Contribution – Emmanuel Macron : le président de la promesse non tenue
Par Mrizek Sahraoui – Huit mois après son investiture à la tête de l’Etat français, Emmanuel Macron n’a pas de quoi pavoiser. Les réformes mises en œuvre tambour battant n’ont pas donné à court terme les résultats escomptés, lesquels sont mitigés et en deçà de (ses) promesses électorales, accusent ses adversaires.
L’on s’attendait à une (deuxième) Renaissance, la France sous l’ère du huitième président de la Ve République, dont on fête le 60e anniversaire cette année, semble se complaire dans le statu quo. Sur le chômage, l’Europe – l’un des thèmes qui l’ont fait élire –, l’asile et l’immigration, la redistribution des riches, la stigmatisation d’une certaine catégorie de la population, les rapports entre la police et les banlieues qu’il avait promis d’apaiser une fois élu, tout comme l’enlisement des troupes au Sahel, la question syrienne ou encore sur le climat, un sujet sur lequel il s’est révélé incapable de fédérer les dirigeants des pays les plus pollueurs sur un compromis autour du réchauffement de la planète, le Président français n’a pas, en tout cas pour le moment, apporté les solutions attendues de lui. En revanche, Emmanuel Macron a excellé dans la communication en multipliant sommet sur sommet et a réussi le jeu d’équilibriste qui le fait sortir, à chaque fois, gagnant.
«Jusqu’à quand ?» s’interrogent ses détracteurs. Ces derniers reprochent, en effet, au Président ses multiples annonces non suivies d’actes qui devaient normalement traduire un lendemain meilleur. Ils le soupçonnent également d’avoir dézingué tous les courants politiques français à seule fin d’en être l’unique représentant. Hormis Jean-Luc Mélenchon de la France Insoumise dont l’on entend encore la voix, les autres mouvements, notamment le Parti Socialiste, Les Républicains ou encore le Front national sont inaudibles, atomisés depuis l’élection présidentielle de mai dernier.
Quadruple jeu
En effet, Emmanuel Macron est à la fois socialiste quand il se met à défendre les plus précaires ; libéral de droite par le détricotage du code du travail [117 nouvelles mesures entrent en vigueur dès le 01 janvier], et puis «Président des riches», l’a-t-on accusé, lorsqu’il a encensé «les premiers de cordée», ces nantis qu’il n’a pas manqué d’arroser de ristournes fiscales conséquentes, en leur supprimant au passage l’impôt sur la fortune. Mais aussi ultra-libéral quand il lui est reproché de s’attaquer aux chômeurs et non pas au chômage. Plus grave encore, il est, pour d’aucuns, d’extrême droite au regard des nouvelles lois sur l’asile et l’immigration, [depuis toujours rêvées par le Front national et en passe d’être mises en œuvre par Emmanuel Macron], lesquelles atteignent un cap que même Nicolas Sarkozy, en son temps, n’avait pas pu franchir.
Contrairement à ses prédécesseurs qui n’eurent point l’heur de plaire à tout le monde, paradoxalement, Emmanuel Macron, lui, tout lui sourit. Majoritairement, les Français sont satisfaits de son action, alors même que personne ne prétend avoir senti un quelconque changement dans sa propre situation. Vu de l’étranger, il incarne cette nouvelle vague de responsables politiques jeunes et dynamiques dont certains homologues, dans nombre de pays, de l’ombre leur est fait.
Après avoir littéralement laminé les autres partis traditionnels par un débauchage systématique de tous les opportunistes de tout bord et à la tête d’un mouvement dénommé «En Marche !», lors de la campagne puis mû en «République en Marche !», à la suite de sa victoire du 7 mai dernier, Emmanuel se présente comme un thaumaturge, sauveur du pays et au même temps tutélaire autoproclamé de la sauvegarde de la planète, mais sans résultats concrets sur les deux tableaux.
La difficulté de réduire le chômage et (bientôt) le dossier Corse
A l’intérieur, rien ne semble accréditer le satisfecit dont lui et (son) gouvernement se prévalent. Pour preuve, nombre de ses promesses électorales demeurent au stade de la formulation et celles mises en place à un rythme accéléré n’ont pas pour le moment produit les résultats escomptés. Le chômage, principale préoccupation des Français, n’a pas baissé. Faute de solution miracle de nature à résorber l’inactivité de pas moins de près de 10% des actifs, le gouvernement s’attelle à contrôler davantage les chômeurs sans pour autant donner là encore de la visibilité aux nouvelles réformes qu’il dit avoir mis en œuvre en matière d’emploi. Les moyens humains et financiers supplémentaires, promis afin de permettre un redéploiement à bon escient de Pôle-Emploi, le service de l’Etat en charge des demandeurs d’emploi, ne sont pas au rendez-vous, regrettent ses farouches opposants qui dénoncent une stigmatisation des chômeurs.
Par ailleurs, le locataire de l’Elysée aura fort à faire au sujet de l’épineux dossier Corse, une région dont il faudra déployer beaucoup d’imagination pour décourager les velléités indépendantistes des élus locaux qui réclament ouvertement un statut propre à ce territoire insulaire. La question est de savoir s’il procède(ra) de la même manière que le gouvernement espagnol à l’égard des Catalans ou se soumettra-t-il aux exigences des Corses, déterminés, eux, à modifier la Constitution française, même si les armes se sont tues et sont enterrées dans le massif de Cargèse, fief d’Yvan Colona, l’assassin du préfet Erignac incarcéré en métropole, dont le président de la collectivité, Jean-Guy Talamoni, réclame le transfèrement sur l’île le jour même de son installation, le 2 janvier, à la tête de l’Assemblée nouvellement élue.
L’Europe cette utopie et l’Algérie ce partenaire qui…
La cartographie de la montée désormais inexorable des mouvements nationalistes européens n’en finit pas de s’amplifier. C’est notamment le cas en Allemagne où les partis nationalistes Pegida (Européens patriotes contre l’islamisation de l’Occident) et AFD (Alternative pour l’Allemagne) ont mis en difficulté la chancelière Angela Merkel lors des dernières élections. Visiblement décomplexé sur la question des migrants, un élu d’un parti allié à la chancelière Angela Merkel a parlé, samedi 6 janvier, de «solution définitive de la question migratoire». En Autriche, le Parti de la liberté (Fpö) ouvertement anti-immigration, occupe des ministères régaliens. En Pologne ou encore en Hongrie, les langues se sont déliées depuis un moment déjà. La poussée de l’extrême droite en Europe – même si celle-ci est pour l’instant atone en France – atteste de l’échec cuisant de la construction européenne, celle en faveur de laquelle Macron n’avait de cesse de vouloir œuvrer. Tout comme il s’était engagé à œuvrer à résoudre le conflit au Sahel. Un conflit dans lequel la France s’est embourbée et avec lequel Emmanuel Macron n’est pas près d’en finir, pour avoir notamment ignoré (un partenaire) l’Algérie et ses nombreuses années d’expérience en matière de lutte contre le terrorisme, «une lutte qui n’est pas achevée», a déclaré, le 3 janvier dernier, le Président français lors de ses vœux au corps diplomatique. Du coup, l’opération Barkhane s’éternise.
Détruire pour mieux reconstruire
Même avec une légère reprise économique, estimée à 1,7% du PIB au premier trimestre 2018 par l’Insee, les entreprises françaises peinent à recruter. Le commerce extérieur de marchandises de la France a enregistré un déficit, observé en octobre 2017, de moins de 5 milliards d’euros. Autre signe inquiétant, l’Inde devrait «piquer» à la France sa place de puissance économique mondiale, dès cette année. Pour avoir été banquier pendant longtemps, Emmanuel Macron a fini par faire de l’Economie même quand il fait de la politique.
Emmanuel Macron s’inspire, ont fait remarquer certains analystes, du concept de disruption, une méthode largement répandue dans le monde des affaires qui consiste à rompre, comme il est clairement apparu d’usage chez le Président français, avec les schémas traditionnels pour (tout) rebâtir… A l’image du jupitérien dans le cas d’espèce.
Cependant, huit mois après son investiture, onques n’a-t-on vu un président de la Ve République se réjouir d’un tel bilan assez peu reluisant tel que lui.
M. S. (Paris)
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