Interview–L’opposant Bahar Kimyongür : «Erdogan veut ma tête !»
Algeriepatriotique : Vous avez annoncé sur les réseaux sociaux avoir été agressé au couteau par un pro-Erdogan. Que s’est-il passé exactement ?
Bahar Kimyongür : J’accompagnais Cahit Zorel, un ami sans papier depuis 17 ans qui manifestait depuis 49 jours en face du Conseil du Contentieux des étrangers auprès duquel il a introduit un recours contre une décision de l’Office des étrangers qui lui a refusé sa régularisation sur la base d’une note de la Sûreté de l’Etat concluant que ses opinions socialistes et révolutionnaires sont incompatibles avec la société démocratique belge. L’assaillant a tiré un couteau de sa sacoche alors que Cahit lui tendait un tract sans même savoir pourquoi nous nous trouvions là. En réalité, nous manifestions devant le tribunal pour pouvoir obtenir une date d’audience raisonnable. Après 17 ans d’attente, Cahit Zorel a fait preuve d’une incroyable patience. L’attaque au couteau avait l’air préméditée.
Votre tête a été mise à prix par le régime d’Ankara, il y a quelque temps. Pensez-vous que les fidèles d’Erdogan sont passés à l’acte ?
L’appel à passer à l’acte contre les supposés «traîtres», c’est-à-dire les opposants, est permanent. A quelques jours des élections présidentielle et législatives turques du 24 juin prochain, on sent une certaine nervosité parmi les sbires du régime. Ils commencent à douter de leur toute-puissance face à une opposition plus unie et plus confiante que jamais. Ceci étant, je pense que l’agression dont Cahit et moi-même avons fait l’objet relève davantage d’une violence routinière de la part d’un forcené gavé de propagande, comme on en trouve par milliers en Turquie et dans la plupart des pays européens. On ne compte plus le nombre de véhicules détruits, de sièges d’associations incendiés, d’opposants menacés ou tabassés. Récemment, des responsables de l’ambassade turque en Belgique ont proféré des menaces de mort contre des journalistes turcs exilés, via Internet, à partir de l’ambassade. Il y a quelques jours aussi, un homme s’appelant Erdal Akbaba a même été torturé par le personnel sécuritaire de l’ambassade turque à Rotterdam. La pression et la terreur sur les opposants sont permanentes.
Le gouvernement belge n’avait pas réagi à l’appel au meurtre. Pensez-vous qu’après cette agression les autorités belges vont réagir ?
Après quelques semaines de campagne de sensibilisation, et grâce aux interpellations parlementaires d’un membre du PTB (gauche) et d’un membre d’Ecolo, quatre ministres belges, y compris le Premier ministre, Charles Michel, ont fini par critiquer, à demi-mots, la chasse aux opposants encouragée par le régime Erdogan sur le sol belge au moyen de sa «Wanted List». La réaction fut tardive et timide mais significative toutefois. Même si le gouvernement n’a ni la volonté ni les moyens de me protéger de manière active, son message est plutôt positif. Suite à l’agression dont Cahit Zorel et moi-même avons fait l’objet, nous avons porté plainte. L’enquête suit son cours. Mais l’auteur n’a pas encore été identifié.
Que comptez-vous faire maintenant que les chasseurs de prime sont sur le sol belge et vous guettent ?
Je poursuivrai mes combats pour la démocratie en Turquie et ce, quel qu’en soit le prix. A force de recevoir des coups, on finit par ne plus sentir la douleur. Jamais, nous ne devons laisser la rue aux bandes fascistes du régime d’Erdogan. Si nous cédons face à ce tyran en Europe, il y fera la loi.
Propos recueillis par Mohamed El-Ghazi