Le marché parallèle de la devise à la loupe : un analyste financier explique
Par Noureddine Legheliel – Cette analyse menée à l’aide d’instruments boursiers prouve que le marché des changes informel du square Port-Saïd, à Alger, répond à tous les critères des grandes bourses des Forex dans le monde.
Selon les lois algériennes, le marché des changes du square est considéré comme un marché illégal, les bénéfices liés aux transactions réalisés par les acteurs de ce marché échappent au fisc. A cela s’ajoute la provenance douteuse d’une part des capitaux qui s’échangent dans ce marché.
Cet état de fait nous apprend que lorsque le politicien et le bureaucrate algériens s’abstiennent de se mêler de la gestion d’un marché ou d’une institution, les choses ne peuvent suivre qu’une seule voie : celle de la normalité. Le marché des changes informel du square Port-Saïd fonctionne suivant la règle fondamentale du contact entre un acheteur et un vendeur de devises. Il n y’a ni corruption ni favoritisme. Ce marché informel échappe aussi à la tyrannie de l’administration algérienne, aux épouvantables labyrinthes de la bureaucratie, aux monopoles, aux cartels et aux surfacturations.
Le marché des changes informel en Algérie fonctionne suivant la loi fondamentale qui règne sur tous les marchés, basée sur l’offre et la demande. Les quantités d’offre et de demande des devises étrangères créent les fluctuations des cours des parités aussi bien à la hausse qu’à la baisse, suivant l’équilibre de l’offre et de la demande. Sur un autre volet aussi important, les cours des parités euro/ dinar, dollar américain/dinar et ceux d’autres monnaies sont influencés par les informations émanant de l’économie algérienne réelle. Par, exemple, la politique du financement non conventionnel (planche à billets) adoptée par le gouvernement depuis 2017 à nos jours a provoqué une baisse du dinar algérien par rapport à l’euro de l’ordre de 21%.
Analyse technique
Certains concepts et indicateurs de l’analyse technique trouvent leur validité sur le marché des changes informel du square Port-Saïd. Le concept du double pic a été observé en été 2018 lorsque le cours de l’euro avait atteint les 220 dinars (le premier pic). Par la suite, les cours se sont repliés vers 214 dinars pour un euro, mais, quelques jours plus tard, le cours de la monnaie européenne était repartit à la hausse, atteignant 218 dinars (le second pic). Une baisse des cours de l’euro par rapport au dinar qui s’était opérée juste après ce second pic était venue ainsi confirmer la validité du concept du double pic.
Cycle saisonnier
A l’instar des grands marchés internationaux des matières premières et des marchés financiers où les prix obéissent aux cycles saisonniers comme le creux du prix du blé en décembre-janvier (February Freak) ou du marché des actions avec sa traditionnelle baisse du mois de septembre et un rally(*) au mois de décembre. Le marché des changes informel du square Port-Saïd répond à l’indicateur du cycle saisonnier qui intervient avec l’approche de la saison du hadj, des vacances d’été et ses fêtes de fin d’année.
La psychologie du marché
Le marché des changes informel ignorait souvent les chiffres des indicateurs macro-économiques algériens publiés par l’Office national des statistiques (ONS). Le marché ne croyait pas aux chiffres de l’inflation publié par cet organisme public. Ceci renforce nos doutes sur la crédibilité de cette institution. Ce marché ne réagissait que rarement aux déclarations des ministres des Finances durant les vingt ans du règne de Bouteflika. Il se montre également indifférent aux déclarations alarmistes de certains économistes qui prédisent l’apocalypse pour l’économie algérienne après 2019. Là aussi, on peut se poser des questions sur les motifs réels qui poussent ces économistes à exprimer ce pessimisme extravagant.
Le hirak et le marché des changes dit parallèle
Depuis le 22 février, le marché des changes du square Port-Saïd répondait au hirak avec un hochement des épaules. Ceci s’explique par le fait que le système est toujours en place et que la politique du statu quo est toujours maintenue.
Le marché de Port-Saïd vs Bourse d’Alger
Alors que le volume des échanges sur les marchés des changes informels implantés sur tout le territoire algérien dépasse les 10 millions d’euros chaque jour, celui des échanges au niveau de la Bourse d’Alger ne dépasse pas 45 millions de dinars, soit l’équivalent de 300 000 euros au cours officiel coté dans les banques algériennes. En 2019, il faut formuler une demande pour acheter ou vendre des actions à la Bourse d’Alger ! Ceci explique la passion du régime algérien pour la bureaucratie. A la Bourse d’Alger, il existe un grand écart de cotation entre le cours d’achat et le cours de vente des seules cinq actions qui s’y trouvent, ce qui ternit davantage la sombre image de cette Bourse.
Les sur-réactions du marché de Port-Saïd
Comme tous les marchés modernes qui tendent à devenir plus efficients, les sur-réactions se corrigent sur les moyen et long termes. En 2016, le ministre des Finance de l’époque, Abderrahmane Benkhalfa, avait promis une ouverture imminente des bureaux de change. Cette information avait défrayé la chronique. Le marché des changes de Port-Saïd sur-réagissait avec des baisses verticales des cours de l’euro et du dollar américain face au dinar algérien. Mais, après quelques semaines, les acteurs de ce marché avaient compris que les propos du ministre n’étaient qu’un coup de bluff et qu’en outre, ils avaient été mal interprétés par les médias. Au fil des jours et des semaines, le marché se corrigeait et les baisses des cours de l’euro et du dollar face au dinar algérien se sont effacées. Les cours étaient revenus à leur niveau antérieur.
La récente baisse des cours de l’euro et du dollar
Du 20 juin jusqu’au 20 juillet 2019, le cours de l’euro a baissé de 11% face au dinar. A quoi cela est-il dû ? La baisse du cours de l’euro n’échappe que faiblement à la thèse du concept de la sur-réaction. Mais la sur-réaction est toujours liée à un événement imprévu. Les journalistes qui ont interrogé les cambistes du marché avancent la thèse d’une baisse de la demande en devises qui serait liée aux enquêtes de la justice algérienne visant les hommes d’affaires véreux et les ministres impliqués dans des affaires de corruption.
Mais une telle thèse peut-elle être probable ? Les enquêtes et les arrestations avaient commencé depuis plus de trois mois, excluant ainsi les caractéristiques d´un événement imprévu. Par contre, le scénario que le gouvernement algérien, à travers la Banque d´Algérie, avait secrètement inondé le marché des changes informels paraît plus probable et répond aux critères de la sur-réaction. Une action qui aurait pu émaner du gouvernement algérien pour calmer le peuple et fragiliser le hirak.
N. L.
Ancien analyste boursier
(*) Mouvement spéculatif de hausse prononcée mais éphémère d’un titre, d’un marché ou d’un type de placement.
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