Braves hirakistes d’Algérie
Par Mesloub Khider – La révolte est un récit politique porté par un discours poétique. Les surréalistes prônaient la révolution de la poésie mais aussi la poésie dans la révolution. Entre poésie et révolution : la poésie au service de la révolution ; la révolution au service de la poésie. La révolte par la poésie s’inscrit dans une démarche révolutionnaire. Faute de poésie révolutionnaire, sa charge subversive est désamorcée, amortie par le pouvoir établi. La révolte salutaire doit s’écrire avec le langage de la vie, pour enfanter la langue universelle de la révolution triomphante. Portée par les poétiques révolutionnaires mots, la révolution est assurée de triompher du régime responsable de nos maux.
Voici une transposition personnelle du célèbre chant patriotique «La neige tombe au seuil d’une mosquée». Rédigé au début du Hirak, d’un seul jet, comme du sang jaillissant d’une blessure, ou comme une soudaine explosion de révolte contre l’injustice, ce «poème» est un cri du cœur. La version originale (1), je la chantais, au début des années 1970, à l’époque où j’étais scout (kechafa) à Alger-centre.
La tyrannie s’impose à l’ombre de la mosquée
Où les braves enfants d’Algérie sont adossés
Ils restent là à résister malgré la terreur qui use
Ils restent là jusqu’à la fin du temps de la ruse
Vient se présenter le même candidat auprès du peuple
Pour quémander son énième mandat électoral
Le peuple a reconnu l’uniforme de la mafia et de la misère
Il repousse la candidature vectrice d’une vie funèbre
Car nous sommes les braves enfants d’Algérie
Et pour la mafia et la misère on ne tond plus notre vie
Dispensez-nous de vos mascarades électorales
Et de vos pantins candidats civils habillés de kaki
On garde notre dignité politique et notre intact moral
Pour poursuivre notre populaire révolution géniale
On refuse vos élections manœuvrées par des larbins
Vous nous avez assez brisés les reins
Vous nous avez assez nourris de gourdins
Vous nous avez assez rassasiés de faim
Vous nous avez assez enrichis de déclins
Tyrans, passez vite votre chemin
Notre patience a atteint ses confins
Votre régime despotique touche à sa fin
Votre acharnement à vous éterniser est vain
Tyrans, passez maintenant la main
Vous nous avez assez sucé notre gain
Vous nous avez assez privés de pain
Tout en chantant fièrement la liberté
Nos Martyrs sont morts sur le Champ de la dignité
Ils doivent se retourner dans leur tombe auréolée de pureté
Car on ne sait où s’en est allée leur Algérie rêvée et chérie
On continue à souffrir toujours sous votre tyrannie
Le peuple algérien porte encore les stigmates du deuil
Car la tyrannie a transformé le pays en cercueil
Où ont été ensevelis tous ses révolutionnaires Espoirs
Elle a sacrifié la vie du peuple au lendemain de la Victoire
Saccagé ses précieuses jeunes années d’indépendance
Profané sa noble culture renommée pour son excellence
Vandalisé ses prestigieux artistes et brillants intellectuels
Perverti sa religion débonnaire et dépravé sa vertueuse morale
Mais le peuple algérien, il ne vous sera jamais acquis
Le peuple algérien, vous ne le soumettrez jamais
Vous avez accaparé la rente pétrolière et étrillé nos vies
Vous avez pu wahhabiser la culture algérienne bien-aimée
Mais l’Algérie vous ne la détruirez jamais
Ses Enfants se soulèvent enfin contre votre tyrannie
Depuis le 22 février, ce révolutionnaire jour béni
Bien déterminés à enterrer votre Système honni
Avec tous ses criminels symboles abhorrés
Vos illégitimes privilèges et votre indécente vie dorée
A poursuivre le combat révolutionnaire de nos chouhada
Afin d’abattre le Système imposé au peuple victime de la hogra
Ressusciter les martyres libertés sacrifiées par les colons d’El-Mouradia
L’indépendance implique la libération politique et socio-économique
A quoi rime l’indépendance quand règne l’inhumaine misère inique
Quand la politique est cultivée par une caste mafieuse sans instruction
Quand le désert économique est érigé en mode de production
Quand la berbère terre arable fertile est labourée par les friches
Quand le pays est librement colonisé par les vils riches
Quand le chômage devient le seul emploi occupé par le peuple
Quand le diplôme universitaire aboutit à l’ouverture d’un étal ou à l’exil
Quand l’ignorance permet un mafieux enrichissement personnel
Quand le peuple est dépossédé de ses richesses
Quand il est déplumé de sa dignité et de sa noblesse
Quand la tyrannie refuse de trépasser, de se fracasser, de se casser
Et continue par ses cabales de nous concasser, tracasser, oppresser
De se perpétuer sournoisement sous les couleurs kaki
Contre la volonté du peuple déterminé à poursuivre son combattif défi
De nous livrer en pâture quelques lampistes de sa scélérate caste
Pour mieux assurer la pérennité de son Système qui nous dévaste
Le peuple s’est pourtant levé comme un seul homme
Pour exiger l’abdication sans concession de tout le Système
Il ne compte pas mettre son drapeau révolutionnaire en berne
Tant que l’oligarchie n’a pas abdiqué et l’armée regagné sa caserne
Car le rôle de l’armée du peuple est d’accompagner l’évolution
De surveiller les frontières et préserver la nation
Et non à la place du peuple le pays elle gouverne
Elle peut même par son homogène structure moderne
Devenir la locomotive de l’actuelle populaire Révolution
Si elle s’associe au nouveau peuple algérien en mutation
Résolu à mener à son terme sa radicale émancipation
M. K.
(1) Version originale algérienne. La neige tombe au seuil d’une mosquée, où est assise une enfant d’Algérie, elle reste là, malgré le froid et la bise, elle reste là, jusqu’à la fin du jour. Un homme passe, à la fillette, donne, elle reconnue l’uniforme ennemi, elle repoussa l’aumône que lui donne à l’officier, elle répond fièrement. Gardez votre offre, je garde ma souffrance, soldat français passez votre chemin, moi je ne suis qu’une enfant d’Algérie, à l’ennemi, je ne tends pas la main. Mon père est mort sur un champ de bataille, et Je ne sais l’endroit de son cercueil. Ce que je sais, c’est que votre mitraille m’a fait porter cette robe de deuil. Ma mère tomba sur le mur écroulé, blessée à mort par l’une de vos balles, blessée à mort par l’un de vos boulets. Vous avez pris nos pères et nos mères, vous avez pris nos terres et nos fermes, vous avez pris nos frères et nos sœurs. Quant à nos cœurs, vous ne les aurez jamais.
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