L’islamisme : dernière bête immonde d’un monde capitaliste moribond (I)
Par Mesloub Khider – «Le sommeil de la raison engendre des monstres.» (Fr. de Goya). L’émergence des Frères musulmans est récente. Paradoxalement, mais sans nous étonner, les phénomènes politiques islamistes sont apparus dans les années 1920-30, à l’époque de l’émergence, en Europe, des mouvements fasciste et nazi (Italie, Allemagne, Espagne). A cette période d’émersion de l’islamisme, les Frères musulmans étaient principalement actifs en Egypte et en Syrie et, dans une moindre mesure, dans la zone d’influence de ces pays. Les convergences politiques et idéologiques réactionnaires se manifestent ainsi dès cette période. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, notre époque, frappée par une crise économique systémique, voit apparaître les mêmes mouvements réactionnaires à l’œuvre, aussi bien identitaires que religieux. En cette période de crise systémique, la bourgeoisie exploite toutes les tendances réactionnaires et irrationnelles générées par une société marquée par le pessimisme, la décomposition sociale, l’idéologie du non futur, le nihilisme.
Minoritaires jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, les mouvements islamistes connaîtront une prodigieuse expansion durant la Guerre froide. De fait, tous les mouvements islamistes contemporains tirent leurs racines de l’organisation des Frères musulmans (Ikhwan al-muslimuun), fondée en Egypte en 1928. Son fondateur, Hassan Al-Banna, prônait le retour aux sources de l’islam sunnite orthodoxe pour libérer le monde musulman de la domination occidentale, avec pour objectif politique l’instauration d’un authentique Etat islamique (sic). Aussi relève-t-on des analogies entre les mouvements islamistes et fascistes et nazis européens : ils se fondent tous sur la pureté des origines, le culte des ancêtres, la glorification d’un prétendu passé mythifié, auréolé de toutes les vertus, non pas morales mais guerrières. Mais aussi, corrélativement, sur le rejet de la «modernité», assimilée à la décadence. Au reste, le mouvement islamiste, à l’instar du nazisme, dénonce, verbalement, avec virulence, «l’idolâtrie socialiste et capitaliste». Ces deux forces réactionnaires prêchent une troisième voie : axée, pour le nazisme, sur la Race érigée en programme exclusif politique du nouveau Reich et, pour l’islamisme, sur la Charia (les lois d’Allah) hissée en principes uniques de gouvernance de la nouvelle Oumma (une tentative illusoire de perpétuer les anciens rapports de production féodaux précapitalistes, en vérité historiquement condamnés à disparaître, tout comme le mode de production capitaliste contemporain est voué à se dissoudre pour laisser place à une société plus évoluée, humaine). Autre similitude avec les mouvements fascistes : les Frères musulmans prônent la violence terroriste pour accéder au pouvoir, pour combattre leurs «adversaires» politiques.
De toute évidence, les Frères musulmans constituent le substrat idéologique de l’islamisme (le substrat économique fondamental étant le mode de production agricole féodal encore prégnant au Moyen-Orient), en dépit de l’existence de multiples variantes bandes fondamentalistes islamiques.
Une chose est sûre : les mouvements islamistes ne doivent leur éclosion et leur existence qu’au soutien financier et logistique fourni par les multiples Etats qui les ont toujours manipulés. La diversité sociale de ces oligarchies nationalistes explique l’hétérogénéité des tendances islamistes réactionnaires. Toutes les organisations islamistes ont été patronnées par les puissances impérialistes et leurs affidés politiques locaux. Il en est ainsi du Hamas (Mouvement de la résistance islamique), fondé par Israël pour affaiblir l’OLP. De même, le GIA (Groupe islamiste armé) a été financé par les Etats-Unis pour évincer la France de sa chasse gardée algérienne néocoloniale. Pareillement, pour le Hezbollah, les Talibans, Al Qaïda, Daesch, etc. Cependant, chacun de ces mouvements a eu son parcours singulier, résultant de ses origines sociales et de ses soutiens internationaux.
Sans conteste, les périodes de crise économique systémique, caractérisées par l’obscurcissement de l’avenir et l’obturation de tout progrès, sont propices à l’expansion des tendances ténébreuses irrationnelles, à l’explosion des sectes, des idéologies apocalyptiques, fondamentalistes. Et l’islamisme est l’expression de cette inclination irrationnelle contemporaine propre au Moyen-Orient néocolonisé, aujourd’hui en voie de délaissement par les puissances impérialistes en guerre commerciale, engagées dans une politique d’alternative aux énergies fossiles, abondamment produites dans ces régions musulmanes. Ainsi, en proie à une grave crise économique, le monde musulman se désagrège à grande vitesse. Cette désagrégation favorise toutes les tendances irrationnelles. Aussi n’est-il pas surprenant que l’islamisme emprunte au nazisme ses thèses conspirationnistes sur le complot juif mondial, épouse ses délires antisémites, ses diatribes antioccidentales.
Au vrai, l’islamisme est l’expression irrationnelle du déclin historique du mode de production capitaliste, parvenu à ses limites de son expansion, aujourd’hui largement prouvées par son entrée dans une ère de crise économique systémique, par son incapacité à assurer le développement de régions entières du monde, toujours enlisées dans le sous-développement. C’est ce sous-développement économique et social qui fonde l’armature idéologique de l’emprise de la religion, en particulier de l’islam, sur des populations écrasées par la misère et brisées par leurs classes dirigeantes, ces potentats féodaux locaux, forts avec leur peuple, faibles avec leurs maîtres.
Pour Marx, c’est le capitalisme qui sape les fondements de la religion. Or, le capitalisme tarde à convertir économiquement ces régions musulmanes à sa religion productive, industrielle, financière, technologique, faute de révolution impulsée par les habitants de ces pays islamiques. Ces régions stagnent au stade du capitalisme marchand, de l’économie rentière. Pour assurer leurs rudimentaires besoins, leur flegmatique désert gorgé d’or noir inonde leurs parasitaires trésoreries publiques, préposées aux fonctions d’acquisition des biens matériels auprès des «mécréantes» puissances industrielles laborieuses. Et quand la faim se fait fortement sentir, la mosquée soulage leur misère.
Selon Marx, la religion est «la conscience et le sentiment propre de l’homme qui, ou bien ne s’est pas encore trouvé, ou bien s’est déjà reperdu». Aussi la religion constitue-elle «une conscience erronée du monde, la réalisation fantastique de l’essence humaine, parce que l’essence humaine n’a pas de réalité véritable». Néanmoins, la religion ce n’est pas simplement une conscience erronée, mais une réponse à l’oppression réelle (mais une réponse inappropriée) : «La détresse religieuses est, d’une part, l’expression de la détresse réelle et, d’autre part, la protestation contre la détresse réelle. La religion est le soupir de la créature opprimée, le cœur d’un monde sans-cœur, de même qu’elle est l’esprit de conditions sociales d’où l’esprit est exclu. Elle est l’opium du peuple. L’abolition de la religion en tant que bonheur illusoire du peuple est l’exigence que formule son bonheur réel. Exiger qu’il renonce aux illusions sur sa situation, c’est exiger qu’il renonce à une situation qui a besoin d’illusions. La critique de la religion est donc en germe la critique de cette vallée de larmes dont la religion est l’auréole.»
Aussi, l’introduction du capitalisme dans ces régions d’obédience islamique s’étant réalisée tardivement et incomplètement, sans avoir accompli au préalable une quelconque révolution bourgeoise, ni développé les forces productives, n’est-il pas surprenant de relever la survivance et la prégnance des vestiges archaïques au sein de ces sociétés dominées par la religion musulmane, corollaire du reliquat du mode de production féodale réactionnaire.
Qui plus est, à l’inverse du monde chrétien européen, l’univers islamique n’a pas initié un mouvement de sécularisation, l’équivalent d’une révolution des Lumières. Quoique le monde musulman ait intégré le marché mondial capitaliste comme partenaire commercial, il s’est arc-bouté à certaines structures précapitalistes, notamment ses vestiges identitaires religieux fanatiquement sacralisés. Certes, le Dieu-argent occidental s’est largement implanté dans ces régions, mais le dogme fanatique islamiste n’a pas encore été détrôné. Quelles que soient leurs affiliations théologiques islamiques, sunnites ou chiites, les mouvances islamistes ne s’opposent aucunement au capitalisme : elles font partie intégrante de l’échiquier mondial impérialiste, réduites au rôle de simples pions utilisés par les différentes puissances dans leurs affrontements géopolitiques. De surcroît, ces bandes islamistes sont liées aux réseaux de la criminalité internationale. En effet, elles sont impliquées dans le commerce des armes, le trafic humain, la drogue et la criminalité protéiforme capitaliste.
Au reste, contrairement aux élucubrations des gauchistes adeptes de la révolution au bout du fusil, en quête d’un nouveau Sujet historique messianique anticapitaliste (puisque le prolétariat «occidental» n’existerait plus ou aurait été perverti par son embourgeoisement), sectateurs de toutes les luttes antioccidentales mensongèrement assimilées à des combats anti-impérialistes, le mouvement islamiste ne se situe pas en dehors de la société bourgeoise, mais bel et bien intégré au système capitaliste mondialisé, précipité, lui aussi, dans sa phase de dégénérescence.
M. K.
(Suivra)
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