De quoi Idir est-il le nom ?
Par Al-Hanif – Les réactions épidermiques autour de ce fabuleux musicien et chanteur ne sont au fond que le révélateur de quelque chose de plus profond.
Idir étant devenu, de par sa célébrité, incontournable sur la scène musicale mondiale, il lui est hélas demandé, en annexant sa vie personnelle et privée, de nourrir le débat sur «l’identité algérienne». Quelle que soit notre perception intime de l’Autre, arrêtons de l’assigner à résidence identitaire en guettant tel ou tel signe de conformité ou d’éloignement d’une norme qui serait commune et qui définirait le vrai du faux Algérien.
Qu’à travers sa mise en avant de l’universalité de la musique, de sa fille et de l’univers féminin, il ait pu heurter la pulsion misogyne et réactionnaire de pans entiers de l’Algérie profonde, cela devrait être interprété positivement comme le témoignage d’une Algérie diverse et multiculturelle.
La stratégie d’ériger par populisme une partie du peuple – travaillée par l’intégrisme religieux ou une vision nationaliste castratrice – en censeur qui vilipende et définit «le bien du peuple» confine à accepter et valider l’ostracisme.
Si Idir ou même Khaled contribuent au «bonheur national brut», ils devraient en être remerciés sans que l’on s’attache à scruter tel ou tel événement de leur vie privée pour les discréditer ou en tirer argument.
Nous devons tous profiter des bons moments de la vie ! Et le retour d’Idir en est un, qui renseigne sur notre capacité à canaliser ces torrents d’émotion en énergie positive et à regarder le vaste monde sans ornières idéologiques. Edward Said les qualifia de «menottes de l’esprit» qui empêchent la pensée autonome et promeuvent la servitude volontaire de la pensée réflexe et collectivement orientée.
Idir est au fond l’objet d’un faux procès que je nommerai l’illusion de l’ubiquité.
Comment demander à quelqu’un construit par l’expérience d’un exil de plus de quarante ans, d’être l’interface d’une société algérienne qui a tant muté ? Plus sérieusement, il me semble qu’il faut interroger ces formes de schizophrénie qui entendent conjuguer en Algérie le corpus et les préoccupations d’une temporalité médiévale et placer les débats dans l’espace contemporain.
Internet est peut-être le totem de la mondialisation et l’outil des échanges, mais un bref séjour en Algérie vous essore devant ces formulations réitératives au vernis liturgique et à la pulsion de l’«entre-soi». L’espace politique – ce n’est faire injure à personne et cela est vrai partout dans le monde – accouche d’un monde désenchanté.
Pour en revenir à Idir, découvert pour ma part à travers Brigitte Fontaine et Arezki, il participe du réenchantement du monde. Au fond, sa personne et sa complexité culturelle d’homme universel qui entend exister pleinement à travers son art créent un malaise existentiel chez tous ceux qui entendent enfermer l’identité dans une conscience obtuse de soi.
Idir se dit «terrien» et membre d’une société planétaire tout en étant également défini par ses origines algériennes et leurs cultures autochtones, enfin réintégrées dans le patrimoine national. Chanter en amazigh n’était pas anodin à l’époque où il le fit !
Dans un monde qui prône la suprématie du masculin et qui veut astreindre à des règles informées par des références médiévales qui saturent le champ du discours, Idir est dissonance bienvenue et îlot de résistance contre une pensée totalitaire qui entend grignoter chaque jour davantage le périmètre des consciences privées.
S’enfermer dans l’exclusion et décréter assignation permanente à culture dominante est la marque d’un totalitarisme qui n’a comme exutoire que la violence.
A l’inverse, une culture ouverte et faisant abstraction de la pulsion populiste travaille en douceur à la disparition de la conflictualité.
Notre indépendance fut un accouchement douloureux et glorieux. Et c’est au nom de cette mémoire que nous disons «merci Idir» et formulons le souhait de tenir à distance les prosélytismes nocifs qui importent l’enfer au nom du paradis à venir.
A. H.
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