Le déclic et le salut ne peuvent venir que d’une justice libérée

justice magistrats algériens
Sit-in des magistrats et des avocats en avril dernier. PPAgency

Par Rabah A. – Les magistrats algériens – sauf une minorité d’entre eux auxquels nous ne devons pas jeter la pierre – ont pris l’indécente habitude de se mettre à genoux devant le puissant du moment et d’obtempérer à toutes les instructions et caprices de celui-ci. Nous avons espéré qu’avec l’ouverture du champ médiatique et l’avènement du pluralisme politique au début des années 1990, la situation allait s’améliorer, mais rien de tout cela ne s’est produit.

Faut-il en chercher la cause dans une carence de la formation au niveau des facultés de droit – qui, soit dit en passant, dispensent le cours le plus insipide et le moins relevé de nos différentes facultés d’où leurs accessibilité à toutes les moyennes du bac se situant au-dessus de 10 – et de l’Ecole supérieure de magistrature ? Existe-t-il dans ces soi-disant antres du savoir un formatage qui prépare ceux qui sont appelés à nous juger, prétendument au nom du peuple, à courber l’échine et à attendre les ordres venus d’en haut au lieu de n’écouter que leur conscience et de fonder leurs jugements uniquement sur des textes de loi ?

L’inénarrable épisode de la justice de nuit qui devrait constituer un cas d’école en matière de non-respect du droit, de mépris et de soumission du judiciaire au pouvoir politique est encore frais dans les mémoires pour nous rappeler qu’hier comme aujourd’hui, le pouvoir judiciaire ne remplit pas la fonction qui lui est dévolue au sein de la société et continue à être un appendice du pouvoir exécutif. Mme Brahimi avait pleuré un jour et fait pleurer toute la salle à Blida avant de rendre un verdict inique qui a condamné les lampistes et les plus faibles à des peines de prison trop lourdes alors que les véritables coupables ont assumé leur délit et sont sortis par la grande porte du tribunal de Blida. Des exemples comme ceux-là peuvent être multipliés à l’infini et chaque Algérien peut vous raconter sur le ton de la confidence sa propre histoire concernant l’inconduite des juges plus souvent attirés par l’odeur de l’argent que mus par une volonté sincère et réelle d’appliquer la loi.

Les avocats, pour la plupart d’entre eux, souffrent aussi de cette faiblesse de niveau et de cette propension à vouloir transformer la plus anodine des affaires en une inépuisable mine d’or et à voir dans la moins fortunée de leurs «victimes» (pour ne pas dire «clients» qui suppose une certaine forme de respect réciproque) un véritable Crésus. D’ailleurs, les juges et les avocats sont souvent amis et se rendent de menus services moyennant l’argent du justiciable. Les bons avocats en Algérie sont connus et reconnus et ils ne sont pas facilement accessibles, surtout en cette période d’embastillement frénétique. Pour le reste des personnes qui constituent cette formidable profession, il suffit de se rendre au tribunal un jour d’audience pour se rendre compte de l’indigence de la majorité de ceux et celles qui portent la robe noire et qui sont incapables de mener une plaidoirie qui mêle éloquence, gestuelle et maîtrise du droit qui joint prestance, aisance, gestuelle, éloquence et maîtrise des fondamentaux juridiques.

En conséquence, il ne faut pas s’attendre dans cette situation dans laquelle le seul dindon de la farce est le pauvre bougre de justiciable, à de grandes envolées au cours desquelles les avocats, d’un côté, et les magistrats, de l’autre, s’affrontent sur le seul terrain du droit et de la pratique judiciaire pour faire éclater la vérité et se rapprocher autant que faire se peut de l’équité.

Ces deux praticiens du droit (chacun selon le côté où il se situe) par négligence, par in différence, par cupidité et souvent par manque de temps (élément primordial pour bien s’imprégner des dossiers) vont expédier les affaires, les renvoyer et, parfois, les bâcler pour les confier à un échelon supérieur moins sollicité, moins exposé et qui dispose de plus de temps à leur consacrer. Il arrive aussi, dans ce monde à part, que des décisions hardies, courageuses et justes soient prises par des juges honnêtes et compétents. Dans ces moments-là, on se dit qu’il y a encore des hommes et des femmes debout dans ce métier à risques et que, finalement, tout n’est pas irrémédiablement perdu. Alors, on se remet à y croire et à espérer que pareilles attitudes se renouvellent et se démultiplient pour que la justice soit au service de la loi au lieu d’être l’instrument docile des tyrans et des dictateurs de tous poils. Il en est ainsi de la décision de libérer Karim Tabbou, même si un juge moins courageux ou plus opportuniste est venu l’annuler. C’est aussi le cas pour la juge d’Annaba qui a poussé la témérité jusqu’à restituer les deux emblèmes amazighs à leurs propriétaires.

Plusieurs autres magistrats à travers notre grand pays ont estimé qu’un tel délit n’existait pas dans notre Code pénal et ont remis en liberté les manifestants qui leur avaient été présentés. Les seuls magistrats qui ont ordonné l’incarcération et la prolongation de la détention de pareils prisonniers sont ceux siégeant à Alger et qui, dans tous les cas de figure, ont fait preuve d’une sévérité extrême. A cet effet, plusieurs questions s’imposent : applique t on la même loi à Alger et dans le reste du pays ? S’agissant des juges officiant à Alger, la proximité de l’état-major de l’armée les rend-elle plus vulnérables et plus enclins à exécuter les injonctions venues d’ailleurs ? Bouregaâ, Benhadid, Rabrab ou d’autres détenus d’opinion auraient-ils été jetés en prison si cela s’était passé ailleurs qu’à Alger ? La jurisprudence existe-t-elle en Algérie ? Si oui, pourquoi n’est-elle pas appliquée aux cas cités plus haut ? Pourquoi toutes les enquêtes sont-elles confiées exclusivement à la section de recherches de la gendarmerie de Bab Djedid ainsi qu’aux autres démembrements de l’ex-DRS qui agissent (surtout pour ces derniers) dans l’opacité la plus totale et en marge du droit ? Les magistrats peuvent-ils dire sur quelle base juridique se fonde Gaïd-Salah pour interdire l’accès à Alger à une frange spécifique d’Algériens ? Sommes-nous dans un Etat d’exception qui aurait été décrété en catimini qui gèle ou annule le droit constitutionnel de se déplacer en toute liberté sur toute l’étendue du territoire ? Qu’attend la justice pour se saisir de l’affaire des enfants de Gaïd-Salah et de leurs acolytes dont principalement Amar Saïdani connus notoirement pour leurs frasques criminelles à Annaba et ailleurs ? Le Syndicat national des magistrats sert-il à défendre l’indépendance des magistrats ou est-il utilisé uniquement comme chambre d’enregistrement et de base d’envol vers les sommets comme l’a fait en son temps un certain Tayeb Louh ?

La réponse à ces nombreuses questions, si elle venait à être apportée, donnerait un éclairage réel sur les dysfonctionnements flagrants de l’appareil judiciaire qui devrait, comme cela se fait ailleurs (et pas seulement dans les grandes démocraties), servir de protecteur et de guide pour la société. Bouteflika ne serait jamais resté vingt ans au pouvoir si on avait eu une justice à la hauteur. Il en est de même pour ce «jeune» général, vice-ministre de 82 ans qui s’adresse au peuple à partir des casernes pour enjoindre à ce même peuple de respecter la Constitution que lui-même foule aux pieds tous les jours que Dieu fait. Pouvait-on, un jour, imaginer ce scénario du pire dans lequel on nous pousse les pieds joints?

Le déclic et le salut ne peuvent venir que de cette justice si longtemps bâillonnée et dévoyée à dessein et le peuple sera là pour la soutenir unanimement.

R. A.

 

Comment (4)

    Mouanis
    18 octobre 2019 - 13 h 31 min

    Bonjour,
    Toutes les réponses sont dans les questions que vous posez avec une fausse naïveté. Quant à la disparité des jugements, la sagesse populaire l’a dénoncée depuis longtemps: « Ne crains pas la justice, crains le juge ».

    Momo
    18 octobre 2019 - 12 h 38 min

    La plupart des juges Alger n’ont pas peur de Dieu mais du pouvoir dont il sont le bras qui punit.

    Merci maman
    18 octobre 2019 - 11 h 46 min

    La notion de « savant » diffère d’un lieu à l’autre et d’une époque à l’autre. En occident en général le Savant est un spécialiste es qualité ou un grand scientifique. Chez nous, Savant (3aalam, 3oulama) est exclusivement réservé aux religieux qui maitrisent parfaitement le Coran, la Sounna et les Hadiths …
    En Islam le pouvoir est unique, l’exécutif, le législatif et le judiciaire sont indissociables. Les savants musulmans sont respectés et écoutés, auparavant c’est eux qui rendaient la justice quelque soit le litige.

    Mon humble intervention concernant l’article de Mr Rabah A (que je salut) concerne 03 points :
    – Le positionnement de notre système judiciaire.
    – La langue utilisée par le barreau.
    – Les conséquences d’un faux jugement prémédité.

    1 – Le positionnement de notre système judiciaire.
    C’est un absurde hybride qui repose arbitrairement sur les préceptes islamiques et les principes des droits de l’Homme, ce qui est absolument incompatible. En quelle que sorte, c’est l’histoire du corbeau qui voulait imiter la marche de la perdrix en définitif il s’entrelace les pattes.
    A titre d’exemple, actuellement en Tunisie, l’héritage se fait du vivant du père en se basant soit sur la « Chari3a » soit sur une répartition équitable à sa convenance. Un grand bravo pour nos frères Tunisiens.

    2 – Dans les pays qui se respectent la langue à l’enceinte d’un palais de justice est : La communication.
    Si l’une des parties ne maitrise pas la langue utilisée un traducteur est automatiquement sollicité.
    Dans nos tribunaux le langage (1) des « Arabo-Islamo-Baathiste» est imposé obligatoirement et utilisé à outrance.
    (1) Ne pas confondre la langue utilisée et le langage utilisé.

    3 – Les conséquences d’un faux jugement prémédité.
    J’ai 02 réponses : Humaine et spirituelle :
    Humaine : Infâme et impardonnable. Sans commentaires.
    Spirituelle : Ma mère (Allah yarham ha) nous disait souvent : « Thassirthe El Hamhama i zathene el 3oulama snéne aouale a rabi djadjane el 3issaba» traduit par : « Il y’a le moulin de Dieu broyeurs de savants qui connaissent sa parole mais ils laissent faire l’iniquité ». Enfin le message : les savants (Au sens musulman) sont les plus sévèrement punis en cas de faute volontaire ou excessive.

    Zaatar
    18 octobre 2019 - 10 h 12 min

    Le déclic et le salut ne peuvent venir que d’une justice libérée….c’est certain. Mais ça aussi Gaid Salah le sait. Et donc tout le monde sait que quasi tous les juges reçoivent des menaces…d’où toutes condamnations, les mises en prison, les arrestations….etc

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