Contribution – Le citoyen gracié et la nudité de la femme d’argile
Par Youcef Benzatat – La barbe hirsute, le qamis au vent, le burin et le marteau dans les mains, le citoyen gracié part à l’assaut de la nudité de la femme d’argile, devant une foule médusée, sans voix ni voie. Accomplissant à la fontaine Aïn El-Fouara de Sétif le destin qui est le sien. Celui du citoyen pardonné, réconcilié et lavé de ses crimes et de ses abominations contre des captives, en chair celles-là, dans les montagnes et les forêts des maquis de l’abomination.
«Fou !» disent les badauds de la plume desséchée, soldats de l’apocalypse et des désastres sans nom. Lui est persuadé d’être dans son rôle, celui du bon et fidèle citoyen gracié. Le bon musulman aux vertus viriles, sans modération contre le martyre de la gente féminine. Le code de la famille comme caution. La soumission à la soumission comme double peine aux récalcitrants. Parce qu’il y a d’abord la soumission au créateur, à laquelle il faut additionner la soumission à cette dernière, à coups de lois et de constantes nationales, constituées par la Loi fondamentale, par laquelle le citoyen gracié s’érige comme homme nouveau, la tête bien pleine de prêches que confectionnent les laboratoires expérimentaux pour le formatage des citoyens graciés en puissance.
Dans ce monde bigot, il est interdit d’interdire la construction en fractile de mosquées accolées les unes aux autres le long des rues et des places, sans modération et sans relâche. Les conférences déviantes, c’est niet. Les bibliothèques de quartier, c’est inutile. Les librairies, les cinémas, les théâtres et tout lieu de culture universelle est perversion et déviance.
C’est haram (illicite).
Cheikh Chemsou, le garde-fou du trône, ne les voit pas d’un bon œil. Que fait donc cette femme d’argile toute nue, se dressant là devant les passants et les passantes, exhibant ses formes aux regards pudiques et innocents du citoyen gracié ? Quelle impudence ! Faut la buriner, comme à la maison sa propre femme ! Et puis, c’est chirk. Le citoyen gracié au marteau et au burin est dans son droit à vouloir abattre cette offense à la création divine. Cette audace de vouloir rivaliser avec son pouvoir créateur. Tout au plus la couvrir, s’indigne cheikh Chemsou après coup, par un avant-goût après l’assaut du fou.
Le Daech gracié est en marche. Comme le fut celui de Palmyre et de Bâmiyân. Mais il ne faut pas se leurrer et il n’y a pas de quoi s’alarmer. La qaîdisation, la talibanisation et la daechisation du citoyen gracié n’est pas envisageable au royaume des prêches de service. Les millions de kilomètres carrés de mosquées sont sous contrôle des laboratoires graciés et les potentiels débordements ne sont que mirages. Tout au plus, les millions de citoyens graciés auront suffisamment d’espaces conviviaux pour faire d’interminables siestes, qui les tiendront éloignés des préoccupations comptables des entrailles de la terre qui irriguent les palais de marbre et la luxuriance du royaume des satrapes.
Et dans leur oisiveté, ils sont indiqués à mater tout citoyen non gracié, principalement par le harcèlement des non-jeûneurs et de toute autre transgression qui viendrait menacer l’équilibre et la stabilité du royaume.
Y. B.
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