Le prétexte pour déclencher l’état de siège
Par Faouzi Zerrouk – Dans un pays qui aspire à la démocratie, l’armée ne doit pas sortir de son champ d’action pour gérer les intérêts politico-économiques de la nation. La charte militaire indique clairement que son rôle est purement opérationnel. Le chef d’état-major doit, par conséquent, veiller à l’intégrité territoriale et à la protection des libertés du peuple décideur.
Nous avons donné trop d’importance au dialogue avec le chef de l’armée et à ses orientations. Cela l’a conduit à s’octroyer de facto une position de dirigeant politique, sans déclaration ou nomination officielles. En profitant de cette approbation involontaire du peuple, il a décidé, de fait, d’assumer la haute magistrature du pays tout en privilégiant une interprétation extraconstitutionnelle de sa fonction. En discutant des droits des citoyens avec le premier responsable militaire, ou en suscitant sa réaction, nous renforçons ainsi une autorité inappropriée. Nous sommes donc entraînés, par défaut, à participer en tant que spectateurs à un jeu de dupes car les décisions sont sous le contrôle du commandement de l’armée.
On remarque, à ce propos, que le chef de l’armée ne s’adresse pas directement à la nation. Il le fait à travers les casernes et les centres militaires. Il sait pertinemment que toute communication directe avec le peuple serait une violation de la Constitution passible des tribunaux.
Les Algériens devraient donc constitutionnellement échanger avec le président «administratif» et son Premier ministre, par intérim, même si ceux-ci semblent ne pas assumer pleinement leurs prérogatives. Ces derniers ont créé un cercle vicieux par le biais duquel ils commandent le chef de l’Etat actuel (acte inconstitutionnel) qui, en retour, leur confère implicitement l’autorité requise pour maîtriser la situation comme bon leur semble (acte illégal). Là est l’engrenage !
Insister sur ce dialogue direct renforcerait notre légitimité constitutionnelle et internationale. Il ne fait aucun doute que la «grande muette» et ses nouveaux associés ont décidé de se débarrasser des anciens décideurs politiques et oligarchiques et de leurs soutiens (officiers en retraite et non-militaires), nettoyage pas encore achevé, pour les remplacer par une autre équipe agréée par la nouvelle union avec l’étranger.
Cette primo-alliance représente une tendance politico-stratégique différente de la précédente. Elle est conçue de telle manière que la restructuration de la majorité des pays du continent africain soit quasi uniforme, facile à gérer et contrôler. Elle formerait ainsi une structure puissante et inédite qui servirait les intérêts politico-économiques de ces nouveaux alliés.
L’option privilégiée par ce binôme serait de reproduire le modèle égyptien. Un scénario où un militaire occuperait la fonction civile de président de la République. Pour apaiser le mécontentement de la population, il inclurait dans son programme de gouvernance un nombre raisonnable de revendications populaires permettant le retour à une pseudo-normalité. Cette dernière, légitimée par le vernis populaire, favoriserait le façonnement de la future Algérie, selon les plans de ces nouveaux leaders et de leurs associés, qui en tireraient un maximum de profits au détriment des intérêts vitaux de la nation.
Mais pour parvenir à cette fin, les chefs de l’armée ont besoin d’un prétexte pour déclencher l’état de siège. Cette hypothèse leur permettrait «légalement» de s’emparer des rênes du pays et de servir les desseins de leurs nouveaux maîtres.
Nous avons ainsi été témoins, vendredi 21 juin 2019, d’une tentative parmi tant d’autres qui figurent sur la liste de leurs actions subversives. Les Algériens ont observé l’ignorance et le désespoir du chef d’état-major quant à la signification culturelle – et non politique – du drapeau amazigh. A cette occasion, j’invite tous les Algériens à outrepasser ce sujet et à le banaliser. Nous sommes clairement une nation amazigho-arabo-mozabito-chaouio-targuie. C’est une réalité indéniable. Notre passé amazigh et notre foi musulmane unissent historiquement notre grand Maghreb. C’est une partie essentielle et non négociable de notre patrimoine.
Cette tentative de coup de force traduit, en fait, l’échec, l’humiliation et la perte de confiance de ses instigateurs. Cette manœuvre a été imaginée afin de nous diviser, de faire diversion et de ralentir notre élan vers la construction d’un véritable Etat de droit. Aujourd’hui, les ennemis de la nation ont reçu une gifle royale. Le peuple est uni, mature et sage. Il a montré au monde entier son formidable esprit pacifique. Depuis le 22 février, la résistance et la conscience populaires sont sans faille.
Ces manipulations en tous genres, d’un autre temps, sont désormais inefficaces. Mais il ne faut pas tomber dans un cycle de discussions vides qui risquerait de nous faire perdre de vue l’objectif auquel nous aspirons : une dignité retrouvée, l’indépendance totale, le droit à l’épanouissement économico-social et la liberté d’expression.
Qu’on ne s’y trompe pas toutefois ! Ces pratiques diaboliques sont amenées à se répéter. Différemment du scénario égyptien où un candidat civil élu par le peuple a été chassé par la ruse des dirigeants de l’armée. Les décideurs du scénario algérien pourraient, quant à eux, avoir recours à un semblant de compromis : les chefs militaires «quitteraient» la scène politique en plaçant un Président civil à leur solde. Ils veilleraient à ce que des élections soient prétendument libres, comme revendiquées par les citoyens, mais feraient en sorte que les candidats à la Présidence soient cooptés pour être en phase avec la nouvelle alliance étrangère politico-stratégique. Afin de gagner la confiance des votants, les exigences populaires seraient théoriquement prises en compte et les personnalités choisies, avec une feuille de route à appliquer, seraient publiquement connues et probablement même respectées par un grand nombre d’entre nous. Le tout dans une démocratie de façade.
Dans cette optique de compromis, ils pourraient prendre les mesures concomitantes suivantes :
1) L’armée se sépare de l’ancien clan et neutralise tous ses membres (réalité ou mise en scène qui se déroule actuellement sous nos yeux ?).
2) Remplacement du joug colonial, qui a ruiné, paralysé le développement du pays, depuis le début des années 1980, et privé le peuple algérien d’un progrès légitime par de nouveaux alliés géopolitiques. Ces derniers «prendraient en compte» la détermination et la force indivisible de la nation et trouveraient un moyen d’intégrer ses desiderata afin d’apaiser le peuple et garantir ses intérêts.
3) La mise au point d’un processus électoral avec des candidats présélectionnés provenant, soi-disant, du mouvement populaire mais qui ne seraient pas, en réalité, tout à fait indépendants.
4) Le nouveau chef de l’Etat désigne un cabinet ministériel et des fonctionnaires conformément aux décisions de l’état-major et au programme de leurs nouveaux alliés.
On peut légitimement rêver d’une vision sur le papier conforme aux aspirations de la population. La prudence doit toutefois être de mise car l’imbrication du peuple dans une structure pyramidale de gouvernance restera à la merci des caprices des dirigeants et de leurs nouveaux alliés. Ce programme n’offre donc, en aucun cas, une garantie totale d’indépendance car il dépendra toujours des décideurs et de leur vision stratégique et économique. Les mauvaises pratiques de jadis resurgiront et les décideurs de l’ombre continueront d’influencer le gouvernement et le haut commandement militaire.
La seule mesure positive, parmi les quatre points susmentionnés, serait le remplacement de l’ancienne puissance coloniale par de nouveaux partenaires visionnaires. Ceux-ci devront réaliser que le seul moyen de préserver leurs intérêts serait d’éviter toute prédation et de se soucier du développement économico-social des Algériens et des intérêts géopolitiques de la nation. Ce choix, nécessaire et stratégique, doit nous aider à nous débarrasser d’une mentalité de colonisés qui n’a que trop duré. En effet, l’ancien système, pourri de l’intérieur par cupidité, a coûté cher à notre nation et l’a privée de ses capacités de se définir et de s’épanouir.
Toutefois, même si l’alliance coloniale est remplacée par un pacte avec un nouveau partenaire étranger plus pragmatique, qui tiendrait compte des besoins de base du peuple, sans en perdre le contrôle, et qui favoriserait des élections apparemment libres, se traduisant par le choix d’une personnalité connue de la nation, cela ne garantit guère la liberté du peuple qui restera toujours sous leur férule.
Ce changement d’alliance ne devra donc se réaliser que dans un contexte de gestion nationale où le peuple est à la fois libre et décideur. C’est cette volonté populaire qui doit imposer ses prérogatives à la nouvelle alliance étrangère, laquelle devra donc s’aligner sur les choix et les besoins du peuple, et non l’inverse. Cela doit nous conduire à considérer une nouvelle structure de gestion des biens nationaux et un processus électoral rénové.
Ce dessein ne peut se concrétiser qu’avec la création et la mise en œuvre d’un système de gouvernance original et novateur. Un écosystème qui favoriserait les droits du peuple, qui lui conférerait une authentique souveraineté, qui limiterait de par sa structure et sa législation l’accaparement indu des richesses nationales, les tentations attachées au pouvoir et les risques d’actions séditieuses.
Il faudra coûte que coûte éviter de se faire piéger dans la même structure avec l’équipe qui arrivera au pouvoir. Même si celle-ci émane d’organisations populaires de confiance, le risque de reproduire le schéma destructif précédent, en raison de la faiblesse intrinsèque de l’âme humaine, est toujours possible.
Pour ne pas tomber dans la même ornière, l’actuel système archaïque – électoral et de gouvernance – doit être complètement remplacé par un mode de gestion politique et juridique fait sur mesure où les droits du peuple seront étroitement contrôlés par et pour lui.
Pour faire éclore ce nouveau paysage politique, et suite à la dissolution du gouvernement et des deux chambres, il sera nécessaire de mettre sur pied une commission présidentielle (présidium) transitoire d’une année. Celle-ci gérera les besoins immédiats opérationnels du pays et des citoyens, tout en veillant à la mise en place des fondements nécessaires à la création d’une structure politique et électorale inédite.
Un document élaboré par des Algériens – issus de l’intelligentsia diasporique et de l’intérieur du pays –, proposant cette nouvelle organisation gouvernementale et de gestion, sera présenté très prochainement à l’approbation populaire. Il inclura l’armée du peuple comme partie intégrante de la nation.
Cette ère qui s’ouvre nécessite donc une législation idoine et une nouvelle Constitution. Il en va de la souveraineté entière du peuple qui demeure la priorité nationale.
F. Z.
Ndlr : Le titre est de la rédaction.
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