Non, l’Etat et le pouvoir ne peuvent être dédouanés !
Par Abdellali Merdaci – Je voudrais exprimer mon entière considération à Kaddour Naïmi dont le nom et l’œuvre se rattachent pleinement à la construction d’un espace théâtral national algérien, toujours en formation, si fragile pour accuser fortement l’intervention inappropriée de l’Etat et de ses gouvernements. Mon interpellateur me fait le reproche de m’étonner et, d’une certaine manière, d’excuser cette intrusion du pouvoir dans un art qui n’aspire qu’à se libérer de toute emprise. Mais est-ce bien le cas ? Relativement à la nomination de Slimane Benaïssa, comédien et écrivain français d’origine algérienne, dans la fonction de commissaire du Festival du théâtre de Béjaïa, je ne m’étonne pas, je prends acte d’une situation détestable et dénonce le gouvernement, particulièrement le ministre de la Culture, qui l’a suscitée en toute responsabilité.
Les rendez-vous ratés du pouvoir avec le champ culturel national sont si nombreux et suffisamment discutables. Universitaire, participant au débat sur la culture nationale, je me suis souvent exprimé publiquement, en différentes circonstances, quoi qu’il m’en coûte, sur les errements de l’Etat et de ses représentants, tout en ayant conscience qu’il ne m’appartient pas de les amender.
Je rejoins Kaddour Naïmi sur cette ductilité du gouvernement à occuper des positions dans l’espace culturel national au détriment de ses propres acteurs. C’est, précisément, ce qu’il fait en nommant Slimane Benaïssa au commissariat d’un Festival national de théâtre. Il est certain que si l’espace théâtral algérien était autonome et structuré, ni Azzedine Mihoubi, ministre, ni Benaïssa, grapilleur, n’y trouveraient leur place. Dans un tel cas de figure, le gouvernement ne peut proposer le nom d’un responsable de projet culturel national, fusse-t-il organisé sous sa tutelle, sans en délibérer clairement et rechercher l’approbation des acteurs de cet espace théâtral.
Le choix de Slimane Benaïssa est condamnable pour les raisons que j’ai exposées dans mes contributions. Contrairement à ce que pensent les uns et les autres, Slimane Benaïssa n’est pas l’enfant prodige, l’oiseau rare du théâtre national algérien revenu d’un long exil et qui aurait droit au respect de tous. Il faut encore rappeler qu’il fait partie de ces Algériens qui ont changé de patrie, en crachant sur l’Histoire d’un pays qui n’est plus le leur. Et comme Merzak Allouache, participant en 2015 au Festival du cinéma de Haïfa (Israël) avec son passeport français, décoré dans l’ordre du Mérite national par l’Etat algérien, comme l’écrivain Anouar Benmalek, qui ne rate aucune occasion de célébrer sa francité, régulièrement invité au Sila, pris en charge par le ministère de la Culture, Benaïssa fait partie de cette faune nombreuse et pullulante d’anciens Algériens, qui ne dédaignent pas de prendre ce qu’il y a encore à prendre dans leur ancien pays qu’ils ont abandonné.
C’est un fait établi que le pouvoir algérien a choisi de minorer des intellectuels, des écrivains, des artistes, loyaux envers leur pays. Cela constitue-t-il une politique ? Mais cette disponibilité envers ceux qui ont fait des choix moralement condamnables est trop insistante pour ne pas inquiéter. Il n’est pas inutile de la discuter.
Comme pour la littérature algérienne, qui est perçue dans le monde comme un surgeon de la France littéraire, l’Etat algérien a été – depuis l’indépendance – défaillant et irresponsable envers toutes les expressions culturelles nationales qu’il n’a su protéger en leur permettant de s’autonomiser et de fonder leur légitimité au regard des évolutions de la société.
Kaddour Naïmi pose d’urgentes questions sur le théâtre dans la société, sur l’art du spectacle injurié par d’ignobles factotums à l’aise dans un fonctionnariat stérile ; il est dans cette posture juste du créateur barré par des imbéciles, qui interroge cette dégradation de la fonction artistique et intellectuelle. Partout dans les sociétés avancées, les directeurs de théâtre ne sont légitimes que par leurs œuvres. Ce n’est pas, et cela ne le sera pas dans notre pays, aussi longtemps qu’il n’y aura pas de mobilisation des hommes et des femmes de culture dans leurs domaines d’activités.
La nomination du Français d’origine algérienne Slimane Benaïssa au commissariat du Festival du théâtre de Béjaïa relève, comme la nomination des directeurs des théâtres nationaux, de la seule légitimité politique et administrative. On revient nécessairement à l’absence de structuration du théâtre algérien : s’il y avait un espace théâtral ouvert aux compétitions d’acteurs, de metteurs en scène et des métiers du théâtre, les directions d’institutions théâtrales ne dépendraient pas de la seule mesure administrative, favorisant les clients du pouvoir, mais de concours de programmes sous la vigilance de professionnels engagés dans la défense de leur art.
Je voudrais, toutefois, rassurer Kaddour Naïmi. Comme lui, à partir de ma position et de mes outils d’universitaire soucieux de la formation d’un champ culturel national autonome, je pose des questions et propose des constats critiques sur la labilité d’espaces littéraires et artistiques nationaux compromis, sombrant dans l’inanité. L’Etat et le pouvoir ne peuvent être dédouanés de leurs responsabilités dans cette condition misérable et mortifère d’une culture nationale folklorisée.
A. M.
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