Al-Sarraj avertit l’Italie et l’Europe : «Nous courons vers une nouvelle catastrophe humanitaire»
De Rome, Mourad Rouighi – Bien avant sa participation au récent sommet de l’Union africaine, le Premier ministre libyen, Fayez Al-Sarraj, avait mis en garde l’Italie et l’Europe contre le risque réel d’un nouvel exode à partir des côtes de son pays, au vu du chaos y régnant et du manque de moyens dont dispose son gouvernement pour pouvoir endiguer un flux aussi grand en provenance, notamment, de la région du Sahel.
D’aucuns y ont vu un aveu d’impuissance doublé d’une volonté d’aboutir très vite à une gestion partagée, tant de fois promise par la communauté internationale, d’un phénomène qui a pris des proportions énormes. D’autres ont préféré minimiser la portée de ces déclarations.
Mais concrètement, quels ont été ces bouleversements et ces nouvelles donnes qui ont motivé cette mise en garde ?
Un début de réponse nous est fournie par une source au fait du dossier et chargée par l’actuel dicastère italien du suivi de cette question avec la partie libyenne, et particulièrement avec le cabinet installé à Tripoli.
En effet, selon cette source, plus d’un million de migrants ont pu traverser l’année dernière la région du Sahel et gagner la Libye et attendraient de pouvoir traverser la Méditerranée mais seuls 20 000 d’entre eux seraient gérés dans les camps de transit placés sous l’autorité du gouvernement, ce qui veut dire que les migrants restants (plus d’un million) vogueraient en ce moment dans la nature ou seraient pris en charge par des milices qui s’autofinancent en monnayant cher le droit d’embarquer vers l’eldorado européen.
Et si les accords avec l’Italie ont pu réduire de manière drastique le nombre de migrants ayant rejoint la péninsule en provenance des côtes libyennes, l’ingéniosité des organisations criminelles de part et d’autre de la Méditerranée est sans cesse à la recherche de failles leur permettant de déjouer la vigilance des forces conjointes chargées de contrôler la région.
D’où le choix de nouvelles localités, situées à mi-chemin entre les villes de Sabrata et Misrata, où afflueraient des milliers de migrants, parqués dans des lieux discrets, en attendant le blanc-seing des milices, qui misent sur une gestion plus discrète de ce trafic pour ne pas susciter une réaction trop musclée des autorités italiennes. Plus précisément la ville de Gasr Garabulli, à l’est de la capitale, a vu tripler sa population, avec l’arrivée de jeunes Nigériens, Maliens, Gambiens Et Marocains.
Autre localité au bord de l’asphyxie du fait d’une impressionnante présence de migrants est Khoms, située non loin des vestiges de la ville romaine Leptis Magna.
C’est tout cela qui a fait dire à Fayez Al-Sarraj : «Au lieu de critiquer le gouvernement pour d’éventuels mauvais traitements subis par quelques migrants, l’Europe gagnerait à fournir l’assistance promise ar la Libye, en l’état actuel et toute seule, n’est pas en mesure de faire face à cette incessante déferlante.»
Ajoutez à cela la récente avancée des troupes de Khalifa Haftar en direction du sud et les querelles quasi quotidiennes entre les autorités de Misrata et le Premier ministre sur l’avenir politique du pays, allant jusqu’à menacer de boycotter les décisions de ce dernier et vous aurez un cadre que certains observateurs décrivent comme étant pré-apocalyptique.
Une thèse que partage le quotidien romain Il Tempo, qui relève, dans un dossier consacré à ce sujet, que le chaos né au lendemain de la défenestration du colonel Kadhafi a permis à des bandes criminelles de prospérer, notamment en constituant des bases logistiques échappant au contrôle de ce qui reste des structures étatiques et en gérant directement le transit juteux de cette masse de désespérés, prête à tout pour un sésame lui ouvrant les portes de l’autre rive de la Méditerranée. «Al-Sarraj a raison, conclut l’auteur, l’Europe doit réviser sa copie ou se résigner à un nouvel exode».
M. R.
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