Makhzen, piètre diplomatie et éducation à la haine de l’Algérien
Par Tarek B. – L’adage dit qu’«il n’y a pas de question idiote, seulement une réponse idiote». Le piteux exercice auquel s’est récemment livré le représentant permanent du Makhzen à New York – avec l’aplomb du nigaud – devant le Comité des 24 de l’ONU, est sans doute l’exception qui confirme cette règle. En se fourvoyant dans un lacis d’interrogations niaises, le diplomate marocain croyait pourvoir défigurer la réalité de l’occupation marocaine du Sahara Occidental, en misant maladroitement sur la désinformation outrancière de ses pairs pour impliquer, à tout prix, l’Algérie dans un cas élémentaire de décolonisation.
Il est vrai que la débilisation du débat sur une question aussi sérieuse que tragique – elle prend en otage depuis plus de 40 ans un peuple privé de son droit à l’autodétermination – n’est pas une nouveauté pour un ambassadeur passé maître dans cet exercice de pitrerie diplomatique. Elle appelle néanmoins à apporter des éclaircissements, loin de tout ce show clownesque, sur les plus flagrantes, puisqu’elles sont nombreuses, contre-vérités historique et juridique de l’argumentaire vermoulu du Maroc.
L’artifice éculé du caractère «régional» du conflit
C’est sans aucun doute l’épithète le plus trompeur auquel la diplomatie marocaine a recours pour tenter d’induire en erreur la communauté internationale. Cet artifice, sans doute assez commode pour un pays ne souhaitant pas s’impliquer sérieusement dans la résolution de ce différend, a été entonné, de manière quasi continue, à quelques rares interstices près lors des rapprochements éphémères entre l’Algérie et le Maroc – d’ailleurs toujours sabotés par ce dernier par manque de sincérité –, depuis l’intronisation en 1999 de l’actuel monarque marocain, le roi Mohammed VI.
Contrairement à son défunt père Hassan II qui, après avoir essayé la guerre et le dialogue, s’était vraisemblablement convaincu à la fin de son règne des vertus d’une redynamisation du processus de paix, y compris en acceptant le référendum d’autodétermination au sommet de Nairobi, en 1980, et en s’entretenant avec des dirigeants du Polisario à propos du référendum, l’actuel monarque marocain a enclenché un revirement radical de position, à travers des options franches en faveur de la répression brutale du peuple sahraoui dans les territoires occupés, la tentative de «bilatéraliser» la question du Sahara Occidental, ainsi que l’invocation pernicieuse du recensement sur laquelle nous reviendrons d’ailleurs un peu plus loin.
Il est néanmoins un fait que ce conflit est une question de décolonisation d’un territoire inscrit sur la liste des territoires non-autonomes de l’ONU depuis 1963, et que le Maroc et le Polisario ont été identifiés comme les deux parties à ce conflit dont la solution réside dans l’application de la résolution 1514 (XV) de l’Assemblée générale de l’ONU, sur le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, qui fêtera son 60e anniversaire l’année prochaine. Il est aussi opportun de relever qu’aucun organe de l’ONU et encore moins d’organisations continentales ne reconnaissent un caractère régional à ce différend. Les différents documents onusiens, y compris ceux du Conseil de sécurité, identifient clairement le Maroc et le Front Polisario comme les deux parties au conflit et accordent à l’Algérie, au même titre que la Mauritanie, la qualité de pays observateur du processus onusien, de par leur statut des pays voisins des deux parties au différend. Aussi, le Maroc, qui a adhéré en 2017 à l’Union africaine, a reconnu de facto et de jure les termes de l’acte constitutif de l’UA, lequel oblige des Etats membres, en vertu de son article 4, au respect des frontières existant au moment des indépendances africaines, dont celle du Maroc en 1956.
Un mirage nommé «Houston»
Dans l’enchaînement des élucubrations grotesques qu’il a livré à ses pairs, le diplomate du Makhzen a fantasmé sur une prétendue proposition algérienne à Houston le 2 novembre 2001, consistant en «la partition du territoire et de la population du Sahara». Ce diplomate, qui semble irrémédiablement fâché avec la vérité, déforme outrancièrement les faits. Il suffit de se référer au rapport du secrétaire général de l’ONU sur la situation au Sahara Occidental, présenté le 19 février 2002 au Conseil de sécurité, pour s’en convaincre. Son deuxième paragraphe indique clairement qu’il ne s’agit pas d’une proposition algérienne, mais d’une idée mise sur la table par l’envoyé personnel de l’époque, James Baker, en vue de dépasser la situation de blocage de son projet d’accord-cadre. La nuance est donc de taille.
Le représentant permanent du Makhzen se garde bien, au passage, d’identifier les responsabilités dans les situations de blocage du processus politique onusien. Or, aucune solution ne peut voir le jour si l’attitude de Rabat persiste à bloquer les efforts des envoyés spéciaux du SG de l’ONU, à ne répondre que de manière épisodique aux sessions de négociations convoquées par ce dernier, à faire peser des contraintes sur le travail de la mission des Nations unies sur l’organisation du référendum au Sahara Occidental (Minurso) et à s’arcbouter sur son offre d’autonomie de 2007 comme «seule et unique voie au règlement définitif» de ce différend, en total déphasage avec le droit à l’autodétermination et les résolutions pertinentes des Nations unies sur la négociation de bonne foi et sans conditions préalables. Force est de relever cette contradiction typiquement marocaine entre, d’une part, le fait d’appeler à une solution politique qui, par définition, ne peut être que le fruit d’un accord entre les deux parties au conflit, et, d’autre part, la volonté mainte fois exprimée d’imposer son seul point de vue comme unique voie possible.
Les camps de «séquestration» administrés par un «mouvement séparatiste»
Ces termes dégradants pour les réfugiés sahraouis et offensants pour le pays qui a accepté de leur offrir protection, cachent une réalité historique abjecte de la présence marocaine au Sahara Occidental, consécutivement à l’accord illégal de Madrid du 11 novembre 1975. Signant l’abdication de l’ancienne colonie espagnole de ses responsabilités de puissance «administrante», cet accord sera suivi d’une violente agression militaire contre le peuple sahraoui provoquant l’exode de dizaines de milliers de réfugiés dans des conditions atroces. Leur bombardement au phosphore par l’aviation marocaine et le lot de spectacle d’horreur de femmes et de bébés brûlés au napalm et d’enfants mutilés par des mitraillages, fit des milliers de victimes et obligea les civils sahraouis à gagner progressivement la région de Tindouf, en Algérie, entre décembre 1975 et février 1976. Aujourd’hui encore, ces horreurs de maltraitance sont monnaie courante dans les territoires occupés et aussi bien les vidéos qui circulent sur les réseaux sociaux que les rapports officiels en apportent la triste confirmation, en même temps de rappeler que la vie de réfugié n’est pas un choix mais une dictature imposée par l’intransigeance du Maroc qui refuse de s’inscrire sincèrement dans l’optique d’une solution politique, seule à même de mettre un terme à cette tragédie humaine.
Par ailleurs, le faux qualificatif de «mouvement séparatiste» attribué injustement au Front Polisario (Front populaire de libération de la Saguia El-Hamra et du Rio de Oro) est une autre distanciation marocaine des terminologies officielles des Nations unies. Elle est une entorse à la réalité, visant ni plus ni moins à discréditer un interlocuteur reconnu par l’ONU comme étant le seul représentant du peuple sahraoui, conformément à la résolution 34/37 du 21 novembre 1979, et, comble du paradoxe, avec lequel le Maroc négocie, voire traite juridiquement comme l’atteste les différents accords qui les lient – cessez-le-feu du 6 septembre 1991, accords militaires de 1997, etc.
Recensement et enregistrement des réfugiés sahraouis
En faisant un abcès de fixation sur la question du recensement et l’enregistrement des populations des camps des Tindouf, la diplomatie marocaine croit trouver l’excuse imparable pour saborder le processus politique. On se demande en quelle qualité le Maroc peut formuler une telle demande, alors qu’il n’est pas le pays d’origine, ni un pays d’accueil et encore moins un donateur.
De plus, la question de l’enregistrement des réfugiés sahraouis est un élément parmi le package du plan de paix onusien et, qu’à ce titre, il ne peut être conçu en dehors des progrès réalisés par les Nations unies dans la recherche d’une solution définitive à la question. Ce postulat se trouve conforté par la mauvaise foi du Makhzen en la matière. D’abord, lorsque ce pays avait refusé le plan Baker (résolution 1495 du 31 juillet 2003) pour le seul motif qu’il comprend l’indépendance parmi ses options, alors que le Front Polisario avait accepté ce plan malgré la concession faite d’accepter la participation au référendum d’autodétermination des populations marocaines installées au Sahara Occidental au 31 décembre 1999 et dont le nombre était plus d’une fois et demi celui de la population sahraouie. Ensuite, au vu des manœuvres dilatoires entreprises par la diplomatie marocaine pour empêcher vainement la publication du rapport du HCR, en mars 2018, portant le nombre des réfugiés sahraouis à 173 600 personnes, notamment en vue de planifier leurs besoins alors, qu’au plan médiatique, Rabat soutient une prétendue sollicitude à cette «population séquestrée».
Les soi-disant conclusions d’un rapport de l’Office européen de lutte antifraude (Olaf) sur ce que le diplomate marocain qualifie de «détournements» de l’aide humanitaire aux réfugiés sahraouis participent de la même duperie. Intitule donc de rappeler les multiples réponses édifiantes données par les plus hauts responsables européens, lesquels battent en brèche ces allégations marocaines et frappent de nullité ses vaines tentatives pour amener l’UE à réviser sa politique d’aide aux réfugiés sahraouis.
Une prétendue «intégrité territoriale» de l’occupant
Il faut croire que ces deux concepts antinomiques font bon mariage dans l’argumentaire marocain. Pourtant, les vérités historiques et juridiques de la question sont trop têtues pour pouvoir s’accommoder de cette autre fadaise. Dans son article 5, la résolution 34-37 du 21 novembre 1979, affirmait déjà que le Sahara Occidental est un «territoire occupé». Elle sera suivie par bien d’autres. Au plan historique, aucun acte interne ou international présenté par le Maroc pour prétendre à un quelconque titre de souveraineté sur le Sahara Occidental n’a été reconnu par la Cour de justice internationale (CIJ) qui, dans son avis consultatif du 16 octobre 1975, indiquait que «les éléments et renseignements portés à sa connaissance n’établissent l’existence d’aucun lien de souveraineté territoriale entre le territoire du Sahara Occidental d’une part, le royaume du Maroc ou l’ensemble mauritanien d’autre part. La Cour n’a donc pas constaté l’existence de liens juridiques de nature à modifier l’application de la résolution 1514 (XV) quant à la décolonisation du Sahara Occidental et en particulier l’application du principe d’autodétermination grâce à l’expression libre et authentique de la volonté des populations du territoire». Cette même Cour avait appelé à la poursuite du processus de décolonisation du Sahara Occidental «sans que le Maroc ne puisse évoquer une remise en cause de son intégrité territoriale» (point 161 de l’Avis consultatif de la CIJ du 16 octobre 1975).
Au lieu d’admettre cette réalité et s’impliquer de bonne foi à la résolution de ce différend, le Makhzen croit bon de s’attaquer à l’Algérie, accusée de nier sa «souveraineté» et d’«armer, financer, abriter et se mobiliser diplomatiquement pour le Polisario, mouvement séparatisme armé non étatique». Il ne faudrait pas être un grand connaisseur en relations internationales pour se rendre à l’évidence qu’aucun Etat au monde, pas même ceux qui soutiennent les thèses de Rabat, ne reconnaît la souveraineté du Maroc sur le Sahara Occidental.
Quant au soutien à un mouvement de libération, il peut être compréhensible qu’un engagement aussi noble, dans le cadre de la légalité internationale, échappe à la matrice idéologique de ceux à qui l’indépendance n’a pas forcément été acquise de haute lutte et au prix du sang. Comme il est tout à fait admissible que les valeurs que peut porter la diplomatie d’un pays puisse la mettre en opposition avec les partenaires les plus proches, au nom de principes sacrés, et de lui prescrire, en même temps, des comportements indécents d’exploitation de la vulnérabilité et versatilité de certains «Etats» pour s’acheter, même momentanément, une pseudo légitimité hors-sol.
En tant que pays ayant lutté par les armes pour le recouvrement de sa souveraineté, l’Algérie ne peut être insensible au processus de décolonisation des peuples opprimés et ne pas s’inscrire dans le respect du principe des peuples à disposer d’eux-mêmes, consacré notamment par l’ONU, le Mouvement des non-alignés et l’organisation continentale africaine.
Une «culture de la haine» savamment entretenue
En lançant cette assertion ubuesque, le diplomate marocain semble parler devant un miroir. Car c’est surtout le vocabulaire outrancier sciemment entretenu par les médias du Makhzen à l’égard de l’Algérie, y compris ses symboles et ses institutions, mêlé aux discours scolaires provocateurs et autres verbiages déplacés d’officiels et de personnalités marocaines qui ont créé une mixture nauséabonde administrée à volonté à l’opinion publique marocaine, désormais éduquée à la haine de l’«ennemi» que l’Algérie est censée représenter à leurs yeux. La profanation du drapeau algérien, un 1er Novembre, au niveau de notre consulat général à Casablanca, avec la complaisance sinon la complicité des forces de l’ordre, illustre l’ampleur de cette culture de la haine de l’Algérie qui est instillée dans l’esprit des citoyens marocains, notamment ceux de la jeune génération.
Le risque de cette entreprise que le Maroc a décidé d’ouvrir, malgré les appels répétés à la retenue formulés par Alger, est énorme. Elle ôte toute immunité à des relations humaines qui étaient épargnées par les fluctuations sinusoïdales des relations politiques. L’inscription de cette tendance lourde dans la durée ne peut qu’accentuer cette inimitié préfabriquée, d’autant plus qu’elle est destinée à une génération qui, contrairement à celle qui l’a précédée, n’a pas en partage un lien d’histoire commune qui pourrait l’immuniser contre ces dérives médiatiques à répétition.
Ce sont là autant de vérités brutes, de décoffrage et sans circonvolutions diplomatiques auxquelles les niaiseries du représentant marocain ne résistent pas. Pas plus que ne résistera l’occupation de son pays d’un territoire dont le peuple est éligible au droit à l’autodétermination.
T. B.
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