Le pouvoir voudrait s’incarner dans le Hirak pour survivre
Par Youcef Benzatat – L’Algérie est la métaphore d’une famille dont le père refuse de mourir. Malgré l’existence d’un acte de décès, qui a bien été établi un vendredi de février 2019 par près de 40 millions de médecins légistes «indépendants». Les enfants en sont témoins, car ils l’on accompagné dans ses derniers moments avant que son cadavre ne se raidisse. Le père serait donc mort, mais des médecins légistes de l’au-delà, qui étaient dissimulés dans leur casernement, ont fait soudainement irruption pour attester qu’il est encore en vie et que son cadavre continue de tressaillir en de violentes convulsions.
L’Algérie serait donc devenue un lieu où les morts et les vivants s’affrontent sur leur vérité réciproque. Le père tenant pour une vérité irrévocable que ses enfants étaient mort-nés l’été 1962 et qu’il avait la charge de veiller éternellement sur leurs cadavres. Ils ne pouvaient donc pas témoigner sur la vérité de sa mort. Les enfants, de leur côté, sont convaincus de son décès le 22 février 2019, comme l’atteste le témoignage produit par les 40 millions de médecins légistes «indépendants». Leur relation est devenue une spéculation sur le cadavre de l’un et de l’autre.
Les enfants se retrouvent à devoir gérer cette dénégation par des processions périodiques interminables, tous les vendredis et les mardis de chaque semaine, en attendant de faire le deuil de la mort définitive du père pour pouvoir s’organiser et reprendre une vie normale. Car dans l’état actuel de la situation de dénégation, il leur est impossible d’envisager quoi que ce soit sous peine que le cadavre du père ne ressuscite pour de vrai. De son côté, le père, agonisant dans les dernières convulsions que les médecins légistes de l’au-delà lui avaient prêtées, voudrait se réincarner dans l’orientation de leurs processions et accaparer encore une fois leur vie en les déclarant mort-nés de nouveau un février 2019.
En refusant de mourir et en voulant s’incarner dans l’orientation des processions périodiques de ses enfants, le père croit ainsi échapper à la mise à mort de son cadavre par ses enfants pour les avoir toujours tenus pour des mort-nés. Mais ce que le père et les médecins légistes de l’au-delà refoulent, c’est que la volonté de la mise à mort de son cadavre est l’essence même de l’orientation de leurs processions périodiques.
Il ne suffit pas de décréter vouloir restituer à la justice son droit pour convaincre de sa volonté à vouloir s’incarner dans les orientations des processions périodiques de fils tenus pour mort-nés. Il faudra au préalable s’apprêter au jeu du justiciable devant la loi, tout nu, et rendre compte dans la transparence absolue de tous les crimes de tous genres commis contre ces fils déchus dès leur avènement au monde. Sans les nommer tous, car leur liste dépasse toute formulation exhaustive, faire la lumière sur l’assassinat des historiques de la Révolution de Novembre et condamner les coupables, faire la lumière sur les assassinats politiques depuis cette date jusqu’à ce jour. Faire la lumière sur les tortures de 1988, les dépassements de 2001 et tous les crimes économiques de l’ère Bouteflika et bien avant. Voilà qui apaisera les consciences et rendra le deuil possible pour reconstruire un vivre-ensemble apaisé où règne la confiance, la solidarité et la fraternité.
Y. B.
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