Les cinéastes algériens s’insurgent après la tentative de suicide de Goucem
Par Hani Abdi – Quatre-vingt-deux professionnels du cinéma et de l’audiovisuel ont rendu publique une lettre ouverte dans laquelle ils expriment leur colère, leur désarroi et leur dégoût face à la situation de non-droit dans laquelle ils évoluent.
Commençant par la «terrifiante nouvelle» de la tentative d’immolation par le feu du producteur et réalisateur Youcef Goucem le 7 janvier devant le siège de Dzaïr TV, appartenant à l’homme d’affaires Ali Haddad, ces professionnels du cinéma dénoncent les conditions épouvantables dans lesquelles ils travaillent. «Ce qui a poussé Youcef Goucem à attenter à sa personne, dans un geste visant à exprimer sa détresse et son désarroi, nous le savons… mieux que quiconque», affirment-ils d’emblée, décrivant ainsi l’état d’anxiété extrême dans lequel se retrouve la majorité des réalisateurs et producteurs, en faisant «face aux problèmes rencontrés au cours d’une production ou entravant sa finition, ou retardant indéfiniment l’acquittement des dettes engendrées par celle-ci».
Ces professionnels du cinéma poursuivent leur lettre en énumérant tous les problèmes qu’ils vivent au quotidien, notamment ceux relatifs au financement et à l’acquittement des dettes engendrées par la réalisation d’un film, d’un documentaire ou d’un programme télé. «Qui d’entre nous n’a pas connu la solitude la plus désarmante quand il faut démêler des engrenages inextricables, sans que cela dépende de votre seule volonté ? Qui n’a pas connu l’embarras de ne savoir quoi dire à des techniciens ou à des comédiens qui en arrivent à vous réclamer leur dû ? Qui n’a pas vu son énième nuit de sommeil voler en éclats ? Qui n’est pas sorti cassé d’une entrevue ou d’un rendez-vous qu’il espérait salutaire ? Qui ne s’est pas senti décomposé à la simple lecture d’un mail ou à l’ouverture d’un courrier en recommandé ? Qui n’a pas craint la banqueroute ? Qui ne s’est pas raclé les genoux à courir derrière une tranche de financement dont la suivante a déjà été dépensée ? Qui n’a pas sollicité l’emprunt personnel pour palier une régie insuffisante ? Qui n’a pas craint la menace d’un arrêt de tournage ? (…) Qui d’entre nous pourrait prétendre ne pas savoir ce qui a poussé notre collègue à vouloir en finir avec son calvaire ?» se demandent-ils pour donner une idée sur les tracas quotidiens d’un producteur et réalisateur.
Ces professionnels du cinéma se disent ainsi révulsés par le fait qu’ils soient pris au dépourvu et qu’ils n’aient rien d’autre à proposer à Youcef Goucem que leur «solidarité morale et (leur) compassion fraternelle». Ils se demandent dans ce sillage jusqu’à quand ils vont rester des témoins passifs de leur incapacité à servir leur intérêt commun. Ils appellent ainsi à réagir en rangs serrés face à ces grandes injustices qu’ils subissent. Ils estiment que le passage à l’acte de Youcef Goucem doit les pousser à s’élever vers des initiatives de rassemblement, de reconquête de leur espace de parole et de créativité, d’exercice de leurs droits et de préservation de leurs acquis.
Parmi les professionnels du cinéma signataires de cette lettre ouverte, il y a Djaâfar Gacem, Belkacem Hadjadj, Yamina Bachir Chouikh, Ahmed Bedjaoui, Amina Badjaoui-Haddad, Malek Bensmail, Moussa Haddad, Lotfi Bouchouchi, Ahmed Benkamla et Badra Hafiane.
H. A.
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