Ce que Trump aurait pu faire avec la Constitution algérienne
Par Youssef Loldj – Karim Tabbou a dit un jour : «Il existe deux genres de politiciens en Algérie, ceux qui font la politique pour convaincre le peuple et ceux qui la font pour convaincre les barons des salons.» Pourquoi ce constat ? Pourquoi en Algérie est-il possible d’accéder à des postes de responsabilité très élevés sans convaincre personne et sans aucune légitimité populaire ? Peut-on renverser la vapeur ? Redonner au peuple une confiance dans les institutions et le processus démocratique ?
Il est évident que les premières mesures à adopter aujourd’hui doivent consister en l’arrêt de la répression, la libération des prisonniers politiques et d’opinion, l’ouverture des médias et des espaces publics, etc. Aucune confiance ne serait possible sans ces préalables. Mais, au-delà, quels sont les mécanismes à changer ?
Regardons de plus près ce qui s’est passé après le 12 décembre 2019. Tebboune choisit un chef de gouvernement, Abdelaziz Djerad, le 28 décembre. Ce choix lui revient-il donc à lui seul ? L’article 91 de la Constitution qui définit les pouvoirs et les prérogatives du Président stipule dans l’alinéa 5 qu’«il (le Président) nomme le Premier ministre, la majorité parlementaire consultée, et met fin à ses fonctions». Le Parlement a-t-il été consulté ? Non. La relation entre Tebboune et Djerad a permis à ce dernier d’obtenir le poste. Présenter un plan, un bilan, un palmarès et essayer de convaincre le peuple n’était absolument pas nécessaire. Par la suite, un gouvernement de 39 ministres a été formé.
D’abord, comment expliquer qu’un Président puisse créer autant de nouveaux ministères ? Ces organisations doivent avoir une structure, un personnel administratif, etc. Qui va payer pour cela ? Comment assurer la coordination entre ces départements ministériels pléthoriques ?
A titre d’exemple, nous avons un ministre de l’Industrie, un autre pour la micro-entreprise, un autre encore pour les incubateurs et un quatrième chargé des start-up. Avons-nous vraiment simplifié le processus de lancement d’une start-up en Algérie ? Aux prochaines présidentielles, devrons-nous nous attendre à encore plus de ministères ? A moins ?
Ensuite, comment ces ministres ont-ils été choisis ? Ont-ils des compétences à faire valoir, un projet à présenter ? Absolument pas ! Une simple nomination de Tebboune est suffisante et les personnes désignées ont pu prendre leurs nouvelles fonctions quelques jours après la nomination.
Dans d’autres démocraties, aux Etats-Unis par exemple, les divers départements exécutifs fédéraux (équivalents aux ministères) sont créés par le Congrès et leur nombre est resté le même, soit quinze, sous l’administration Bush, Obama et Trump.
Les chefs de ces départements sont choisis par le Président et approuvés avec «l’avis et le consentement» du Sénat américain. Un Président ne peut donc créer de nouveaux ministères comme bon lui semble. Les ministres-candidats doivent présenter publiquement leur palmarès, leurs points de vue sur plusieurs questions, convaincre les sénateurs et obtenir leur vote avant d’occuper leur poste.
L’article 92 de la Constitution algérienne comporte d’autres aberrations, puisqu’il permet au Président de nommer le premier président de la Cour suprême, le président du Conseil d’Etat, le secrétaire général du gouvernement, le gouverneur de la Banque d’Algérie, les magistrats, les responsables des organes de sécurité et les walis.
En Algérie, créer un parti politique, établir un programme sérieux, faire campagne et convaincre le peuple peuvent vous faire élire maire d’une ville, mais convaincre un Président peut vous faire parachuter au poste de wali ou, mieux encore, de ministre.
Imaginez ce que Trump aurait pu faire si on l’avait laissé choisir les gouverneurs des 50 Etats ? Une Constitution avec autant de pouvoirs aurait été un rêve pour Trump. Celle en vigueur, dotée d’une véritable séparation des pouvoirs, a permis de limiter d’éventuels dégâts.
Enfin, l’article 15 de la Constitution algérienne stipule que «l’Etat encourage la démocratie participative au niveau des collectivités locales». Certes, les collectivités locales seraient un bon début, mais une véritable démocratie participative doit d’abord donner au peuple la liberté de choisir tous ses dirigeants et de s’impliquer dans toutes les questions sérieuses qui le concernent.
Les 49 semaines de Hirak nous prouvent que le peuple algérien et sa jeunesse veulent s’impliquer, qu’elle se sent concernée par l’avenir de son pays. Il y a, par exemple, une nécessité absolue d’organiser un débat national sur l’extraction des gaz de schiste. Malheureusement, aucune structure n’existe pour un tel débat. C’est pourquoi, en attendant des jours meilleurs, les opportunistes continuent de courtiser les barons pour obtenir des postes. Le parachutage se poursuit.
Y. L.
Membre de FreeAlgeria et du collectif DZUnited de San Francisco
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