Justice des Blancs
Par Sadek Sahraoui – La Cour pénale internationale (CPI) a fêté cette semaine le vingtième anniversaire de sa création. Négocié pendant près de trois ans, son traité fondateur avait été adopté au terme d’une session tumultueuse le 17 juillet 1998 à Rome. La CPI est le premier tribunal international permanent chargé de traduire en justice les individus responsables de crimes internationaux graves, y compris les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité et le génocide, lorsque les tribunaux nationaux ne peuvent s’en charger ou n’en ont pas la volonté.
Quel est le bilan de cette structure censée rendre justice aux opprimés dans le monde ? Il n’est pas très reluisant. Vingt ans après sa création, la CPI a instruit 26 affaires, la plupart encore en phase de procès, a délivré 32 mandats d’arrêt, dont 15 ont été exécutés, et fait 6 prisonniers, tous en détention. Pour bon nombre d’observateurs, la CPI met trop de temps à rendre justice. Il a fallu, par exemple, attendre 14 ans après l’adoption du Statut de Rome pour voir le premier accusé de la CPI condamné. Il s’agit de Thomas Lubanga, chef de milice en Ituri qui avait écopé de 14 ans de prison en 2012 pour avoir enrôlé des enfants comme soldats. La sentence a toutefois déçu puisque Lubanga aurait pu facilement être condamné à perpétuité tant il s’était distingué par une rare cruauté. Il avait fait, en effet, pire que d’enrôler des enfants comme soldats. Mais le plus grave n’est pas là.
Aujourd’hui, de plus en plus de voix en Afrique accusent la CPI d’être inéquitable et d’être utilisée comme une carte de pression ou un moyen de chantage par les «Blancs». Depuis qu’elle existe, la CPI n’a pratiquement enquêté qu’en Afrique et ne s’est attaquée qu’à des présidents africains. Des présidents plus en exercice. A titre d’exemple, il est possible de citer Uhuru Kenyatta du Kenya. C’est d’ailleurs à partir de là que l’Union africaine – dont les membres ont au début adhéré massivement à la CPI – a commencé à manifester de l’hostilité et de la méfiance envers la justice internationale, «une justice de Blancs pour les Noirs».
L’Afrique ne comprend d’ailleurs pas à ce jour comment des leaders occidentaux n’ont pas été inquiétés un seul instant alors qu’ils ont dévasté des pays entiers. Pour les Africains comme pour d’autres peuples, il ne fait pas l’ombre d’un doute que la CPI représente en réalité la justice des vainqueurs. Et tant que cette perception demeurera, cette Cour restera honnie et combattue.
A la CPI de donner donc la preuve qu’elle peut être équitable, ne serait-ce que par le discours. Cela serait déjà un bon début.
S. S.
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