Contribution – Pourquoi le gendarme martyr de Trèbes n’est pas un héros
Par Mesloub Khider – «Malheureux le pays qui a besoin de héros.» (Bertolt Brecht).
La France a été encore une fois le théâtre de scènes d’horreur. Le même scénario s’est encore répété. On prend les mêmes acteurs pour reproduire la même tragique pièce au dénouement toujours aussi sanglant. Un terroriste islamiste radicalisé marocain. Un Etat français engagé dans de multiples conflits meurtriers aux quatre coins du monde. Et une population civile française prise en otage, assistant passivement à l’explosion de sa vie sociale, économique et existentielle perpétrée par son Etat décadent, mué en gendarme du monde au grand bénéfice de son industrie de l’armement, pour soutenir une économie en crise.
Ainsi, en dépit de mesures sécuritaires tentaculaires et totalitaires censées protéger la population française des attaques terroristes, la France subit de plein fouet régulièrement les assauts des guerriers djihadistes enfouis en son sein ; cette cinquième colonne du djihadisme tapie dans le giron de la République laïque française.
De toute évidence, les gouvernements successifs français se sont révélés impuissants à protéger leur population du terrorisme. Et, de manière récurrente, au lendemain de chaque attentat, l’Etat français, au lieu de réviser sa politique interventionniste impérialiste, au contraire, s’enhardit et annonce l’intensification de ses interventions militaires sur les champs de guerre déjà largement anéantis et détruits par ses bombardements réguliers. Tout se passe comme si les attentats terroristes lui servaient de prétextes bénis pour justifier ses politiques impérialistes tous azimuts. Tout comme il a besoin de ces massacres perpétrés en France pour blinder son Etat défaillant économiquement et discrédité politiquement.
En effet, par cette énième mobilisation effrénée d’union nationale, le gouvernement tente de détourner l’attention des masses populaires confrontées à des attaques antisociales sans précédent. Au moment des grandes manifestations amorcées ces derniers jours pour résister à la remise en cause des acquis sociaux, cet attentat semble tomber à point nommé pour délégitimer le mouvement social par une désaffection des travailleurs susceptibles d’entrer en lutte, par l’érosion de l’adhésion de la population laborieuse sensible au combat mené par les grévistes contre les mesures d’austérité.
Grâce à ce nouvel attentat, la population française est appelée à communier en faveur de la nation outragée, brisée, martyrisée, mais libérée de toute entrave à poursuivre ses guerres impérialistes et sa guerre antisociale. Somme toute, en quête de légitimité internationale et de soutien national, l’Etat français recourt à toutes les manipulations machiavéliques pour justifier sa politique impérialiste. Même au prix du sacrifice d’un de ses officiers de la gendarmerie. Ainsi, il n’hésite pas à se saisir de cette opportunité pour ériger la mort de ce colonel en épopée héroïque. De transfigurer cet acte en héroïsme.
Or, malheureusement, le meurtre de ce gendarme n’a rien d’héroïque. Pour un militaire, il n’a pas été la hauteur de sa mission. Il a même failli à son devoir et à sa vocation de combattant. En effet, ce pauvre gendarme n’est pas mort en héros comme le proclament tous les officiels français, falsificateurs intéressés de la vérité. Si l’on se réfère à la définition du terme héros, cette mort s’apparente à un martyre. Et nullement à un acte héroïque. Selon la définition des différents dictionnaires, le héros est «celui qui se distingue par une valeur extraordinaire ou des succès éclatants à la guerre». Le héros est celui qui semble avoir dépassé les limites de la condition humaine par son courage et ses actions. C’est la conception de l’héroïsme. Le héros va devenir par ses prouesses l’incarnation des valeurs morales supérieures, le parangon du combat héroïque.
L’héroïsme est à la fois ce qui fait le héros et ce que fait le héros. Ceci, selon que l’on
place l’héroïsme avant ou après le héros. Soit un acte héroïque transforme un homme en héros, l’héroïsme fait le héros. Soit le héros agit de manière héroïque, l’héroïsme est ce que fait le héros, autrement dit, il est déjà héros et n’a plus qu’à réaliser son être comme dans les morales antiques. Dans les deux cas, l’héroïsme consiste en attitudes, choix et actes de nature supérieure, exceptionnelle. Il s’agit de hauts faits, de coups d’éclat qui prouvent ou révèlent la grandeur. Ces hauts faits peuvent être guerriers : le héros accepte un combat surhumain. Il affronte l’ennemi avec courage, intelligence, loyauté et emporte une victoire exceptionnelle. Et non emporté par une mort certaine, signe d’un esprit défaitiste, mentalité étrangère au véritable héros.
Enfin, l’héroïsme sert de nobles valeurs et non de viles et criminelles entreprises impérialistes quoique déguisées en interventions humanitaires ou justifiées au nom de la lutte contre le terrorisme. En l’espèce, le gendarme a brillé par son irresponsabilité de s’être livré pieds et poings liés à son bourreau. Et a fini par être occis sous le couteau «sacrificateur» et «purificateur» du soldat de Daech.
Paradoxalement, le religieux, en l’espèce l’islamiste marocain, élevé dans l’adoration de l’islam censé contenir et dispenser un enseignement spirituel empli d’amour, s’est mué en meurtrier terroriste. Tandis que le militaire, en l’espèce le colonel français, formé par une institution spécialisée dans la préparation de la guerre aux moyens d’un apprentissage de techniques de combat hautement développées, s’est métamorphosé en adepte de la sagesse amoureux de la non-violence, réduit à se livrer en victime expiatoire à ce jeune délinquant shooté à l’opium du peuple.
Son acte ne relève pas de l’héroïsme. Mais assurément du martyre. Il a élevé la martyrologie en principe de combat, la mort en ultime justice de la vie. A contrario, le héros combat au nom de la vie, de la mort des injustices.
C’eût été un héros s’il avait neutralisé le terroriste tout en sauvegardant sa vie et celle des otages, malheureusement assassinés par cet islamiste fanatisé et hypnotisé par sa marocaine nourriture cocaïnisée. Mais la France décadente, engagée dans de multiples conflits militaires qui n’ont rien d’héroïques, a besoin de se forger des héros à son image ; celle d’une France affaiblie, falsifiée, disqualifiée.
En vérité, ce brave gendarme est mort davantage en chrétien qu’en soldat. D’ailleurs, il devait se marier prochainement à l’église. Son amour des autres, son respect de la vie et de l’opinion d’autrui, son refus de l’affrontement, l’ont précipité dans l’arène des suppliciés, dépecé par une vulgaire bête déguisée en humain. Par sa naïveté toute française, il s’est offert comme un agneau au poignard de l’islamiste marocain avide de sang mécréant.
Pour reprendre le titre d’un film célèbre, les héros sont fatigués, blasés, désabusés et même abusés par les rusés de l’histoire installés à la tête d’un système économique usé. Demain, la France impérialiste va encore une fois rendre un hommage national à ce brave homme tombé sur le champ de ruines de ce pays, dans le dessein de mobiliser la population populaire dans une union nationale destinée à l’enrégimenter dans la politique meurtrière d’interventions militaires françaises. Interventions militaires suscitant une réaction en chaîne des islamistes sur le territoire français par des attentats terroristes. Et le cycle infernal des jeux en enjeux de massacres va se poursuivre ainsi de manière interminable au mépris de la vie des populations civiles «étrangères» et françaises sacrifiées sur l’autel des intérêts économiques de la France.
L’authentique héroïsme serait celui du soulèvement en masse des masses populaires françaises contre la politique impérialiste de leur pays, pour exiger l’arrêt des interventions militaires pourvoyeuses des exodes massifs qui finissent par échouer en Europe. Ces mouvements migratoires si utiles pour assurer la survie du capitalisme.
La gravité de la dramatique situation actuelle exige l’engagement d’un héroïque combat collectif et international contre le capitalisme vecteur de misère, de guerres et de terrorismes. Et non pas d’un humanisme pleurnichard et désarmant, présenté comme le nec plus ultra de l’héroïsme.
M. K.
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