Interview – Gabriel Galice : «Trump et Macron sont des amateurs en politique»
Le président de l’Institut international de recherches pour la paix à Genève, Gabriel Galice, explique les dernières frappes contre la Syrie conduites par les Etats-Unis et ses alliés la Grande-Bretagne et la France. Interview.
Algeriepatriotique : Les Etats-Unis, appuyés par leurs alliés français et britanniques, ont lancé une centaine de missiles sur différentes zones en Syrie. Comment évaluez-vous cette première frappe ? Quel a été son objectif et est-ce qu’il a été atteint ?
Gabriel Galice : Relevons d’abord que «l’axe du Bien Washington-Londres-Paris», ironiquement décrit par l’ancien ambassadeur de France Michel Raimbaud dans son remarquable ouvrage Tempête sur le Grand Moyen-Orient, est une fois encore à la manœuvre. Cette frappe a plusieurs significations. Elle intervient le jour même où les inspecteurs de l’Organisation internationale pour l’interdiction des armes chimiques devait tenter de faire la clarté sur cette prétendue attaque chimique imputée à Damas par les Occidentaux. Les Occidentaux s’étaient opposés au Conseil de sécurité à la proposition de résolution russe d’une évaluation impartiale, dans le cadre des procédures légales de l’ONU.
C’est d’autant plus significatif que l’armée syrienne a trouvé dans les zones libérées de groupes terroristes des caches contenant des armes et des produits chimiques fabriqués et fournis par l’Occident. En détruisant des sites supposés contenir des sites de recherche, fabrication et stockage, «l’axe du Bien» entend accréditer sa thèse de l’emploi de ces armes par le gouvernement syrien. Cette démonstration n’est aucunement logique mais elle entend légitimer une action illégale au regard du droit international.
Notons aussi que frapper des stocks d’armes chimiques reviendrait à disséminer des substances toxiques dommageables à la population. Le président des Etats-Unis a choisi une option militaire minimale, évitant soigneusement la confrontation directe avec la Russie et même, dans une certaine mesure, avec la Syrie. Un journal suisse relève que cette action militaire a fortement déçu les supporters de Trump qui l’avaient élu sur un programme antiguerre. L’un d’eux, Mike Cernovich, juge que l’agression est signée «Donald Bush».
Pour Theresa May, c’est l’occasion de faire oublier ses vociférations abracadabrantesques sur la responsabilité russe dans l’étrange affaire Skripal ainsi que ses difficultés intérieures avec le Brexit.
Pour Emmanuel Macron, c’est une posture qui le pose en dieu de la guerre Mars plutôt qu’en dieu des dieux Jupiter, lui aussi assailli de troubles intérieurs. Le président français entérine l’alignement sur les Etats-Unis, entamé par Chirac au lendemain du refus français de la guerre d’Irak, lors du G8 d’Evian, alignement renforcé sous Sarkozy et sous Hollande. Les néoconservateurs peuplent la diplomatie française.
Pensez-vous qu’il y aura d’autres frappes dans les prochains jours ?
Je n’en sais rien. Les faucons vont vouloir pousser l’avantage, confirmer l’essai. Il semble que les militaires soient les plus raisonnables, conscients d’un risque d’escalade incontrôlable. La girouette Trump est tributaire des vents contraires qui soufflent dans son entourage mais il n’est pas exclu qu’il garde un certain cap de modération, contre vents et marées.
Les installations militaires russes en Syrie n’ont pas été touchées, contrairement à ce qu’avait annoncé le président américain dans son tweet de mercredi dernier. Comment l’expliquez-vous ?
Justement parce que les Russes sont déterminés à défendre leur position et que les Américains le savent. Curieusement, cette attaque signe aussi le fait que tous ont compris qu’Al-Assad et ses alliés avaient militairement gagné.
Mais cette victoire militaire n’est pas encore une victoire politique. Les Etats-Unis vont retirer leurs troupes du nord de la Syrie sans cesser de soutenir les «rebelles modérés», jugés plus contrôlables et plus présentables que Daech. Les Turcs continuent à jouer double ou triple jeu.
Trouvez-vous normal qu’un président menace des pays souverains par le biais des réseaux sociaux ?
Trump veut s’affranchir des cercles politico-médiatiques dont il n’est pas issu, qui jouent ouvertement contre lui. Trouvez-vous normal le pouvoir de l’ombre exercé par Georges Soros ? Trump fait avec les moyens du bord. Je ne l’excuse de rien, je m’efforce de comprendre. C’est un amateur en politique, un peu comme Macron. Ils sont sortis de la colère populaire contre les partis institutionnels.
D’aucuns savent que la prétendue attaque chimique contre les civils syriens est un mensonge grotesque pour justifier l’attaque contre la Syrie. Quel en est le but réel selon vous ?
Les Occidentaux veulent faire passer la pseudo-réponse de leur attaque comme une preuve de la cause, c’est-à-dire de la responsabilité du régime syrien. C’est un tour de prestidigitation, bien réussi au plan technique s’il s’avère qu’ils n’ont tué personne. Français et Américains disent détenir des preuves qu’ils ne produisent pas ! Idem comme les Britanniques avec l’affaire Skripal.
Ce n’est pas la première fois qu’un pays souverain soit attaqué en violation totale du droit international. L’ONU sert-elle encore à quelque chose ?
Ce n’est pas parce que des chauffards brûlent des feux rouges qu’il faut supprimer les feux tricolores !
Les guerres dites «morales» ou «humanitaires» ont remplacé l’usage légal de la force, selon le droit international dont la Charte de l’ONU est actuellement la base. Nous sommes revenus aux «guerres justes», selon Saint-Augustin. L’ONU permet à la diplomatie de jouer un rôle. La scène médiatico-militaire, expression du «smart power», est faite pour divertir le public, promouvoir les ventes d’armes, polariser les alliances mais la diplomatie s’active en coulisses. Pour imparfaite qu’elle soit, l’ONU est à parfaire, notamment en mettant, enfin, en œuvre les articles 46 et 47 de sa Charte, stipulant un comité d’état-major auprès du Conseil de sécurité. Au lieu de cela, les secrétaires généraux de l’ONU et de l’Otan ont signé, en 2008, un accord anachronique.
Avec cette agression contre la Syrie, le président français, Emmanuel Macron, maintient le choix d’une France vassale et soumise aux lubies irresponsables des Etats-Unis. Pourquoi un tel choix ?
J’ai déjà répondu en partie. On peut ajouter que l’inexpérience politique et l’immaturité manifeste de Macron, passé de l’ENA aux sommets de l’Etat via la Banque Rothschild, sans véritable expérience politique, aggrave sa dépendance des lobbys, l’Institut Montaigne est l’un d’eux, comme le fut en son temps la Fondation Saint-Simon. Cela dit, la vassalisation française remonte à l’unification allemande et au Traité de Maastricht. On peut relever que le traité de Maastricht a gravé dans le marbre le rôle dominant de l’Otan pour la «sécurité» européenne, que tous les nouveaux Etats membres de l’Union européenne ont fait leur entrée en passant par la case de l’adhésion à l’Otan. On peut relever que l’ancien chef d’état-major de l’armée française, le général Pierre de Villiers, vient de rejoindre le groupe américain Boston Consulting Group, ce qui, à mes yeux, est une forme de haute trahison.
Tout cela signe la corruption et la décrépitude de la pseudo-élite française, devenue en réalité une «éligarchie» ayant renoncé à servir un pays déclaré obsolète, au nom d’une forme bien particulière de «mondialisation».
Aujourd’hui, il n’y a pas de forces capables de mettre un terme à l’impérialisme américain et à cette machine de guerre qu’est l’Otan, qui sème horreur et désolation là où elle passe. La paix est-elle possible en ce monde, selon vous ?
Avec du recul, on peut voir les choses sous un angle moins pessimiste et se demander si l’Occident ne prend pas acte de son recul, y compris par et dans ses convulsions bellicistes.
Les Etats-Unis et leurs alliés se sont illusionnés sur la signification de la disparition de l’URSS et du bloc communiste, dont le Traité de Varsovie était l’expression militaire. Ils ont cédé à l’hubris, au sentiment de toute-puissance. Le monde est devenu multipolaire et la Chine y joue le rôle pivot. Les Occidentaux ont soutenu ou organisé les «révolutions de couleur», puis le coup d’Etat en Ukraine. La Libye aura été, après l’Irak, le point d’orgue de leur stupide arrogance, nourrissant le terrorisme et les vagues de réfugiés, dont les Européens font davantage les frais que les Américains, pour des raisons géographiques évidentes.
Les Occidentaux jouent la «stratégie du chaos», du «chaos constructif à la Leo Strauss»(*) au «chaos créateur» à la George Friedman, créateur du think tank Stratfor et auteur d’un livre prophétisant une guerre mondiale en 2050. Ce sont des apprentis-sorciers, des pompiers pyromanes, qui utilisent les «djihadistes modérés» comme milices pour renverser les Etats récalcitrants à l’ordre occidental.
Mais cela ne signifie pas la fin de la partie. L’Organisation de coopération de Shanghai, les routes de la soie et la Banque asiatique d’investissement pour les infrastructures qui les soutiennent, les Brics, le lancement du pétro-yuan sont autant d’indices d’une résistance à l’Ordre mondial sous la houlette des Etats-Unis et de leurs banques. L’Union européenne se fragmente entre Nord et Sud, Ouest et Est. «Initiative des trois mers» vient compliquer le dispositif. Dans l’histoire de l’humanité, rien n’est jamais écrit d’avance. Une chose est avérée : tous les empires ont disparu un jour ou l’autre.
Interview réalisée par Mohamed El-Ghazi
(*) https://www.monde- diplomatique.fr/2017/09/ GALICE/57854
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