Contribution – Quels choix iraniens face au cowboy justicier Donald Trump ?
Par Omar Mazri – La riposte iranienne à la déclaration de guerre américaine sera de quelle manière ? Telle est l’énigme de ce printemps 2018. Les Iraniens ne sont pas pris à l’improviste, car ils savent, par leur culture et leur idéologie, que leur adversaire américain est foncièrement déloyal, sans respect de ses engagements internationaux, belliqueux et hyperpuissant. Ils ont, sans doute, étudié les possibilités de riposter. Elles ne sont pas nombreuses, mais elles existent. Les signes de la confrontation viennent des monarchies arabes et de l’entité sioniste que les Iraniens et le Hezbollah ont déjà décryptés. Celui qui a écouté les derniers discours de Nasrallah a compris l’imminence d’une guerre et l’acceptation d’y faire face et de la remporter par la détermination et la préparation. Les Palestiniens savent aussi que cette guerre est décisive quant à leur devenir, et ils s’y lanceront corps et âme.
1 – Déclarer leur retrait du traité et signifier leur disponibilité à la confrontation avec les USA et ses vassaux sionistes et arabes. La guerre du siècle contre l’Iran se dessine. Mais, d’un côté, l’hyperpuissance est malade de sa puissance et entre en crise interne, et de l’autre côté, les Iraniens doivent agir pour leur survie. Les missiles balistiques et les avions américains peuvent causer beaucoup de dégâts, mais le terrain d’opération et les cibles des Iraniens sont étendus en Palestine, au Liban, au Yémen, au Pakistan, en Irak, en Arabie Saoudite, en Syrie, en Afghanistan, au golfe Persique. Ils ont la doctrine du martyr et la préparation au combat. Ils ont une industrie militaire qui produit des missiles et des mesures de guerre électroniques et de contremesures électroniques. On parle déjà de l’arrivée de combattants chiites du Pakistan en Syrie pour assurer la relève du Hezbollah qui, par son retrait, va se consacrer à la confrontation du Sud-Liban avec l’entité sioniste. Cette fois-ci, ce ne sera pas une confrontation de quelques jours ou de quelques semaines, mais un embrasement général qui va changer totalement le Moyen-Orient. Dans cette guerre de survie, il est possible que l’entité sioniste et l’entité bédouine s’effacent totalement. La guerre n’est pas seulement une affaire de puissance, mais de volonté et de doctrine. Celui qui sera capable de mordre plus fort et plus longtemps le doigt de son adversaire sera le gagnant.
2 – Ignorer la danse du ventre de Trump et laisser les Européens gérer les conséquences du retrait. En effet, le traité que transgressent aujourd’hui les Etats-Unis était l’opportunité d’affaire du siècle pour l’Europe : des milliards d’euros de projets tous azimuts leur rapportant emploi, prospérité et sécurité pour leurs entreprises et leur population. La décision unilatérale des Etats-Unis, non seulement sape ces opportunités, mais elle annonce l’isolationnisme américain et la guerre commerciale qu’ils vont livrer à l’Europe et au reste du monde.
3 – Ouvrir son territoire aux bases militaires et stratégiques russes et renforcer la coopération avec la Chine et la Russie, non seulement sur le plan économique, mais sur le plan financier. Les Russes subissent eux aussi des sanctions économiques et financières. Il est de leur intérêt de renforcer la coopération avec l’Iran et de promouvoir le projet euro-asiatique. L’Afghanistan occupe une place de choix dans ce projet. Il est peut-être temps pour les partisans de ce projet de chasser les Américains et de pacifier le pays remis sur les rails de la paix et du développement. La Turquie et Erdogan, blessés dans leur amour-propre par l’Europe et les USA, peuvent, si le calife néo-ottoman met de côté son narcissique et double langage, compenser une part non négligeable de l’embargo américain. Les Français ont perdu la boussole depuis la disparition du général De Gaulle qui, de sa hauteur et de sa profondeur de vue, a dit justement que l’Europe n’était viable que de l’Atlantique à l’Oural, et que c’était la seule façon de se démarquer de l’hégémonie américaine…
4 – Se taire et réactiver son programme nucléaire s’il y a possibilité de produire et de lancer des engins nucléaires à court et moyen terme. Contre la menace des puissants, il ne reste que de disposer de moyens de dissuasion si on veut continuer d’exister et pacifier les intentions guerrières. Même si les USA et l’Europe dans son sillage appliquent les sanctions économiques et financières contre l’Iran, les Iraniens disposent d’un délai de grâce qui joue en leur faveur : le temps de dé-contractualiser l’ONU du traité. Les Russes opposeront leur veto.
5 – Se taire médiatiquement et diplomatiquement et travailler avec les Européens pour un nouvel accord. Les négociations seront longues et complexes, le temps de l’affaiblissement de l’Amérique ou de l’aggravation de sa crise interne, pour ne pas dire le temps de mettre en place les autres scénarios. Les Iraniens ne sont pas acculés, même s’il est injuste de faire payer au peuple les caprices et les transgressions des puissants de ce monde, qui n’ont toujours pas digéré une révolution islamique qui a changé la morphologie géopolitique de la région.
6 – Changer de régime. Les Occidentaux ne connaissent pas et ne veulent pas connaître la mentalité des peuples. Ils avaient tablé sur Rohani, croyant y trouver un pro-occidental, alors que sa culture philosophique, religieuse et scientifique l’avait placé depuis longtemps au cœur du dispositif décisionnel du nucléaire iranien. Aujourd’hui, ils tablent sans doute sur une révolution sociale que l’embargo va exacerber et sur l’argent saoudien qui va financer les émeutes et les rebellions. Ils oublient l’équation politico-religieuse iranienne. Le régime, en laissant Ahmadinejad devenir Président, avait signifié sa disposition à la confrontation, mais en promouvant Rohani, il avait signifié sa disponibilité aux négociations. Les Occidentaux oublient que les «faucons» iraniens n’ont jamais été d’accord avec les négociations et que la «traîtrise» de l’Amérique va leur donner raison et qu’il y a beaucoup de chance que Rohani durcisse ses positions ou qu’il cède sa place à l’homme de la situation, c’est-à-dire à celui qui va gérer la confrontation sur le plan politique, sachant que les Gardiens de la Révolution et l’Armée iranienne ont pour doctrine la résistance armée contre l’empire et le sionisme.
Nous n’aurons pas beaucoup à attendre. La crise est mondiale et elle ne fait que s’accélérer, s’intensifier et se compliquer. L’hyperpuissance monte graduellement en hypopuissance, provoquant son propre effondrement. Il va faire du bruit, il y aura beaucoup de casse, mais le ridicule annonce la fin…
Par ses positions respectables vis-à-vis de la Syrie, de la Libye, du Yémen, de la Palestine et de l’Iran, même si nous attendions davantage, l’Algérie est sous les feux de la rampe. Les ennemis sont sans foi ni scrupules, rancuniers et sans limites. Il est toujours temps de mettre fin au système de rentes et de mobiliser tous les Algériens autour du projet de résistance nationale. Les querelles idéologiques, culturelles et politiques doivent passer au second plan. L’ANP, la seule institution crédible, pourrait se porter garante d’un changement et d’un renouveau de la classe politique. Le peuple algérien devrait retrouver goût à la politique et à l’exercice des responsabilités sans tutelle bureaucratique et sans emprise des cartels constitués autour de la rente. L’armée algérienne, puissante par ses équipements, sa technicité et sa compétence, serait vulnérable si elle venait à manquer de mobilisation politique patriotique et non partisane ou opportuniste, et à souffrir de la faiblesse de l’effort socioéconomique (économie de guerre). Il ne s’agit pas de pessimisme, mais de réalisme lucide et responsable. L’Algérie et l’ANP, pour des raisons historiques et géopolitiques, sont visées, nous ne devons pas l’oublier.
L’annonce et les conséquences périlleuses du retrait unilatéral américain de l’accord avec l’Iran vont laisser dans la mémoire une vérité ineffaçable avec ses conséquences diplomatiques, militaires, économiques et financières dans l’esprit des nouvelles générations et des nouveaux dirigeants que le temps fera venir inéluctablement : {Chaque fois qu’ils concluent un pacte, une fraction d’entre eux le rejettent} – Al Baqara, v-100 ; {Nous n’avons trouvé chez la plupart d’entre eux aucune fidélité aux engagements, mais Nous les avons trouvés en majorité pervers} – Al Aâraf, v-102.
O. M.
Auteur, écrivain
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