De la révolte scripturale par la joie à la joie scripturale de la révolte
Par Mesloub Khider – «L’écriture est la continuation de la politique par d’autres moyens» (Philippe Sollers).
Comme on le proclamait au lendemain de Mai 68, tout acte est politique. Même la fessée administrée à son enfant ou la gifle portée contre sa femme. En tout état de cause, dans ces multiples gestes au caractère politique manifeste, seule une partie en tire bénéfice. L’autre partie subit le préjudice. Seule une partie jouit perversement au détriment de l’autre. Comme sur la scène politique, un véritable rapport de forces domine ce type de comportements, d’occupations. Une relation asymétrique anime ces deux parties divergentes.
A plus forte raison, l’exercice d’écriture est politique. Mais l’écriture est la seule activité où elle s’exerce pour enrichir intellectuellement l’autre, où elle s’applique à élever l’âme de son prochain : le lecteur.
Une véritable connivence intellectuelle s’instaure entre le scripteur et son lecteur. Une authentique convergence spirituelle rassemble ces deux êtres complémentaires. Cette connivence intellectuelle se crée grâce au choix des termes employés, comme au choix des thèmes déployés.
Pour ma part, quand je me résous à pianoter sur le clavier de mon ordinateur en vue de rédiger un texte pour Algeriepatriotique ou autre journal, ce n’est certainement pas pour jouer une symphonie rédactionnelle aux fins d’endormir les lecteurs par une soporifique prose aux sonorités hypnotiques, narcotiques.
Ni pour endosser la tunique du prophète porteur de la vérité révélée. Ni pour m’affubler du costume moderne du gourou désireux endoctriner les lecteurs pour mieux les soumettre à une quelconque chapelle (mosquée). Ni pour me transmuer en tribun du peuple détenteur du parfait programme politique d’un parti institutionnel auquel les lecteurs devront servilement adhérer. Ni pour postuler à quelque siège officiel pour mieux détrousser les deniers publics avec l’aval de mes lecteurs ensorcelés par ma rhétorique politiquement aguicheuse, alléchante, prometteuse, à la manière des politiciens.
Ennemi du pouvoir et de l’argent, ces deux mamelles qui nourrissent les ambitions des êtres dépourvus d’âme humaine, je ne cours ni après la gloire ni après la richesse, ces deux toxines dont se repaissent les fauves déguisés en êtres humains (êtres humant l’argent en guise d’oxygène de la vie).
N’étant pas de mon état journaliste, ni universitaire, ni chercheur (encore moins trouveur), l’écriture représente pour moi un ravissement jubilatoire, une jubilation ravissante. Une festivité poétique, une poésie festive. C’est pourquoi j’emprunte joyeusement les voies scripturales de la stylistique métaphorique, les chemins de la prose euphorique, les itinéraires de l’écriture orgastique.
Un écrit doit être un arc-en-ciel textuel. Toutes les couleurs de la vie doivent s’imprimer dans chaque texte. Chaque texte doit se colorer de toutes les palettes stylistiques littéraires.
Un texte doit avoir les mêmes vertus que l’acte d’amour : il doit se partager à deux, procurer la même jouissance au scripteur et au lecteur. Faute de quoi, l’écriture se réduit à un simple onanisme intellectuel.
La lecture est l’apothéose de l’écriture. Quand on décide de coucher sur écran un texte, l’allégresse doit se lire sur sa figure rédactionnelle stylisée. La béatitude envelopper son message.
Le texte doit surtout s’inscrire dans notre contexte. Respirer l’air intellectuel de notre contemporanéité. Refléter l’atmosphère culturelle de la modernité. Traduire les préoccupations et afflictions de notre époque. Exprimer la révolte des humbles. Incarner leurs espérances. Personnifier leurs souffrances. Matérialiser leurs revendications. Réverbérer leurs lumières pâlies par leur mise à l’ombre.
Le texte doit sentir l’effluve misérable révoltant de nos chaumières, et non pas l’arôme fastueux indécent des palais.
Ma devise : chaque phrase doit chanter l’hymne de la joie au sein d’un texte de révolte. Chaque révolte doit être portée par des phrases chantant l’hymne à la joie.
Les révoltes du désespoir s’accomplissent souvent avec des intonations funèbres dans la bouche et des tonalités vindicatives sous leur plume. Pas étonnant qu’elles succombent vite aux instincts meurtriers sacrificateurs. Et finissent par périr faute d’enchantements humains salvateurs. Ces révoltes avortées ont manqué de souffle de la vie. De poésie révolutionnaire. D’amour de la vie. Le langage de la mort a enveloppé leurs discours. Leurs discours incendiaires mortuaires ont immolé leurs espérances d’émancipation.
Elles ont raté le rendez-vous avec le langage politique, l’engagement poétique.
La révolte doit être une force de contestation explosive, et non une farce de protestation implosive.
Bakounine, anarchiste russe, affirmait : «Le désir de la destruction est en même temps un désir créateur.» La majorité des révoltes semblent s’arrêter à mi-chemin de cette leçon. Elles se contentent de détruire (faute d’esprit de création poétique ou d’esprit politique créatif ?).
La révolte est un récit politique porté par un discours poétique. Les surréalistes prônaient la révolution de la poésie, mais aussi la poésie de la révolution. Entre révolte et révolution : la poésie au service de la révolution ; la révolution au service de la poésie.
La révolte par la poésie s’inscrit dans une démarche révolutionnaire. Faute de poésie révolutionnaire, sa charge subversive est désamorcée, amortie par le pouvoir établi.
La révolte salutaire doit s’écrire avec le langage de la vie pour enfanter la langue universelle de la révolution triomphante.
Portée par les poétiques révolutionnaires mots, elle est assurée de triompher de la société responsable de ses maux.
En revanche, dans notre société mercantile développée, où l’intelligence se vend et s’achète systématiquement, dans le cas du plumitif organique, la posture de l’intellectuel neutre et objectif est souvent une imposture. La culture élitaire suinte de tous les pores de sa prose bourgeoise.
L’aridité de son style reflète la sécheresse de son âme intranquille. La sécheresse de son âme reflète l’avidité de son style de vie mercantile.
Toute société coupée en deux classes est nécessairement idéaliste : l’élite éclairée dicte les normes, et la masse brute doit les subir sans discussion.
A notre époque vénale du capital, les penseurs contemporains sont contraints à la médiocrité ou au silence.
Avec un sens courtisanesque et vil, souvent, l’intellectuel organique débite servilement en public ce qu’il a ingurgité débilement dans le huis clos scolaire. Paré d’un savoir vénal étranger à l’école de la vie, son discours exhale les relents putrides de sa caste intellectuelle. Dans cette société de la division entre travail intellectuel et travail manuel, la plume de l’intellectuel organique, il l’exerce à nous déplumer de notre avidité de justice sociale, de notre aspiration à la dignité. Trempée dans l’encrier religieux ou fataliste, libéral ou consensuel, sa plume s’apparente à des prédications des religions de la résignation. Son savoir officiel, puisé dans le temple de la connaissance sanctifiée par la doxa étatique garante de la culture statique, ne risque pas d’enflammer les esprits assoiffés d’éruptions politiques, affamés de tremblements sismiques sociaux et économiques, avides de justice sociale.
Ses écrits ne risquent pas d’enthousiasmer la foule lettrée miséreuse d’enchanter leur imagination bridée par les pouvoirs établis.
Algérien, mais aussi citoyen du monde, fils (petit-fils, neveu, cousin, enfant d’un village et d’une région de la Kabylie, Aïn El-Hammam) de moudjahid(s), je cherche seulement modestement à secouer les consciences afin de les inviter à la réflexion politique, à l’introspection intérieure, à la défécation des toxines comportementales nuisibles au développement de notre personnalité et donc de notre pays, à l’édification d’une société humaine.
Enfin, en tant qu’Algérien, je veux être aussi la mauvaise conscience de l’Algérien. Celui qui, par humilité et humanité, pointe du doigt les dysfonctionnements de notre pays, les aberrations de notre société, les archaïsmes de notre univers culturel, les purulences de nos pratiques cultuelles. Celui qui dénonce les conformismes, les conventions établies. Qui veut libérer notre société algérienne des institutions répressives et des aliénations dépressives. Qui veut transformer le monde pour changer la vie. Donc, pour changer la vie, il semble indispensable de transformer le monde.
En un mot, je tente par mes modestes contributions de mener un travail de démystification et de démythification de nos modes de penser, de nos manières d’existence, de nos façons d’appréhender la politique, de nos modalités d’analyser nos convergences et surtout nos divergences en matière politique et philosophique, éducationnelle et religieuse. Libre à chacun ensuite d’apporter sa pierre réflexive et combative à l’édifice de cette entreprise de dynamitage de notre manière d’être régressive, de pulvérisation de notre société oppressive, répressive, dépressive.
Pour moi, chaque écrit crie sa révolte. Chaque écrit décrit l’oppression de la vie. Ensuite, libre à chaque lecteur de partager ce cri de révolte, ou de se révolter contre mon cri. Ou de décrier mon écrit.
«Personne ne ment davantage qu’un homme indigné», a dit Nietzsche. L’indignation est indigne de l’homme digne. Seul l’homme révolté porte haut l’étendard de la dignité.
La révolte est l’enfant de la révolution. La révolution n’est que le saut qualitatif des révoltes quantitatives. L’indignation est la fille naturelle de la résignation. Elle proteste contre la société avec le drapeau du fatalisme et la mentalité du loyalisme.
Enfin, pour conclure, je ne peux résister à cet impératif devoir de partage d’une citation du poète-écrivain surréaliste André Breton, tant elle est encore d’actualité, mais sous nos islamiques cieux, en l’espèce l’Algérie. «Tant qu’on fera réciter des prières dans les écoles sous forme d’explication de textes et de promenades dans les musées, nous crierons au despotisme et chercherons à troubler la cérémonie», a-t-il écrit. Pour le paraphraser, j’ajoute, pour ma part : tant qu’on continue à transformer l’école algérienne en annexe de la mosquée, le despotisme politique et religieux algériens pourra poursuivre cérémonieusement sa promenade autocratico-théocratique sans se heurter à aucun trouble authentiquement politique. Ni donc à une révolte sociale poétique en mesure de changer la vie par la transformation révolutionnaire de la société algérienne.
«Le but de l’écriture, c’est de porter la vie à l’état d’une puissance non personnelle» (Gilles Deleuze).
M. K.
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