La religion du complot : arme de la paresse intellectuelle
Par Mesloub Khider – Que le sieur sioniste Bernard Henri Lévy, en cette ère d’affrontements généralisés, troque régulièrement sa célèbre et échancrée chemise blanche immaculée pour l’uniforme militaire en alpaga, rien de nouveau sous les pavés de Paris Plage. Qu’il s’improvise spécialiste de la polémologie pour monnayer ses expertises en matière stratégique avec les Etats impérialistes, rien d’étonnant de la part d’un philosophe de la spéculation physique boursière dollarisée. Il a, en effet, depuis longtemps abandonné la spéculation métaphysique, délaissée aux esprits idéalistes amateurs de théories éthérées depuis belle lurette enterrées par le capitalisme matérialiste, soucieux uniquement de plus-values solidement productives et indispensables à son accumulation.
Personne n’ignore aussi que ce dandy parisien, présent sur tous les fronts de guerres des dernières années, ne participe aux combats qu’à partir d’hôtels de luxe, logé dans des suites 5 étoiles, bien loin des théâtres d’opérations meurtrières. Cela va de soi, il ne va pas malmener son brushing. Encore moins mettre en péril sa vie.
Depuis quelque temps, pour d’inavouables raisons, de nombreux auteurs et contributeurs algériens focalisent toute leur attention intellectuelle sur ce sinistre personnage. A notre humble avis, ils lui accordent trop d’importance. De surcroît, ils lui attribuent des capacités d’influence politique et des pouvoirs de nuisance disproportionnés, voire illégitimes.
Prisonniers d’une vision spéculative, leurs analyses manquent de profondeur, car elles s’appuient sur une approche idéaliste. A lire leurs contributions, toutes les récentes et actuelles guerres ont été fomentées et attisées par cet abject notable, par la seule grâce de son agile plume trempée dans l’immense encrier sioniste empli de sang, ou à l’aide de son unique élégante éloquence imbibée de philosophie polémologique.
Leur analyse psychologisante, procédant par focalisation sur un personnage rendu coupable de tous les méfaits, traduit l’impuissance intellectuelle de ces auteurs à s’élever vers une approche globale des guerres qui ensanglantent notre monde.
A désigner du doigt ce milliardaire va-t-en-guerre, comme par hasard juif, ils contribuent à évacuer la responsabilité collective de ce système capitaliste décadent fauteur de guerres et à entretenir la théorie du complot sioniste. Des BHL, c’est-à-dire des intellectuels au service du capital, partisans invétérés de l’impérialisme, noircissant des milliers de pages par jour pour soutenir et conseiller les pays impérialistes en guerre, se comptent par centaines de milliers à travers le monde.
En effet, il suffit de pénétrer dans une librairie pour constater sur les étalages le nombre de livres publiés ces derniers temps sur les guerres actuelles. Tous ces thuriféraires développent une approche apologétique des guerres, notamment sur l’Irak et la Syrie. Aucun ne les dénonce. Et ils sont de toutes les nationalités. Et de différentes obédiences confessionnelles. Pourtant, jamais un de ces plumitifs sanguinaires (français, américains, anglais, allemands) n’est cité.
Ainsi, par leur contribution réductrice de la guerre appréhendée par le bout de la lorgnette islamiste, ils escamotent les responsabilités du système capitaliste dans son ensemble. Et par extension, participent à cet enfermement idéologique des Algériens dans une vision complotiste de l’histoire, de la politique.
Certains auteurs, en employant des phrases comme «ils font la guerre à la terre d’islam», dévoilent leur vraie inclination islamiste. Contribuant à réduire ces guerres à des combats contre l’islam. Aussi les transforment-ils implicitement en guerres de religions. Dès lors, il ne s’agit plus de guerres impérialistes menées par le capital pour le contrôle du pétrole et du gaz, pour des motivations géostratégiques. Mais de simples «sataniques» guerres dirigées par l’Occident contre les musulmans. Fomentées par les complotistes sionistes. La conséquence de cette argutie coule de source : faisons donc la guerre aux mécréants et aux juifs qui souillent la «terre d’islam», et non au capitalisme mondial. Nos auteurs confortent ainsi à leur insu, de plein gré, la théorie du «choc des civilisations», chère à Samuel Huntington.
En tout état de cause, de façon évidente, par leur positionnement idéologique religieux affirmé ou voilé, nos auteurs n’ont rien à envier à BHL. A leur manière, ils servent d’autres entités tout autant réactionnaires engagées dans les conflits inter-impérialistes, d’autres maîtres, avec toute la déférence qui leur sied.
Rien d’étonnant à cela de la part d’auteurs, représentant la petite bourgeoisie intellectuelle algérienne, en particulier, et arabe, en général, qui se divertit à philosopher sur le monde plutôt qu’à le transformer. Qui implore le Ciel par les prières pour apaiser les souffrances de la terre au lieu de soulever la terre par la force des bras pour la bâtir de bonheurs débordant au-delà du ciel.
De manière générale, ces auteurs participent à leur manière à la propagation de la théorie complotiste. Cette nouvelle religion du complot, très prisée par les esprits fatalistes, résignés.
En réalité, toutes les théories conspirationnistes et complotistes sont des fumisteries destinées aux paresseux intellectuels incapables de transcender l’apparence des phénomènes pour s’atteler en quête (enquête) de l’essence des faits au moyen d’une laborieuse et rigoureuse analyse radicale, c’est-à-dire qui va à la racine du problème.
Par cette bouc-émissarisation de l’actualité, le coupable est tout désigné. En effet, selon ces adeptes du conspirationnisme, derrière chaque événement se dissimule la main invisible complotiste du sionisme, de la franc-maçonnerie ou de la CIA. Dès lors, nul besoin d’explorer en profondeur les tenants et aboutissants des faits pour les saisir dans leur complexité.
Au lieu de désigner le système capitaliste et impérialiste dans sa globalité comme responsable des malheurs de toute l’humanité, la théorie conspirationniste se contente de jeter toujours et uniquement en pâture la même communauté, la même entité, le même pays, coupables de tous les méfaits.
Paradoxalement, sans se rendre compte, par la récurrente désignation du sionisme comme responsable de tous les méfaits et malheurs du monde, ces théories confortent les sionistes dont leur entreprise d’amalgame entre antisionisme et antisémitisme. Sans oublier le fait de les renforcer dans leur prétendue puissance de domination. Et corrélativement, elles distillent l’idée de la faiblesse de leurs adversaires, emmurés dans leurs lamentations, tout juste capables de protestations geignardes.
Le conspirationnisme est une pensée décadente, produit de la décomposition du capitalisme. Cela n’a rien d’étonnant, les théories conspirationnistes se répandent aussi bien à propos des faits divers que des événements politiques.
Le conspirationnisme est un classique de l’anticapitalisme nihiliste, œuvre de la petite bourgeoisie déclassée en voie de prolétarisation et de paupérisation. C’est une forme habituelle de critique stérile de la part de personnes qui – en fait – sont incapables de remettre en cause le capitalisme.
Par définition, les théories conspirationnistes n’expliquent jamais les situations. Elles sont par essence anti-scientifiques, elles défient la raison pour laisser place à l’interprétation subjective.
La bourgeoisie, qui est la classe dominante dans le monde capitaliste, est une classe décadente, en pleine décomposition. C’est prêter à la bourgeoisie des capacités d’élaboration manipulatrice excessives. Elle n’a absolument pas les capacités de mettre en place des artifices aussi gros que ce que prétendent les conspirationnistes.
Ce n’est pas innocent que les théories complotistes se répandent à notre époque de capitalisme décadent. Dans cette période de décomposition sociale, de putréfaction morale, d’explosion des maladies psychiatriques. De délitement du tissu social. De découragement politique. De la montée des incivilités, des relations marquées par la violence. Une époque en proie au doute, au pessimisme, au désarroi, au défaitisme.
Le conspirationnisme existe précisément comme vision correspondante à la décadence du capitalisme, au triomphe du glauque et du morbide sur les valeurs positives, progressistes et démocratiques qui sont portées par les masses populaires.
Le conspirationnisme, c’est chercher à voir le mal systématiquement. Cela revient à voir le «diable» (vision religieuse par excellence ou essence) partout. Et se complaire dans la dénonciation plutôt que de critiquer le capitalisme de manière positive, de vouloir abattre la bourgeoisie pour faire triompher l’émancipation de l’humanité, de renouer avec la quête du bonheur.
La motivation première des théories conspirationniste est de relativiser la responsabilité du capitalisme, la culpabilité du système politique.
M. K.
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