Archives de la «guerre d’Algérie» : les mises en garde d’un historien français
Par Mohamed K. – L’historien français Gilles Manceron ne s’explique pas pourquoi les autorités de son pays hésitent toujours à rendre accessibles les archives concernant la «guerre d’Algérie», malgré la promesse faite solennellement depuis plus d’une année par le président Emmanuel Macron, à l’occasion de l’hommage officiel qu’il avait rendu à Maurice Audin.
Dans une longue contribution parue dans son blog personnel, ce spécialiste de l’histoire de la colonisation estime que, «forte» d’une histoire glorieuse, la France «n’a pas lieu de dissimuler d’autres pages moins glorieuses qui, elles aussi, appartiennent à son passé». Il cite la Seconde Guerre mondiale, «où il n’y a pas eu beaucoup de Jean Moulin» et où des institutions ont collaboré avec l’occupant, et aujourd’hui les guerres coloniales, «où de nombreux crimes ont été commis en son nom», mais qui restent difficiles à aborder en raison, selon lui, de «la non-communicabilité d’un certain nombre d’archives d’Etat».
L’auteur part du principe selon lequel l’accès aux archives est un droit civique dans son pays. Il regrette qu’en dehors des archives inhérentes à la Seconde Guerre mondiale, grâce à une dérogation générale faite en 2015, cet outil n’ait pas été utilisé pour ce qui concerne tous les documents de la «guerre d’Algérie». Il note, à ce propos, que lors d’une journée d’étude organisée le 20 septembre 2019 dans une salle de l’Assemblée nationale sur «les disparus de la guerre d’Algérie du fait des forces de l’ordre françaises», la question du libre accès aux archives de cette période a été posée avec insistance par les participants.
Pour mettre en relief la sensibilité qui caractérise cette question pour les responsables français, l’historien rappelle les sanctions qui avaient frappé deux archivistes ayant osé poser des questions sur l’accès aux archives de la répression à Paris du 17 Octobre 1961 lors du procès intenté par Maurice Papon à l’historien anticolonialiste Jean-Luc Einaudi. Ils ont été mis en quarantaine avec l’appui de la Mairie de Paris.
Une autre archiviste, Caroline Piketty, qui travaillait souvent pour la mission Mattéoli, aux Archives de la Préfecture de police où elle avait accès à tous les documents, y compris ceux entreposés dans la cave de la rue des Carmes, et lorsqu’elle posait des questions sur les archives relatives au 17 Octobre 1961, elle a fait l’objet, en 1997, d’une enquête administrative à la demande de son directeur et été écartée du travail qu’elle effectuait.
Sceptique, l’historien Gilles Manceron rappelle qu’un arrêté a été publié au Journal officiel du 10 septembre 2019 mais il se limite à des documents concernant l’affaire Audin, déjà communiqués depuis plusieurs années à sa famille. «Il n’apporte rien de neuf», clame-t-il. Et de poursuivre : «Tout en se félicitant de cette mesure, on ne pouvait qu’être inquiet à propos de ce qui allait suivre.» Il avertit contre des velléités de manipulation sur cette question des archives par la sélection des «morceaux choisis» que l’Etat remet aux familles et qu’il autorise les historiens à regarder, comme l’a fait à trois reprises François Hollande.
M. K.
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