Rapatriement des Marocains prisonniers en Libye : le bluff de Mohammed VI
Par Sadek Sahraoui – Pour tenter de faire croire que son pays est préoccupé par le sort des migrants africains tombés entre les mains de trafiquants d’êtres humains libyens, le Maroc a proposé cette semaine des avions pour aider à leur transport et à leur rapatriement dans leur pays d’origine. Il a fait sa généreuse proposition lundi lors d’une réunion de l’Union africaine.
La décision de lancer cette opération fait suite au dernier sommet Union africaine-Union européenne, tenu les 29 et 30 novembre à Abidjan. Selon la Commission de l’Union africaine, la première phase de cette opération de rapatriement concerne environ 4.000 migrants africains retenus dans des camps situés près de Tripoli, une zone contrôlée par le gouvernement reconnu par la communauté internationale.
Pour arriver à cette première opération, les dirigeants du continent savent qu’ils doivent mobiliser rapidement des moyens financiers avec le soutien des partenaires européens. Pour l’instant, seul le Rwanda a exprimé sa volonté d’accueillir jusqu’à 30 000 migrants qui ne souhaitent pas retourner dans leurs pays d’origine.
Le Maroc respectera-t-il sa promesse de fournir à l’Union africaine l’aide logistique dont elle a besoin pour évacuer les migrants africains qui se trouvent en situation de détresse en Libye ? Difficile d’y croire, avancent de nombreux observateurs. Avant de jouer au bon samaritain, Mohammed VI gagnerait d’abord, disent-ils, à rapatrier ses très nombreux concitoyens qui sont restés bloqués depuis des lustres dans l’ex-Jamahiriya. Qui peut vraiment prendre pour crédible le discours du Maroc sur l’entraide et la solidarité entre Africains, alors qu’il ne se soucie même pas du sort de ses compatriotes. Non, la sortie de «M6» ne peut être encore qu’un ignoble coup de pub juste destiné à ravaler la face africaine décrépie du royaume du Maroc.
Il est à rappeler, à ce propos, que des dizaines de familles de migrants marocains disparus ou retenus en Libye ont manifesté le 27 novembre dernier devant le ministère des Affaires étrangères à Rabat pour demander aux autorités de rapatrier leurs proches. Les familles de ces migrants clandestins, pour la plupart originaires de Khouribga, Beni Mellal et Fqih Bensalah – des villes du centre du pays –, s’efforcent depuis plusieurs semaines de mobiliser l’opinion pour pousser les autorités à intervenir. Près de 700 Marocains seraient actuellement retenus contre leur gré en Libye.
La semaine dernière, le gouvernement marocain a annoncé la création d’un «comité de suivi» pour «piloter le retour des Marocains bloqués en Libye» dans «des conditions qui préservent leur sécurité». Mais, depuis, rien de concret n’a été fait. Les familles se disent persuadées que cette initiative n’est que de la poudre aux yeux. Mohammed VI a visiblement mieux à faire, comme voyager et compter son argent. Cette séquence prouve, en tout cas, qu’il se contrefiche de ses sujets.
En plein chaos depuis le renversement par l’Otan en 2011 du régime de Mouammar Kadhafi, la Libye est devenue une plaque tournante du transit de migrants africains illégaux cherchant à gagner l’Europe. Le 14 novembre, un documentaire de CNN a démontré l’existence de ventes d’esclaves près de Tripoli, indignant le monde entier.
Selon l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), 15 000 migrants croupissent actuellement dans des centres de rétention officieusement contrôlés par le Gouvernement d’union nationale libyen (GNA) et des milices loyales au GNA. Des milliers d’autres migrants sont emprisonnés dans des centres en dehors de tout contrôle, que ce soit des autorités libyennes ou des organisations internationales. Au total, quelque 3 800 migrants africains en Libye doivent être rapatriés d’urgence, selon le président de la Commission de l’Union africaine, Moussa Faki Mahamat, soulignant que le nombre total de migrants en Libye se situe entre 400 000 et 700 000.
S. S.
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