L’historien Benjamin Stora : «Le peuple algérien a été extrêmement patient»
Par Kamel M. – Benjamin Stora a commenté les insultes du ministre de l’Intérieur, Salah-Eddine Dahmoune, à l’égard du peuple qui manifeste contre le régime, en affirmant que cela relève de «la vieille recette, l’Algérie de la tradition archaïque de ce type de vocabulaire qui ne correspond plus à la modernité dans laquelle l’Algérie, et en particulier la jeunesse algérienne, veut entrer». «Ce type de langage qui vise à délégitimer par le biais d’allusions sexuelles, de blagues douteuses, etc., c’est, dans le fond, ce qui appartient au passé», a ajouté l’historien français qui s’exprimait lors d’un reportage consacré par France 5 au mouvement de contestation populaire en Algérie.
«Il y a une gravité, une profondeur et une puissance de ce mouvement en Algérie parce que les Algériens ont supporté pendant très longtemps le poids d’un pouvoir politique invisible qui décidait de tout, de manière arbitraire», a souligné Benjamin Stora, selon lequel «les Algériens ont été extrêmement patients et ils ont beaucoup appris, d’ailleurs, de cette patience». «Les gens en Algérie font preuve d’une maturité politique qui fait qu’aujourd’hui on est sur plusieurs mois d’une mobilisation intensive sans qu’il y ait eu – disons – de victimes en tant que telles», a fait remarquer l’auteur d’Histoire de l’Algérie depuis l’indépendance.
Benjamin Stora a déjà eu à s’exprimer sur le Hirak en Algérie et a répondu à ceux qui, en France, disent craindre une vague migratoire en cas de crise en Algérie, en soutenant que «les Algériens disent quelque chose de très juste, ils disent ce pays est à nous, nous ne partirons pas». «C’est ça l’état d’esprit de la jeunesse algérienne», avait-il insisté, estimant que «ce n’est pas l’invasion migratoire, la submersion, etc.».
«Dans les années 1990, avait-il rappelé, la décennie sanglante, terrible, absolument épouvantable que tout le monde connaît, au total 100 000 Algériens ont quitté le pays, soit 10 000 par an, c’est-à-dire moins que les Marocains qui ont émigré à cette époque-là.» Pour lui, parler d’une «invasion migratoire» relève de la propagande. «Quand on nous sort le coup de l’invasion migratoire, l’effondrement de l’Etat, etc., c’est un argument de propagande que le régime français utilise – à l’instar du régime algérien du reste – par rapport à ses clientèles électorales venant de la droite la plus dure, la plus extrême», avait-il dit, en expliquant que «cet argument sert, est commode et ne permet pas d’envisager une coopération méditerranéenne qui serait celle d’un avenir pour la jeunesse des deux côtés de la Méditerranée».
Benjamin Stora avait, en outre, décrit les manifestations en Algérie comme étant «extrêmement urbaines, jeunes et éduquées», en précisant qu’«une grande partie des Algériens préfère désormais le mouvement et la volonté de s’orienter vers les défis de l’avenir».
K. M.
Comment (34)