Intifadha populaire et manipulations : l’islamisme politique (I)
Par Kaddour Naïmi – Dans une contribution précédente(1), il fut question du risque d’infiltration de l’intifadha populaire en vue de sa manipulation. Mais un seul agent fut considéré : l’élément étatique. Hélas ! Il faut en signaler d’autres, bien plus insidieux, parce que moins évidents. Commençons par l’islamisme politique. Faut-il préciser que cette expression ne désigne pas l’islam en tant que religion, mais uniquement sa manipulation pour servir une politique de conditionnement d’un peuple musulman, dans le but de conquérir le pouvoir étatique, pour établir une oligarchie de forme cléricale, avec le soutien d’une oligarchie étrangère ? Ce texte se propose de démontrer que l’islamisme politique passé, ouvertement antidémocratique (usant la règle démocratique pour éliminer la démocratie) et violent, se présente aujourd’hui avec le masque de la démocratie et du pacifisme («silmya»), mais le but ultime demeure identique.
Surgissement
Considérons le surgissement de l’intifadha populaire. Que sa première manifestation fut déclenchée dans toutes les villes du territoire national, que toutes les marches furent très bien organisées, sans aucun incident, avec des slogans semblables, ces constatations montrent que cette première action fut certainement le produit d’auteurs qui demeurent jusqu’à aujourd’hui inconnus. Toutefois, sans preuves concrètes vérifiables, les uns affirment que les agents organisateurs de la manifestation du 22 février 2019 furent le général Toufik et son réseau pour se débarrasser du chef d’état-major ; à l’opposé, d’autres accusent ce dernier et son entourage d’être les auteurs, dans le but de mettre fin à la présidence d’Abdelaziz Bouteflika. Passons.
Absence de structuration autonome
Par la suite, durant les huit mois de manifestations populaires hebdomadaires, on constate la même efficience dans l’organisation des marches hebdomadaires : absolument pacifiques, avec des slogans principaux semblables sur tout le territoire national, répondant aux événements qui se succédaient. N’ayons pas la naïveté de croire que tout cela fut le résultat uniquement d’un fameux réseau social, comme certains l’affirment, sans preuve vérifiable.
Toutefois, quand des «personnalités» ou des partis politiques tentèrent de prendre la direction de l’intifadha populaire, ou de parler en son nom, ces tentatives échouèrent. Ce refus fut-il un phénomène spontané des manifestants ou, au contraire, téléguidé ? Pas de preuve pour répondre de manière sérieuse.
Autre observation : l’intifadha populaire n’a jamais produit par elle-même une auto-organisation sous forme de comités locaux, permettant aux citoyens de se rencontrer, d’échanger leurs opinions, de discuter, de prendre des décisions en ce qui concerne les formes de développement du Mouvement pour concrétiser ses buts. De cette observation, serait-il erroné d’en tirer cette conclusion : que les auteurs occultes du Mouvement populaire n’avaient pas intérêt à voir les citoyens prendre en charge eux-mêmes leurs actions ? Si tel est le cas, alors, le Mouvement populaire non seulement fut mais demeure manipulé. Dans quel but fondamental, servant quels intérêts concrets précis ?
Cocktail attrayant
L’observation des marches hebdomadaires et celle de certaines interventions sur les réseaux sociaux montre que l’intifadha populaire est l’objet de manipulations diverses, soigneusement occultées aux citoyens ordinaires, parce que le but est d’utiliser le Mouvement populaire uniquement comme masse de manœuvre pour satisfaire des intérêts d’oligarchies existantes ou visant à les remplacer comme oligarchies nouvelles. Examinons un premier cas.
L’auteur de ces lignes a suivi attentivement les interventions sur les réseaux de celui qu’on appellera pour l’instant M. X.* Il y occupe une place non négligeable. Pour deux motifs. D’une part, les critiques de M. X.* contre le système social dominant et son soutien au Mouvement populaire semblent dictées par un légitime et noble souci de démocratie et de sauvegarde de l’indépendance nationale. D’autre part, M. X.* joue sur un terrain qui lui est très favorable : son vocabulaire islamiste instrumentalise adroitement la foi religieuse du peuple algérien. En outre, M. X.* recourt à une langue arabe qui a l’air moderne mais dont la substance est semblable aux prêches des idéologues islamistes intégristes. Enfin, les déclarations de M. X.* concernant des censures, ou tentatives de censure, rendent le personnage plus sympathique et intéressant. Voilà le cocktail qui rend le personnage attrayant, au point de voir son portrait parfois exhibé lors des marches populaires et proposé sur des réseaux sociaux dans une liste d’éventuels représentants du Mouvement populaire.
Principe de précaution
Mais, si l’on a comme principe de précaution de se poser des questions au sujet des personnages publics, on s’oblige à comprendre le motif réel de leurs déclarations, surtout quand celles-ci ont une certaine influence sur le public, notamment sur les opprimées d’un système social.
Première question. Quelle est la provenance de l’argent de M. X.* pour vivre et effectuer ses nombreux voyages à l’étranger ? Car, visiblement, ses vêtements, les lieux d’où il envoie ses vidéos et les voyages personnels qu’il évoque montrent une aisance certaine. M. X.* a-t-il fourni à ses auditeurs des informations à ce sujet ? Personnellement, je ne les ai pas trouvées. S’il ne les a pas fournies, croit-il que ces informations seraient inutiles ? Cette hypothèse est à écarter car M. X.*, à juste titre, dénonce les personnalités algériennes qui vivent avec de l’argent obtenu de manière illégitime. Dès lors, par cohérence, M. X.* ne devrait-il pas, dans son cas personnel, fournir les preuves concrètes de la provenance de l’argent dont il vit ?
Deuxième question. Le recours systématique à la formule «bî idnî Allah» (selon la volonté de Dieu). Bien entendu, son emploi est légitime et compréhensible de la part d’un musulman mais l’insistance sur cet emploi oblige à se demander : s’agissant de discours éminemment politique, n’est-ce pas là une manière insidieuse d’introduire l’élément religieux, alors qu’on sait combien il fut funeste dans les années 1980 et par la suite ? Ce qui porte à vouloir savoir quel fut l’itinéraire politique de M. X.* depuis qu’il s’active dans le domaine social. M. X.* a évoqué dans ses vidéos la partie formative et officielle, publique, notamment celle qu’il appelle «diplomatique». Mais n’a-t-il pas eu d’autres implications, notamment à l’époque où Kasdi Merbah était le chef de la Sécurité militaire, comme un intervenant vidéo le déclare ?
Troisième question. Une certaine véhémence dans la dénonciation (légitime) des méfaits du pouvoir dominant actuellement en Algérie. Cette véhémence manifeste trop de rhétorique recourant à l’émotionnel. De la part d’une personne se déclarant diplomate, proposant de recourir au raisonnement objectif et pondéré, et assis devant une bibliothèque de livres, cette rhétorique et cette véhémence émotionnelle sont-elles de mise, surtout quand on se rappelle que cette méthode oratoire fut celle, par exemple, d’un Adolf Hitler, lequel en exposa les motifs dans son livre Mein Kampf (Mon combat) ?
Quatrième question. M. X.* évoqua dans une vidéo ses fréquents voyages en Turquie, en faisant l’éloge des «progrès» économiques et sociaux réalisés dans ce pays. Mais pas un seul mot sur l’oligarchie qui domine le pays, sur l’aspect dictatorial de son président Erdogan et sur les engagements politiques internes et externes de ce chef d’Etat N’est-ce pas curieux quand on entend M. X.* pourfendre (à juste titre) l’oligarchie algérienne, sa dictature ainsi que ses actions internes et internationales ? Pourquoi ce deux poids, deux mesures ? Qu’en est-il, alors, de l’objectivité et de la cohérence proclamées par M. X.,* soulignées, régulièrement par des sourate du Coran ou des préceptes du Prophète de l’islam ? Ce recours systématique à la religion est-il vraiment innocent, de bonne foi, quand on sait le degré de religiosité du peuple algérien ? Ces questions imposaient la nécessité de savoir qui est donc, réellement, M. X.*
K. N.
(1) Voir «Révolte et révolution : assimiler toute l’histoire passée» in http://kadour-naimi.over-blog.com/2019/11/revolte-et-revolution-assimiler-toute-l-histoire-passee.html
Ndlr : Les opinions exprimées dans cette tribune ouverte aux lecteurs visent à susciter un débat. Elles n’engagent que l’auteur et ne correspondent pas nécessairement à la ligne éditoriale d’Algeriepatriotique.
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