Contribution – Pour en finir avec les harkis de la France coloniale
Par Kaddour Naïmi – La sagesse populaire française affirme : «Avant de demander à quelqu’un d’autre de balayer le seuil de sa porte, il faut d’abord commencer par balayer celui de sa propre maison.» Voici comment ce dicton s’applique à vous, Président actuel de la France, en ce qui concerne les harkis d’origine algérienne.
Avant de demander à l’Etat, représentant du peuple algérien, de reconnaître et de réhabiliter les harkis de la Guerre de libération nationale, il faudrait, auparavant, que vous donniez l’exemple. C’est-à-dire reconnaître et réhabiliter tous les Français qui, durant la domination nazie sur le peuple de France, ont collaboré avec l’occupant pour pourchasser, emprisonner, torturer et assassiner les combattants du peuple de France contre l’envahisseur nazi. Vous devriez donc reconnaître et réhabiliter le maréchal Pétain, son Premier ministre Laval, leurs militaires, milice, gendarmes, policiers, tortionnaires ainsi que les écrivains tels Robert Brasillach et Ferdinand Céline, qui justifiaient les crimes nazis, etc. Alors, et seulement alors, Président de la France, vous pourriez évoquer la reconnaissance et la réhabilitation de la part de l’Etat et du peuple algériens des harkis d’origine algérienne qui furent les auxiliaires de l’occupation coloniale de l’Algérie par l’oligarchie que vous représentez.
Encore que la comparaison n’est pas admissible. Osons un calcul horrible, mais nécessaire pour montrer à quel point vous êtes dans l’erreur, pour ne pas dire dans l’habituelle manipulation politicienne. Peut-on comparer les crimes contre l’humanité de l’occupant nazi en France avec les crimes contre l’humanité de l’occupant colonial français en Algérie ? Dès lors, peut-on comparer les harkis de la France avec les harkis de l’Algérie ?
Ajoutons une précision sémantique. Le harki, tel qu’on l’entend en Algérie, est une personne qui a trahi un noble idéal pour servir une conception criminelle. Le noble idéal, c’est l’égalité, la liberté et la solidarité humaines ; la conception criminelle, c’est la discrimination, la servitude et l’égoïsme. Dès lors, Maurice Audin, pour se limiter à cet exemple, n’est pas, comme certains l’ont étiqueté en France, un «harki» de la France car il n’a jamais servi la conception criminelle (colonialiste) mais, au contraire, le noble idéal (de l’indépendance d’un peuple vis-à-vis de ce même colonialisme). Il s’ensuit que si vous, Président de la France, croyiez qu’en reconnaissant et réhabilitant Maurice Audin les Algériens reconnaîtraient et réhabiliteraient les harkis d’origine algérienne, il faut alors vous rappeler la définition exacte du terme harki.
Dès lors, Président de la France, veuillez balayer le seuil de votre porte, de votre histoire ! Alors, seulement, vous pouvez vous adresser aux Algériens en ce qui concerne leurs harkis. Quant au peuple de France, il a déjà dénoncé ce curé qui eut l’imposture de déclarer : «Faites ce que je dis, mais ne faites pas ce que je fais !» Et Molière a déjà décrit ce qu’est un Tartuffe ! Et quant à l’Etat et au peuple algériens, ils n’ont pas régressé au point de renier l’idéal pour lequel furent assassinés, par des harkis, les combattants pour la libération nationale de l’Algérie, et des civils, accusés de les soutenir.
Si donc, Président de la France, vous voulez la reconnaissance et la réhabilitation des harkis, veuillez d’abord aller dans les cimetières de France où sont ensevelies les victimes des harkis français au service du nazisme, puis aller aux cimetières d’Algérie où gisent les victimes des harkis algériens, auxiliaires du colonialisme ; puis à ces martyrs des peuples de France et d’Algérie, demandez-leur la reconnaissance et la réhabilitation des respectifs harkis de France et d’Algérie.
Quant à vous, harkis d’Algérie, si vous désirez réellement non pas la reconnaissance et la réhabilitation mais, au moins, la considération du peuple algérien (et du peuple français), commencez par refuser, comme infamantes, les médailles que vos maîtres colonialistes vous concèdent (d’ailleurs, au compte-gouttes et bien tard), ensuite renoncez à vos indignes demandes de dédommagements pour «services» (criminels) rendus comme auxiliaires du colonialisme, enfin demandez pardon aux membres encore vivants des familles algériennes dont un parent fut torturé puis assassiné par vous.
Et n’ayez pas l’inconséquence de reprocher aux Algériens qui vous ont maltraités d’avoir employé contre vous la méthode qu’auparavant vous avez commencé, vous, par utiliser contre eux. Et, encore, dénoncez ce Président de la France qui veut vous utiliser encore comme harkis nouvelle version, c’est-à-dire comme «cinquième colonne» dans sa politique néo-coloniale au détriment de l’Algérie. Car, les preuves sont là, l’oligarchie française n’a pas renoncé à sa rapacité concernant les ressources naturelles de l’Algérie. Pourquoi y renoncerait-elle quand ses services secrets et son armée ont agressé des pays plus lointains où leur domination coloniale fut moins présente : la Libye et la Syrie ?
Non, Monsieur le Président de la France ! Les jeunes Algériens (ni les jeunes Français) ne doivent pas oublier le passé colonial de l’oligarchie dont vous êtes l’ultime et actuel représentant. Car, pour ces jeunes, le passé est le meilleur enseignant pour comprendre leur présent et leur futur. Sa leçon est la suivante : pour vivre en coopération authentique, autrement dit libre et solidaire, les peuples d’Algérie et de France doivent se manifester un respect réciproque. Cela commence par la reconnaissance officielle et publique du premier qui a commencé par commettre un crime contre l’humanité : ce fut l’armée coloniale de l’oligarchie française en 1830, crime poursuivi jusqu’en 1962 et éliminé uniquement par sept années de guerre de libération nationale algérienne, qui a coûté au peuple algérien ce que celui-ci et les Français honnêtes, autrement dit anticolonialistes, savent. Et que l’on cesse d’évoquer les «fellaghas égorgeurs» et «lanceurs de bombes». Déjà, Larbi Ben M’hidi avait répondu : «Donnez-nous vos avions et vos chars, et nous vous donnerons nos couteaux et nos bombes artisanales.» Il aurait pu ajouter : «Que vos colons et votre armée foutent le camp de notre patrie, et vous ne craindrez plus rien de notre part !» Il aurait encore pu dire : «En Algérie, nous nous comportons envers vous exactement comme les patriotes français se sont comportés envers les envahisseurs nazis.»
Pour finir, Monsieur le Président de la France, ce n’est pas parce que dans votre pays, depuis la fin de la présidence du général De Gaulle, les harkis français – dans tous les domaines de la vie sociale, et d’abord celle politique – servent actuellement les intérêts de l’empire financier-industriel états-unien, en y trouvant leur bénéfice de satellite inféodé au détriment du peuple français, ce n’est donc pas pour ce fait vulgairement opportuniste que vous pouvez vous bercer de l’illusion de créer le même harkisme parmi les Algériens au détriment de leur peuple.
Faut-il préciser, en conclusion, que ces propos ne sont dictés par aucun stérile ressentiment mais uniquement par la logique de la raison et l’éthique de la justice ? Sinon, reconnaître et réhabiliter les harkis d’Algérie, ce serait légitimer tous les harkis passés, présents et futurs au service de la domination de n’importe quel peuple de cette planète. Quelle personne dotée de saine raison et de juste éthique accepterait une telle légitimation de crimes contre l’humanité, à moins de représenter ou d’être au service d’une oligarchie, laquelle ne peut exister que par un crime perpétuel contre l’espèce humaine, crime lui niant son droit à une vie égalitaire, libre et solidaire ?
K. N.
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