Interview – Yves Bonnet : «Macron est soumis à des lobbies ultra-minoritaires»
L’ancien patron de la DST Yves Bonnet craint que «se développe une prévention à l’encontre des [Français] originaires du Maghreb et que la France ne se fissure à ce niveau», suite à l’attentat de Strasbourg qui, selon lui, n’aura cependant aucun impact sur le mouvement des Gilets jaunes. L’auteur du Berger de Touggourt relève, par ailleurs, dans cette interview à Algeriepatriotique, l’inexpérience et l’entêtement du président Macron dont il dit qu’il est «trop soumis» aux grands patrons, entre autres.
Algeriepatriotique : Quelle analyse faites-vous de la fusillade terroriste de Strasbourg et de ce qui s’en est suivi ?
Yves Bonnet : Aucun Etat ne peut échapper aux actions criminelles et les Etats-Unis nous offrent le spectacle d’une démocratie incapable de réfréner les assassinats gratuits perpétrés sans autre motivation que l’envie de tuer. Le terrorisme s’est greffé sur ce contexte de violences qui relèvent de la psychiatrie davantage que de motivations plausibles. Les organisations terroristes sautent sur l’occasion que leur offrent des personnes perdues – mentalement s’entend – et leur offrent un habillage qu’ils jugent «noble» sinon «héroïque». Dans un pays qui compte des dizaines de millions d’habitants, rien ne pourra jamais interdire ou restreindre le champ de tels crimes. Pas même le rétablissement de la peine de mort puisque les intéressés agissent sous le coup de «pulsions» par définition incontrôlables.
Je partage les réserves du ministre de l’Intérieur, Christophe Castaner, qui exprime ses doutes quant à la motivation du tueur et parle de récupération de la part de Daech.
A qui profite cet attentat dans ce contexte marqué par des troubles sociaux ?
La théorie du complot ne tient pas. Sa mise en œuvre exigerait la participation de dizaines, voire de centaines de comparses ce qui la rend impossible. Il y faudrait de plus un cynisme dont les autorités françaises sont heureusement dépourvues. A fortiori quand se trouvent intéressés des fonctionnaires qui appartiennent à tous les courants de pensée et d’expression politique.
Tous les indices convergent vers une liquidation physique de l’auteur présumé de l’attentat de Strasbourg, comme c’était le cas avec Mohamed Merah. Pourtant, le GIGN et le GIPN pouvaient l’arrêter en vie et remonter la filière…
Je suis, comme vous, perplexe quant à l’exécution du tueur. Je pense que c’est une erreur que de ne pas rechercher la neutralisation simple, surtout dans le cas de Merah qui avait probablement des choses intéressantes à dire et pour lequel le délai de réflexion a été démesurément long. Pour le tueur de Strasbourg, la police pouvait légitimement craindre une fusillade avec un risque de bavures collatérales. C’est sans doute là qu’il faut chercher l’explication.
D’une manière générale, ce n’est pas dans les méthodes, encore moins dans la déontologie des policiers français du quotidien. En revanche, certaines unités spécialisées peuvent avoir la «gâchette facile».
Les Français s’inquiètent de la montée de l’extrémisme en France qui n’a pas pu être jugulée par les différents gouvernements. A quoi cet échec est-il dû, selon vous ?
L’extrémisme en France a atteint ses limites et on assiste plutôt à une diminution de la pression. Aucun groupement ni organisation ne préconise le recours à la violence. L’évolution de l’extrême-droite s’opère vers davantage de respect de l’adversaire et Marine Le Pen se démarque sérieusement de Jean-Marie Le Pen. Il n’y a plus de menace anarchiste ni trotskiste. Quant aux Français issus de l’immigration, ils sont très généralement loyaux vis-à-vis des institutions. Donc, nous n’avons pas «tout faux» mais seulement «peut mieux faire».
Bien que le terrorisme frappe en France et en Europe en général, certains continuent de semer le doute sur les auteurs des massacres en Algérie dans les années 1990. Que vise cette désinformation qui dédouane les groupes islamistes armés ainsi innocentés par les zélateurs du «qui tue qui» ?
Il est effectivement consternant de constater la persistance de jugements qui visent l’Algérie contemporaine et qui émanent soit de l’extrême-droite – il s’en trouve de moins en moins –, soit d’une gauche qui se croit intelligente et avancée en soutenant les islamistes radicaux contre les autorités. C’est tellement facile ! La majorité des Français s’en fichent et c’est aussi affligeant. C’est pour cela que j’ai écrit Le Berger de Touggourt, non pas pour réhabiliter tel ou tel, mais pour la vérité et l’histoire. C’est, à mes yeux, très important et il me semble que les historiens algériens devraient se saisir du problème.
L’histoire de l’Algérie contemporaine est trop récente pour la laisser déraper avec des fadaises comme le «qui tue qui ?» qui ne repose sur aucun élément probant, ce qui veut dire «faisant preuve». A qui faire croire qu’une armée de conscrits, ce qu’était l’armée algérienne, pourrait commettre des exactions massives sans qu’aucun soldat qui en aurait été le témoin ne lève la main ? On voit bien qu’en France, de nombreux «anciens d’Algérie» attentent de la pratique de la tortue sans que leur témoignage ne soit contesté.
Pensez-vous que cet attentat va affecter le mouvement des Gilets jaunes ?
Les dérapages vers le droit commun – vols et bris d’installations – ont commencé à détourner nombre de Français de la contestation, réellement populaire et profonde, qui a secoué fortement le gouvernement. En ce sens, le mouvement des gilets jaunes a produit des effets à long terme qui pèseront sur la conduite des affaires du pays et la carrière politique de MM. Macron et Philippe. Je suis frappé par l’ampleur du mécontentement, sans doute très grave pour le gouvernement. En revanche, l’attentat de Strasbourg restera sans incidence sur le mouvement des Gilets jaunes.
Pour répondre à une question que vous ne m’avez pas posée, je crains davantage que se développe une prévention à l’encontre de nos compatriotes originaires du Maghreb et que la nation ne se fissure à ce niveau. Heureusement que les (bons) exemples d’intégration se multiplient et crédibilisent des citoyens comme les autres.
Le quinquennat du président français Macron se transforme en cauchemar pour lui et pour les Français. Macron pourrait-il démissionner, selon vous ?
Macron s’est donné trop de mal pour démissionner. On ne démissionne que si on est assuré d’être réélu, ce qui est loin d’être son cas. Macron paie son inexpérience, certains mauvais choix de personnes – affaire Benalla – et de politiques – la multiplication des énergies intermittentes – et son entêtement. Il est, par ailleurs, trop soumis à des lobbies ultra-minoritaires et sectaires – les antinucléaires, les LGBT, les grands patrons – et ne peut pas prendre son envol.
Interview réalisée par Mohamed El-Ghazi
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