Le «giletjaunisme» nouveau ferment du terrorisme ?
Par Mesloub Khider – «Ce n’est pas la conscience qui détermine l’être, c’est l’être social qui détermine la conscience.» Ce sentencieux axiome, asséné par Karl Marx, se vérifie régulièrement. Ainsi, avec la prise d’otage (avec bonheur au dénouement heureux) de quatre femmes retenues dans un bar-tabac PMU situé à Blagnac, en France, commise le mardi 7 mai 2019 par un jeune de dix-sept ans, vient encore une fois se vérifier concrètement cette criante évidence sociologique.
En effet, ce fait divers, d’apparence anodine, dévoile en réalité les ressorts de la psychologie humaine travaillée par les soubresauts de la société, la lutte de classe. L’homme n’est pas une créature éthérée vivant dans le ciel des idées, mais un être social bien ancré dans le sol de la société qui le féconde humainement et le façonne psychologiquement et intellectuellement. Il est surtout le produit de son époque. Il épouse inexorablement les vicissitudes politiques de sa société. Il manifeste une sympathie grégaire pour les nouvelles idéologies popularisées par les médias. Il se rallie spontanément aux mouvements de révolte.
A décortiquer les mobiles du jeune preneur d’otage, à peine sorti de l’adolescence mais qui peine à entrer dans la vie adulte, cette société d’adultes aujourd’hui déchirée par une scandaleuse fracture sociale, on relève qu’il a agi par «conviction politique», en partisan subversif du combat du mouvement des Gilets jaunes.
A l’instar de nombreux jeunes des pays occidentaux qui, depuis quelques années, sous l’influence d’une actualité bombardée d’informations explosives en provenance de nombreux pays englués dans des guerres prétendument confessionnelles mais commanditées en vrai par les puissances impérialistes, se métamorphosent soudainement en terroristes pour épauler Daech engagé dans la guerre en Irak et en Syrie, ce jeune français semble le premier militant radicalisé à inscrire le combat des Gilets jaunes sur le terrain de la «lutte armée» pour apporter sa collaboration combattante par une «action directe». Au reste, dans sa revendication, il s’est défini comme le «bras armé» des Gilets jaunes, une affirmation confirmée lors de sa garde à vue. En outre, selon la patronne du bar-tabac, le forcené «semblait obéir à des ordres».
De surcroît, dans une vidéo, le jeune homme indique avoir été recruté par une milice armée et annonce une prochaine action à Paris. En effet, selon les informations, le jeune homme semble avoir agi pour dénoncer la politique antisociale appliquée par le gouvernement Macron. Pour preuve, dans une lettre testament retrouvée chez ses parents, il revendique une société plus égalitaire. Dans sa vidéo, le jeune déclare : «Je suis pas un terroriste. Je fais juste ça pour que les gens vivent mieux. ». Et de préciser : «Pour info, j’ai été recruté par une milice qui s’appelle… (…), c’est une milice armée qui cherche juste… que l’Etat soit plus juste.»
On relève le même schéma de pensée et d’action justificatrice que chez les jeunes radicalisés islamistes. Avec les djihadistes, «on commet des attentats terroristes car la France tue des pauvres musulmans innocents en Irak et en Syrie». Avec les «giletjaunistes» radicalisés, «on s’attaque aux symboles de l’Etat car il applique une politique agressivement antisociale et réprime violemment de pauvres manifestants».
Quoi qu’il en soit, avec le l’émergence du «giletjaunisme» et l’exacerbation de la violence perpétrée aussi bien par les manifestants que par la police, faut-il s’attendre à l’amplification de la radicalisation d’une grande partie de la jeunesse, voire à la naissance d’une nouvelle forme de terrorisme perpétré par une génération de Français désespérée, en guerre contre l’oligarchie du pouvoir ? L’islamisme étant en pleine déliquescence, consécutivement à l’écrasement militaire de Daech, la lutte de classe revenue sur le devant de la scène sociale internationale avec une vibrante acuité, le terrorisme «islamiste» semble progressivement s’essouffler. Et pour cause. Aujourd’hui, les puissances impérialistes n’ont plus aucun intérêt immédiat à poursuivre leurs guerres. Elles ont une «guerre sociale» à mener contre leurs populations laborieuses respectives, en révolte contre le pouvoir des riches.
Aussi, le modèle identificatoire en matière idéologique et de combat pour une grande majorité de la population prolétarienne précarisée et paupérisée commence-t-il à se cristalliser sur le mouvement des Gilets jaunes. Le «giletjaunisme» est la nouvelle cause de combat des jeunes en perdition. Paradoxalement, le jeune preneur d’otage de Blagnac présente le même profil que les nombreux djihadistes auteurs, ces dernières années, d’actes terroristes : pathologie psychiatrique prononcée, antécédents délictuels et criminels avérés, échec scolaire manifeste, relégation sociale et géographique révoltante.
Le «giletjaunisme» supplantera-t-il l’islamisme comme ferment d’engagement armé, comme soubassement à l’action terroriste ? Tout porte à croire que, à la faveur de l’exacerbation de la lutte de classe en France, de nombreux prolétaires enragés s’apprêtent à emboîter le pas des anciens djihadistes. L’étoile de l’islamisme pâlie, graduellement éteinte par les puissances impérialistes en butte à des crises sociales internes violentes, le «giletjaunisme» se prépare-t-il à jouer le nouveau rôle de lueur d’espoir pour une partie de la jeunesse française (occidentale) pour lutter contre le pouvoir, quitte à s’enrôler dans des organisations armées, à recourir au terrorisme ? D’aucuns, des «loups solitaires» d’un nouveau genre, par fascination pour le «giletjaunisme» radicalisé ou par besoin de célébrité via les réseaux sociaux, pourraient l’utiliser comme emblème pour commettre des attentats irrationnels… La France a connu le terrorisme rouge, fruit de la Guerre froide, puis le terrorisme vert, production des puissances impérialistes. Connaîtra-t-elle prochainement le terrorisme jaune, résultat de l’agressive politique antisociale et des violentes répressions policières perpétrées par le gouvernement Macron ?
M. K.
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