Extension du tramway de Constantine : exploitation à haut risque ?
Par Mohamed El-Ghazi – La mise en service de l’extension de la ligne du tramway de la ville de Constantine depuis la station Zouaghi-Slimane jusqu’à l’entrée de la nouvelle ville Ali-Mendjeli a eu lieu à la veille de l’Aïd. Assurant sur le transport sur une distance de 10,3 km, l’extension de la ligne du tramway permet désormais de relier la commune de Constantine, à partir de la gare intermodale Zouaghi-Slimane, à l’université Abdelhamid-Mehri, située à l’unité de voisinage 17 de la nouvelle ville.
Quelques heures après sa mise en service, le tramway s’arrête. Personne ne sait ce qui se passe. Les usagers, déçus, quittent la rame sans qu’aucune explication ne leur soit donnée.
Les tests nécessaires ont-ils été fait avant l’exploitation du tramway ? «Non», selon des usagers rencontrés sur place. Bien que les essais techniques aient été faits en avril dernier en présence des autorités locales, plusieurs anomalies sautent aux yeux, qui démontrent clairement que le lancement de l’extension s’est fait dans la précipitation.
En effet, comme le montrent nos images ci-dessous, l’aménagement des quais n’est pas terminé et les toits des abris des stations sont en verre cassable, ce qui présente un danger fatal pour les usagers.
Travaux du tramway pas encore finis. AP
Abris en verre cassable. AP
Egalement, il est constaté que la rampe destinée aux personnes à mobilité réduite n’est pas réglementaire. Impossible pour un handicapé moteur d’accéder seul au tramway. Les garde-corps installés dans les stations, censés protéger les usagers d’éventuelles chutes, sont déjà rouillés ! L’éclairage dont la hauteur est considérée trop basse, n’est pas conforme non plus.
Un coup d’œil sur les caméras de surveillance suffit pour se rendre compte qu’elles ne sont pas bien fixées.
Le passage d’une rame, prévu toutes les trois minutes aux heures de pointe selon les autorités concernées, est actuellement d’un intervalle de dix minutes, voire plus, avec une flotte de 27 trains pour la première ligne et de 24 pour l’extension. En outre, les talus sur terrain instable peuvent causer des pertes humaines et des dégâts matériels en l’absence de système de drainage des eaux de pluie.
Une autre anomalie attire l’attention : l’impossibilité du passage de deux rames en parallèle par le viaduc surplombant l’autoroute Est-Ouest. Le viaduc a-t-il été construit dans les normes, s’interrogent des citoyens.
Un autre problème, plus grave,est que la rame qui démarre de la station Zouaghi-Slimane s’arrête à Université-3 et ne peut continuer faute… d’énergie. Les usagers sont obligés d’attendre la rame suivante qui, souvent, arrive bondée. Tout cela sous un soleil de plomb. Ce tronçon devrait fonctionner avec quatre sous-stations d’alimentation. La quatrième n’étant pas prête, la rame ne peut continuer son chemin le long du tracé. Certains usagers de ce type de transport estiment qu’il vaut mieux attendre 10 minutes plutôt que des mois pour le lancement de l’extension.
Des ingénieurs travaillant pour ce projet auraient refusé de valider les travaux réalisés, tels ceux de la plate-forme du tramway qui doit, selon eux, être reconstruite et le drainage de la station refait. Ils révèlent, également un problème d’énergie dans les rames. Le maître d’ouvrage, l’Entreprise métro d’Alger (EMA) a-t-il obtenu toutes les garanties pour réceptionner ce projet ? L’ouvrage a-t-il été bâclé pour ne pas dépasser la durée de réalisation du projet ?
Voulant en savoir plus sur ce qui s’est passé ces jours-ci àla mise en service du tramway, nous avons contacté les deux entreprises en charge du projet, à savoir Cosider et Alstom, ainsi que l’entreprise exploitante, Setram. Aucune des trois ne nous a répondu.
Rappelons que la multinationale espagnole Isolux Corsan, qui a fait couler beaucoup d’encre ces trois dernières années, était partenaire de Cosider et d’Alstom dans le projet d’extension des tramways de Constantine et de Mostaganem. Isolux Corsan a fait faillite, elle a été remplacée par l’entreprise publique Cosider, ce qui a causé énormément de retard dans la livraison des projets dont elle était en charge.
Selon une source proche de ce dossier, c’est l’ancien Premier ministre Abdelmalek Sellal qui «imposé la firme espagnole», sachant très bien qu’elle était en faillite. «Elle a retardé le projet d’extension pendant deux ans en faisant de fausses études de terrain. Elle a été payée pour des prestations qu’elle n’a pas réalisées», affirme notre source, qui précise que les autorités ont enjoint Cosider de pallier le retard et d’achever le projet «avant l’élection présidentielle».
Le moins qu’on puisse dire est que le lancement de l’extension du tramway de Constantine alors que les travaux ne sont pas totalement achevés risque de tourner au cauchemar pour les autorités et les usagers. Affaire à suivre, donc.
M. E.-G.
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