Le mouvement populaire du 22 Février et le discours du vice-ministre
Par Aziz Ghedia – Depuis le début du hirak, les Algériennes et les Algériens ont pris l’habitude d’attendre le discours que le vice-ministre de la Défense prononce régulièrement, chaque mardi, à partir d’une caserne du sud algérien ou d’une école de formation militaire à Biskra ou ailleurs. Tel un métronome, celui-ci revient régulièrement pour commenter les événements de la semaine précédente, liés, évidemment, au hirak, et essayer, par la même occasion, d’imposer à toutes et à tous le point de vue de l’état-major et la manière avec laquelle on doit, selon lui, procéder pour régler la crise algérienne. Sauf que le peuple, celui qui occupe aussi régulièrement les places publiques et les grandes artères de villes algériennes, ne se laisse pas conter fleurette. De ces discours du chef de l’état-major, il n’en a cure.
Le hirak a atteint, depuis longtemps déjà, le point de non-retour et aucune force, fût-telle militaire, ne pourra le contraindre à renoncer à ses revendications légitimes. Le chef de l’état-major a beau claironner qu’il n’acceptera aucun préalable de la part du hirak et qu’on devrait aller aux élections présidentielles «dans les plus brefs délais», les Algériens ne l’entendent pas de cette oreille. Le but du hirak est de démanteler tout le système de gouvernance qui a prévalu jusque-là. Et tant que ce but, cet objectif noble et réaliste en même temps n’est pas encore atteint, le peuple ne reculera pas ; il ne fera pas marche arrière. Car il sait que faire marche arrière équivaudrait à renoncer au processus révolutionnaire et que ce serait donc un suicide collectif.
Lors de son dernier discours prononcé à partir du siège du MDN, le chef de l’état-major a tout rejeté en bloc. Tous les préalables posés par le panel – qui a été reçu dernièrement par le chef d’Etat par intérim –, pour un début de dialogue sont considérés comme des «injonctions» inacceptables par le vice-ministre de la Défense qui ne croit qu’à la seule vertu de l’élection présidentielle. A chaque préalable, à chaque condition que tout un peuple réclame, depuis plusieurs semaines maintenant, il a répondu «niet !».
Les détenus d’opinion ? Il y a la justice, souveraine, qui devrait s’occuper de leur cas, a-t-il précisé, comme si dans le pays, celle-ci, la justice, était vraiment libre et indépendante et qu’elle n’obéissait pas à des injonctions venues d’en haut.
Le quadrillage par les forces de l’ordre des grandes villes et notamment d’Alger ? Cela est fait dans le but d’éviter que le mouvement citoyen, pacifique jusque-là, ne soit infiltré par des éléments venus de Mars ou d’on ne sait quelle autre planète. Les gendarmes armés jusqu’aux dents et postés sur l’autoroute, à l’entrée d’Alger, ne sont là que pour préserver la quiétude des Algérois et «ne pas les perturber dans leur sieste».
Le départ du gouvernement Bedoui ? Non, pour quoi faire ? Il est constitué d’éléments très compétents, preuve en est qu’«ils ont pu réaliser durant cette courte période ce qui n’a pas pu être réalisé pendant des années». Pourtant, dès le début du hirak, ce gouvernement, formé du temps de l’ex-président Abdelaziz Bouteflika, est dans le collimateur. Tout autant que les «B» dont certains sont déjà tombés. Paradoxalement donc, la théorie des dominos sur laquelle le hirak avait fondé tous ses espoirs n’a pas eu l’effet escompté. Mais si cette théorie des dominos n’a pas fonctionné, le peuple algérien, qui est par ailleurs un adepte des jeux de société, saura faire échec et mat au cheval de Troie. Comme il l’avait déjà fait au roi.
En somme, le vice-ministre a répondu point par point à toutes les préoccupations du hirak et des personnalités politiques qui ont été choisies pour mener le dialogue tant attendu, mais pas dans le sens d’un désamorçage de la crise. Son jusqu’au-boutisme plus que suspect dans le soi-disant respect de la Constitution, alors que celle-ci est devenue caduque depuis longtemps, son insistance plus que suspecte sur l’organisation dans les plus brefs délais d’une élection présidentielle alors que le peuple demande plutôt une phase de transition, risquent de constituer une impasse sérieuse à la crise. Cela risque d’enfoncer davantage le pays dans une crise aux multiples conséquences politiques et économiques. Car plus la crise dure, plus les citoyens deviennent réfractaire à tout ce qui émane des autorités tant civiles que militaires.
Le peuple est déterminé à ne pas abandonner la lutte pacifique d’autant plus que la saison estivale est presque finie.
A. G.
Ndlr : Les opinions exprimées dans cette tribune ouverte aux lecteurs visent à susciter un débat. Elles n’engagent que l’auteur et ne correspondent pas nécessairement à la ligne éditoriale d’Algeriepatriotique.
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