Interview – Hakim Belahcel : «L’élection du 4 juillet est un énième coup de force»
«La crise s’est aggravée et les chances de s’en sortir à moindre coût sont devenues, hélas, minces et limitées», affirme le premier secrétaire du Front des forces socialistes (FFS) qui regrette que les propositions de sortie de crise formulées par son parti n’aient pas été prises en considération à temps. Interview.
Algeriepatriotique : Quelle est votre lecture concernant les dernières arrestations de Hanoune, Toufik, Tartag et Saïd Bouteflika ?
Hakim Belahcel : De prime à bord, permettez-moi de vous signifier mon refus catégorique de considérer l’arrestation de Mme Louisa Hanoune, la secrétaire générale du Parti des travailleurs, la militante et l’opposante au régime oppresseur algérien depuis des décennies de la même manière que celle qui a été réservée aux trois autres personnes que vous avez citées.
Comparer l’arrestation de la responsable d’un parti politique d’opposition à l’arrestation de trois hauts dignitaires du régime despotique algérien qui ont tenu les destinées du peuple algérien et du pays durant pas moins d’un quart de siècle, relève déjà d’un manque criard de considération et de clairvoyance.
Au FFS, nous étions les premiers à dénoncer l’arrestation de cette cheffe politique, car nous avions jugé, à juste titre, qu’aucun prétexte ne pouvait justifier ce retour aux pratiques staliniennes qui visent à museler l’opposition et à torpiller la révolte populaire qui ébranle le pays depuis le 22 février dernier.
Cela s’ajoute, malheureusement, à la répression aveugle qui s’abat systématiquement sur les manifestations pacifiques et les vagues d’arrestations et d’intimidations qui ciblent les militants politiques et associatifs ainsi que les journalistes. D’ailleurs, je profite de cette tribune pour manifester encore une fois notre condamnation suite à l’arrestation de Mme Louisa Hanoune et nous exigeons sa mise en liberté sans délai.
Nous évoluons dans un climat très pesant et très inquiétant. Car, en l’absence d’une justice équitable qui fonctionne selon les normes universelles basées sur le respect des droits de l’Homme, sur des lois issues de la volonté populaire dans le cadre d’un Etat de droit qui consacre la séparation des pouvoirs, rien ne pourra disculper les commanditaires de ces arrestations de vouloir abuser d’un pouvoir absolu qui leur confère illégalement le droit d’instrumentaliser l’appareil judiciaire pour des fins inavouées dont les règlements de comptes entre clans rivaux du même régime. Cet avis est, d’ailleurs, partagé par la majorité de l’opinion publique, notamment les magistrats et les avocats.
Pour en finir avec l’arbitraire et l’injustice, nous devons nous atteler à édifier un appareil judiciaire indépendant qui applique des lois émanant de la légitimité populaire. Une fois mise sur pieds, la justice sera appelée à jouer son rôle pleinement pour trancher dans toutes les affaires qui ont trait aux abus des pouvoirs à tous les niveaux, l’enrichissement illicite et les affaire scabreuses, la dilapidation des deniers publics et autres affaires qui trouveront leur épilogue à l’abri des manipulations et des orientations .
Quelle est votre position par rapport à la persistance du chef d’état-major de l’ANP à vouloir maintenir la présidentielle du 4 juillet ?
S’agissant de la volonté opiniâtre de l’état-major d’aller advienne que pourra vers des élections présidentielles annoncées pour le 4 juillet prochain, nous affirmons, ici, que les initiateurs de cet agenda politique s’apprêtent à opérer un énième coup de force électoral. Ils n’inventeront rien, puisqu’ils ne feront que perpétuer une pratique frauduleuse et antipopulaire qui trouve racine au lendemain de l’indépendance. Sur ce plan, le pouvoir réel profitera du savoir-faire d’Abdelkader Bensalah et de Noureddine Bedoui qui, chacun à son niveau, a à son actif plusieurs opérations de fraudes électorales.
Le peuple algérien l’a pourtant bien signifié depuis presque trois mois maintenant. Rien ne pourra se faire avant le départ radical et définitif du régime politique en place, de ses symboles et la dissolution de toutes les institutions factices et impopulaires qui servent de socle à ce système illégitime et arrogant.
Pour le FFS, nous rappelons que nous étions le premier parti politique à avoir annoncé notre boycott actif de ce qui devait aboutir au 5e mandat de Bouteflika. Car nous considérons que l’élection présidentielle doit être l’ultime étape qui devra couronner un vrai processus de transition démocratique.
Comment organiser des élections présidentielles sous la houlette d’un gouvernement décrié, sous les commandes d’un chef d’Etat éclaboussé par son passé frauduleux et compromettant, sous l’emprise d’une loi électorale dépassée et sous le contrôle d’une armada juridico-administrative locale rodée au trafic du processus électoral depuis des décennies ? Cela relève de la pure chimère.
Comment valider un scrutin présidentiel qui est déjà rejeté par l’écrasante majorité du peuple algérien et qui sera boudé par plusieurs maires et plusieurs magistrats ? Comment faire approuver une échéance éminemment politique et qui sera boycottée par l’essentiel des partis politiques ? Cette fois-ci, le soutien de certains gouvernements occidentaux à ce projet de simulacre électoral ne sera d’aucun secours aux dignitaires du nouveau sérail.
Pire encore, l’état-major de l’armée n’a pas le droit de s’immiscer dans les affaires politiques du pays. Imposer une date pour la tenue d’une élection majeure comme les présidentielles relève d’un abus d’autorité gravissime.
Le peuple algérien s’est révolté depuis plusieurs semaines pour mettre fin au rêve monarchique de Bouteflika et n’acceptera jamais de sombrer sous l’emprise d’une dictature militaire.
Comment voyez-vous la suite des événements, après treize semaines de contestation populaire ininterrompue ? Etes-vous optimiste ?
La situation du pays aujourd’hui est très complexe. Elle évolue du jour au lendemain d’une manière accélérée, fermant ainsi et d’une manière spectaculaire et définitive la parenthèse de plusieurs décennies de stagnation politique et de statu quo suicidaire.
Si beaucoup d’acteurs politiques ou autres observateurs de la scène politique nationale, qu’ils soient d’ici ou d’ailleurs, furent secoués et étonnés par cette formidable révolte populaire et de la maturité politique et du sens élevé du patriotisme du peuple algérien, ce ne fut certainement pas notre cas au sein du FFS.
Il est inimaginable et irraisonnable de prévoir une tout autre réaction d’une population majoritairement composée d’une jeunesse talentueuse, ouverte sur ce qui ce passe dans le monde actuel, comme métamorphose et progression politique, sociétale et scientifique. Il est surtout impardonnable de considérer que les plusieurs décennies passées sous l’emprise de la dictature, de privation et d’interminables atteintes aux droits de l’Homme, avaient définitivement assassiné l’espérance chez les Algériennes et les Algériens. Cet espoir profond et légitime qui consiste à pouvoir un jour vivre dignement et librement dans un pays libéré du joug colonial, il y a de cela plus d’un demi-siècle.
Après plusieurs semaines de grandes mobilisations à travers le pays, nous pouvons dire que la dynamique populaire est toujours intacte. Ni la propagande mensongère distillée à travers les réseaux sociaux et certaines chaînes satellitaires privées, ni la répression et les restrictions, ni la canicule, ni le Ramadhan n’ont eu raison de la formidable détermination des millions d’Algériennes et d’Algériens.
Oui, au FFS, nous sommes optimistes, car nous sommes au milieu de cette population et nous savons donc son infaillible attachement à son autodétermination. Les écueils sont là, les difficultés aussi, à nous de les contourner, d’aller vers l’essentiel et d’éviter d’être embarqués dans les stratagèmes du pouvoir et dans ses faux semblants. Le combat continue.
Les départs successifs des «symboles» du pouvoir augurent-t-il, à votre avis, d’une solution à la crise ?
Comme j’ai eu à le déclarer auparavant, le véritable pouvoir algérien a toujours su se cacher derrière plusieurs façades officielles. Hormis la façade incarnée par le chef de l’Etat, il existe d’autres vitrines institutionnelles comme l’APN, le Sénat et le gouvernement qui font mine de vernis politique destiné à séduire essentiellement l’opinion internationale. Quant à l’opinion nationale, elle a toujours dénoncé et désavoué le caractère illégitime et fallacieux de ces instances officielles.
Ainsi donc, le départ forcé et précipité de certains symboles du régime totalitaire algérien fait partie des acquis de la formidable révolution populaire du 22 Février. Mais nous savons tous que cela n’est pas une raison suffisante pour crier victoire et déclarer la fin du régime. Le chemin reste long mais nous sommes sur la bonne voie.
Que vous inspire l’engagement réitéré par chef d’état-major de l’ANP d’accompagner la transition ? Accepteriez-vous, demain, de dialoguer avec le commandement de l’armée ?
En tant que parti politique, nous ne pouvons pas et ne devons pas juger les tenants du pouvoir réel en Algérie sur leurs déclarations d’intentions, mais plutôt sur leurs actes sur le terrain. Les faits sont là et ils sont têtus. Contrairement aux promesses du chef d’état-major de l’armée, nous constatons le retour vers les années de plomb et l’installation de dictature militaire. La répression des marches pacifiques, l’interdiction de rallier la capitale pour manifester, une campagne d’arrestations contre des militants politiques , associatifs et journalistes, le maintien de Bensalah et de Bedoui contre la volonté populaire, la résurgence des archaïsmes, l’organisation d’une conférence nationale de dialogue fantoche boudée même par ses promoteurs, la décision d’organiser des élections présidentielles d’une manière unilatérale, le maintien des deux chambres parlementaires, véritables béquilles du système qui lui ont ainsi permis de faire passer l’article 102 de la Constitution, puis l’instrumentalisation de l’appareil judicaire pour régler des comptes internes au pouvoir.
Le summum des abus se situe dans son refus de se porter garant d’un processus de transition démocratique, seule et unique issue pour faire sortir notre pays de l’impasse politique qui mine son avenir et qui expose son peuple à tous les périls. Plus grave encore, le chef d’état-major est farouchement réfractaire à l’idée même de passer par une période de transition démocratique. Pourtant, c’est la revendication majeure et essentielle de la révolution populaire.
Votre parti a toujours appelé à la «reconstruction du consensus national» et vous militez aujourd’hui pour une forme de transition consensuelle. Comment l’imaginez-vous concrètement, cette transition ?
L’un ne contredit pas l’autre, au contraire. Au FFS, nous considérons que nous devons tous œuvrer afin de trouver une issue consensuelle à la crise multiformes qui paralyse notre pays depuis des décennies. Le FFS a toujours préconisé des solutions négociées, basées sur le compromis politique et le dialogue apaisé. L’histoire politique et militante du FFS démontre que nous avions proposé plusieurs initiatives politiques de sortie de crise, mais qui sont restées malheureusement sont réponses de la part d’un régime politique arrogant et aveugle. Le résultat est là. La crise s’est aggravée et les chances de s’en sortir à moindre coût sont devenues, hélas, minces et limitées.
Notre dernière initiative politique de sortie de crise, pour l’avènement de la deuxième République, n’est que la version actualisée des précédentes initiatives politiques proposées depuis des années par notre parti. L’objectif majeur de cette initiative, c’est de mettre le peuple algérien au centre de toutes les légitimités. Dans le choix des procédures, des hommes et des lois.
Au terme de ce processus de transition que nous avions largement explicité dans notre dernière initiative politique, qui traversera les étapes suivantes : le dialogue à travers une conférence souveraine qui aboutira à un pacte politique, puis la mise en place des institutions de transitions suivantes : la convention nationale du suivi et de contrôle de la transition (CNSCT) ; l’instance de suppléance ; le gouvernement de transition. Une assemblée constituante souveraine sera élue et qui dotera notre pays d’une nouvelle Constitution forte de la légitimité populaire.
Voilà donc les grands axes de notre initiative politique pour l’avènement de la deuxième République.
Pourquoi les partis de l’opposition n’arrivent-ils pas, à votre avis, à s’entendre pour formuler des propositions communes et peser dans le processus actuel ?
Les partis politiques d’opposition évoluent dans un environnement délicat et périlleux. Sans avoir la prétention ni la volonté d’ailleurs de m’ériger en leur porte-parole, je peux dire que le pouvoir à tout fait pour réduire la voix de l’opposition à sa plus simple expression : fermeture des espaces permettant l’exercice politique, comme les restrictions administratives pour obtenir des salles de conférences, fermeture des espaces médiatiques lourds comme les médias publics, fomentation de crises internes pour neutraliser les partis autonomes et les astreindre à s’occuper des problèmes subsidiaires pour négliger l’essentiel.
Malgré cela, certains partis politiques d’opposition continuent à résister et à lutter. Pour notre part, nous avons toujours œuvré à tisser des liens politiques et construire des possibilités de dialogue entre nous. L’esprit de notre dernière initiative est justement alimenté de la nécessité de conjuguer nos efforts et de mettre de côté les divergences de forme.
Notre parti a déjà commencé à rétablir des contacts et a rencontré plusieurs responsables de partis politiques d’opposition ainsi que de nombreux organismes associatifs et sociaux et certaines personnalités indépendantes. Les échanges sont riches et augurent d’un partenariat plus rentable et efficient.
Le FFS traverse depuis quelques semaines une période trouble. D’aucuns pensent que cette situation a été provoquée – ou du moins précipitée – par le soulèvement populaire. Que répondriez-vous à cela ?
Comme je l’ai signalé précédemment, un parti d’opposition autonome comme le nôtre, qui jouit d’une crédibilité sans faille, d’une histoire et d’un patrimoine politique enviables et d’une représentativité remarquable à l’échelle nationale, ne peut pas rester sans attirer les foudres d’un pouvoir rancunier et revanchard. Le FFS paye aujourd’hui comme hier d’ailleurs, le prix fort, pour ses prises de positions courageuses et pour son choix naturel de rester aux côtés du peuple dans sa formidable révolution.
La lucidité des dirigeants du FFS et la vigilance de ses militants feront dépasser à l’héritage de feu Hocine Aït Ahmed cette zone de turbulences qui nous a certes ralentis dans notre élan, mais qui ne nous a jamais détournés de l’essentiel.
Vous aviez démissionné de votre poste de premier secrétaire national du FFS avant d’y renoncer, sans que nous en connaissions les raisons exactes. La situation a-t-elle changé depuis ?
Aujourd’hui, je suis profondément engagé et mobilisé avec mes camarades de la direction nationale, avec l’aide et le concours des valeureux militants du grand FFS, afin de rassembler la grande famille du Front des forces socialistes. Notre parti a une mission historique, celle d’être toujours aux côtés des Algériennes et Algériens jusqu’à la consécration finale. A savoir l’avènement de la deuxième République et l’instauration d’un Etat de droit, de liberté et de prospérité socioéconomique. J’y consacre tout mon temps et toute mon énergie.
Propos recueillis par R. Mahmoudi et Mohamed El-Ghazi
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