Réponse et questions au professeur Merdaci sur le fonctionnariat
Par Kaddour Naïmi – J’ai toujours lu avec intérêt et apprécié vos contributions au sujet des artistes et des intellectuels. Les deux dernières concernant Slimane Benaïssa sont dans cette veine(1). Cependant, vous vous étonnez de sa nomination à un poste administratif algérien. A mon tour, je m’étonne de votre étonnement.
Peut-on s’étonner de la nomination d’un personnage tel que celui que vous décrivez à un poste administratif ? Le principe de tout Etat dominateur n’est-il pas de nommer des serviteurs, des fonctionnaires, c’est-à-dire des individus qui savent «fonctionner» pour satisfaire les intérêts de ceux qui les nomment ? Sinon, comment expliquer toutes les Algériennes et tous les Algériens, dans tous les domaines de l’activité sociale, à l’intérieur du pays comme dans la diaspora, qui sont ignoré-e-s, écarté-e-s et même calomnié-e-s par les «fonctionnaires» et les porte-voix de ceux qui détiennent le pouvoir en Algérie ?
Votre étonnement ne vous semble-t-il pas dédouaner ceux qui ont nommé ce monsieur au poste que vous indiquez ? Ne tombez-vous pas dans le piège qui consiste à croire que les décisions prises par les détenteurs de l’autorité ne sont que des erreurs involontaires, mais que les intentions sont bonnes ? Ne croyez-vous pas qu’au contraire ces décisions sont le résultat logique d’une stratégie de domination sociale bien conçue par les «experts» et «conseillers» de ces détenteurs de l’autorité ? Autrement, comment expliquer ce que tout le monde constate en Algérie : dans tous les domaines de la vie sociale, la médiocrité des «responsables», ce qu’on appelle leur incompétence ? Mais cette incompétence n’est-elle pas, précisément, la caractéristique indispensable dans un régime oligarchique, même s’il se prétend démocratique ? Existe-t-il une personne, réellement compétente, ayant le sens de sa dignité et la conscience de son devoir de servir le peuple, se réduire au rôle de larbin, parce que soucieux de «carrière» ?
Cependant, l’incompétence se manifeste uniquement au détriment du peuple ; elle n’empêche pas les fonctionnaires en question d’avoir la «compétence» de se servir de salaires plus que confortables et de privilèges scandaleux.
Permettez-moi trois proverbes populaires. Le premier est algérien : «Dîr kima jârak, walla haoual bâb dârak» (fais comme ton voisin, sinon déplace ta maison) ; le deuxième est chinois : «Le chien suit le chien, et la poule, la poule» ; le troisième est italien : « Quand le bon Dieu joue de la musique, les anges dansent.» Autrement dit, la nomination d’un fonctionnaire, quel que soit le pays, ne reflète-t-elle pas l’orientation du régime en place ? Et, dans le cas où les détenteurs de ce dernier s’apercevraient que ledit fonctionnaire sert non leurs intérêts, mais ceux du peuple, n’est-il pas rejeté et, si nécessaire, en le calomniant d’une manière ou d’une autre ?
Revenons au cas particulier examiné dans vos deux dernières contributions. Que gagnerait le peuple à remplacer un «naturalisé honteux» par un bureaucrate qui n’a jamais quitté le pays mais qui, cependant, est un fonctionnaire «fonctionnant» correctement dans le régime en place ? De ce genre de fonctionnaire, j’ai personnellement pâti récemment, précisément au Théâtre régional de Béjaïa(3). Ajoutons une deuxième information. J’ai récemment écrit un courriel au nouveau nommé directeur du Théâtre régional d’Oran, en proposant la réalisation d’une pièce théâtrale ; cependant, pour éviter tout malentendu à ce fonctionnaire, j’ai joint la copie d’un article qui explicite ma position sociale et artistique, non conformiste (4). Pas de réponse jusqu’à ce jour. Qui lira l’article en question comprendra aisément le motif du silence du nouveau fonctionnaire.
A ce propos, combien sont les personnes nommées à des postes (quel que soit le domaine social) où le fonctionnaire s’active réellement au service du peuple, sans finir, tôt ou tard, par être écarté, sous un prétexte ou un autre ? Peut-on faire «carrière» sans être un béni-oui-oui du régime ?
La nomination d’un «naturalisé honteux» a, cependant, l’avantage de rendre l’imposture plus flagrante, et la honte plus honteuse. Elle montre également l’art de certains individus d’avoir le beurre (le poste administratif avec ses avantages) et l’argent du beurre (la prétention de servir le peuple). Nous sommes encore dans cette ignoble situation, si fatale au peuple, non seulement en Algérie, mais partout dans le monde. La solution ? Existe-t-il une autre que changer non pas de personnes au pouvoir (et de fonctionnaires nommés par eux), mais de système de pouvoir (et de nomination de fonctionnaires) : non plus autoritaire vertical, mais démocratique horizontal, par l’établissement d’une société réellement libre et réellement solidaire ?
K. N.
(1) https://www.algeriepatriotique.com/2018/03/28/contribution-dabdellali-merdaci-breve-adresse-a-naturalise-honteux/ et https://www.algeriepatriotique.com/2018/03/30/mise-point-merdaci/
(2) Voir « Éthique et esthétique au théâtre et alentours », livres 1, 2 et 3, librement accessible ici : http://www.kadour-naimi.com/f-ecrits_theatre.html
(3) Idem, livre 4 : Retour en zone de tempêtes.
(4) https://www.algeriepatriotique.com/2018/03/10/comment-retrouver-le-public-au-theatre-et-ailleurs/
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