Le pouvoir veut rassurer l’Occident plus que la nation algérienne
Par Dr Arab Kennouche – A l’orée d’une nouvelle transition politique en Algérie, bien plus que la forme qui est devenue l’objet de profondes divergences entre les partisans d’une conférence nationale post ou pré-électorale, d’une révision constitutionnelle ou non, d’un chamboulement de tout le système, ou d’une gradation dans le changement, c’est bien l’esprit de telles réformes qui doit primer avant tout. Car tous les échafaudages politiques, institutionnels, constitutionnels, n’auront de valeur probatoire que s’ils s’inspirent d’un esprit véritablement patriotique qui prône, comme en Novembre 1954, une indépendance totale et inconditionnelle du peuple algérien dans le choix de ses représentants.
On ne peut craindre de l’avenir de l’Algérie que si ce principe d’indépendance nationale est bafoué, surtout dans ce contexte effervescent où la nation démontre sa force de résistance à l’oppression même la plus enrobée, et sa volonté de puissance dans la détermination de son avenir politique. L’esprit de Novembre pourra vaincre toutes les incertitudes quant à la forme de l’Algérie politique nouvelle, quels qu’en soient les acteurs, les partis, les cadres formels et informels de l’expression politique. Mais si l’on viole cet esprit d’indépendance nationale, synonyme en Algérie de résurrection du peuple, on aboutira à toutes les catastrophes politiques, même avec les meilleurs politiciens et constitutionalistes du pays.
Le problème politique n’est donc pas qu’institutionnel. Or, que se passe-t-il depuis l’irruption de la volonté populaire sur le devant de la scène politique en Algérie, le 22 février 2019 ? Le chassé-croisé des manifestations populaires et des réactions du pouvoir politique démontre une déficience profonde dans la prise en compte et la revivification de l’esprit de Novembre, dont le principe repose sur le concept d’indépendance totale. Totalité de l’indépendance, locution qu’il faudrait presque réciter comme un verset sacré, puisqu’elle transparaît comme un axe central du combat politique des Algériens depuis les dissensions entre Imache et Messali El-Hadj de l’Etoile nord-africaine, jusqu’aux avatars du révisionnisme des assimilationnistes, pour finir encore aujourd’hui à un retour de «souveraineté limitée» dans les solutions apportées par le pouvoir actuel aux partisans d’un refus du 5e mandat.
Si le pouvoir politique actuel n’entend pas l’esprit de Novembre 1954 dans la voix de ces femmes, de ces jeunes, de ces hommes fiers de renaître, il n’a alors pas encore saisi l’étendue des problèmes qu’il aura à affronter dans le futur lorsqu’il faudra concrètement rendre au peuple les attributs de sa souveraineté. Or, la désignation même de Lakhdar Brahimi à la tête d’une mission de communication politique d’urgence, adoubé d’un second diplomate, Ramtane Lamamra, indique clairement la fausse lecture entreprise par les autorités sur l’ampleur d’un phénomène politique évidemment bien plus profond qu’il ne le donne à penser, puisqu’il exprime en plus d’un changement de régime, l’avènement d’une forme totale d’indépendance politique.
Très peu d’échos ont été répercutés dans la gestion actuelle de la crise sur ce besoin d’indépendance totale du point de vue politique. Il est vrai que le concept est difficile à cerner, mais retenons de l’histoire récente que l’Algérie n’a jamais cédé sur le terrain de la complétude de l’indépendance ou de sa viabilité, en refusant de concéder le Sahara à la France, ou bien même de négocier avec l’ancienne puissance coloniale une sorte de Commonwealth en Algérie, qui incarnerait une «relation privilégiée» avec Paris. Le président Abdelaziz Bouteflika, au plus fort de la diplomatie algérienne, s’est fait le plus grand contempteur de la doctrine de la souveraineté limitée que les Etats-Unis et l’ex-Union soviétique s’ingéniaient à expérimenter dans les nouveaux Etats indépendants d’Afrique et d’Asie.
Néanmoins, aujourd’hui, le pouvoir présidentiel donne l’impression de vouloir rassurer l’Occident plus que la nation algérienne dont les niveaux d’exigence patriotique dépassent largement les prises de position officielles. Il a été, en effet, maladroit de convoquer le gotha politique algérien habitué de l’international pour venir résoudre une question touchant le cœur de la nation et certainement une grande partie d’entre elle qui ne connaît pas encore l’étranger. La gestion de l’extérieur d’une crise nationale ne peut que conduire à l’impasse politique et à l’irruption d’acteurs beaucoup plus proches du peuple, mais dont les visées antinationalistes pourraient aussi mettre en danger la patrie.
Une fois de plus, un tel esprit ne vient pas en phase avec celui d’un peuple qui se remémore les chaînes de Novembre 1954. Il ne faut donc pas se tromper sur la nature du problème que cette crise politique incarne, et y voir du calcul, du jeu, de la manigance là où il n’y a que recouvrement d’un droit inaliénable. Celui d’une pleine souveraineté du peuple qui ne doit plus souffrir de ne pas pouvoir s’exprimer librement même pour ses droits politiques. En se parant d’une certaine légitimité internationale, le pouvoir politique algérien se défausse devant l’urgence d’une crise politique dont la solution devrait avoir pour unique principe de base, l’indépendance totale de la nation et, pour corollaire, l’expression de sa souveraineté de l’intérieur et non plus de l’extérieur.
Le prochain président de la République sera un tel homme. Un homme proche du peuple et n’hésitant pas à le visiter dans les moindres recoins du pays. Il ne peut en être autrement depuis que les élites politiques algériennes ont quitté la scène nationale pour s’adonner à la scène internationale, qui depuis Paris, qui depuis Genève ou Washington et Dubaï ont imprimé dans la conscience nationale l’image d’une Algérie-comptoir comme du temps des Phéniciens et des Français. Ce ballet incessant des politiciens algériens sur les plateaux de télévision français est l’expression même d’une recherche vaine de popularité médiatique tout comme il symbolise la défaite de l’esprit de Novembre. Pourtant, il faut bien savoir que c’est en Algérie que le combat a lieu et qu’il n’est plus possible de douter de la résurrection nationale face aux grandioses manifestations du peuple des 8 et 15 mars 2019. Se chercher de nouvelles institutions en dehors du concept d’indépendance totale et inconditionnelle reviendrait à commettre l’impair d’un second détournement politique, d’une nouvelle confiscation qui aurait des conséquences fâcheuses pour le pays.
Le danger d’une cautérisation précipitée plane sur l’Algérie politique. C’est le message envoyé par un pouvoir qui temporise et se rend sourd des injonctions du peuple. L’Algérie de ses 20 dernières années s’est profondément internationalisée au point de s’être complètement dévêtue : nous avons connu les messies pétroliers de Washington, les messies purificateurs de Riyad et d’Istanbul, les messies financiers d’Abu Dhabi et de Doha, sans oublier les messies «démocrates» de Paris. Nous voici désormais confrontés aux messies onusiens, abreuvés d’universalité et de neutralité. Des mots qui ont un autre sens chez nous.
A. K.
Ndlr : Les opinions exprimées dans cette tribune ouverte aux lecteurs visent à susciter un débat. Elles n’engagent que l’auteur et ne correspondent pas nécessairement à la ligne éditoriale d’Algeriepatriotique.
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