernements qu’ils meritent.

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