Quand Gaïd-Salah complotait contre l’Etat dans un hôpital militaire français
Par Abdelkader S. – 28 avril 2013. Abdelaziz Bouteflika vient d’être terrassé par un grave accident vasculaire cérébral. Transporté en urgence à l’hôpital d’Aïn Naâdja, les médecins préconisent son transfert immédiat dans un établissement hospitalier mieux équipé pour y être pris en charge avant qu’il soit trop tard. Ce sera l’hôpital militaire parisien du Val-de-Grâce dont la majorité des Algériens entendait parler pour la première fois. Personne ne savait encore, à l’époque, que le second malaise du président de la République, après celui de 2005, allait conduire à la crise politique profonde dans laquelle se débat le pays actuellement.
Ayant compris qu’il n’allait bientôt rester du chef de l’Etat hémiplégique que le cadre, le patron des services des renseignements, le général Toufik, le ministre de l’Intérieur, Daho Ould-Kablia, et d’autres hauts responsables politiques entrevoyaient déjà un recours à l’article de la Constitution stipulant l’empêchement. Mais la situation étant délicate et les équilibres fragiles au sommet de l’Etat, le général Toufik a préféré convaincre le Président malade d’achever son mandat tant bien que mal et de ne pas en briguer un quatrième. Ce dernier, fatigué, acquiesça.
Eloigné de la décision politique, l’ancien chef d’état-major, qui n’avait pas encore la double casquette de commandant des forces et vice-ministre de la Défense nationale, voyait sa fin proche dans le cas où le Président qui l’a fait roitelet venait à lâcher les commandes au profit d’un nouveau locataire à El-Mouradia, quel qu’il fût, car il aurait été, selon lui, coopté par le puissant chef du DRS, son ennemi juré.
Ahmed Gaïd-Salah demande à être reçu à Paris par le Président malade. La rencontre aura lieu à grand renfort de caméras, deux semaines après l’admission d’Abdelaziz Bouteflika. Officiellement, le chef d’état-major, flanqué du Premier ministre Abdelmalek Sellal, devait s’enquérir de la santé du Président. En réalité, Saïd Bouteflika et Gaïd-Salah, alors alliés, voulaient passer un message au «groupe» qui cherchait une alternative à l’impotent Président avant que sa maladie créât un vide constitutionnel et entraînât le pays dans une crise politique complexe.
Des sources concordantes indiquent que la présence d’Abdelmalek Sellal était purement symbolique et avait pour objectif d’atténuer la connotation militariste de la mise en scène. L’essentiel de l’entrevue s’est déroulé entre Bouteflika et l’homme fort de l’armée qui fera pression sur son interlocuteur pour s’accrocher à son siège d’El-Mouradia, quelle que fût la gravité de sa maladie. Le général Gaïd-Salah, qui avait échangé avec le chef de l’Etat dans un établissement relevant de l’armée française, donc forcément piégé, pavait la voie non seulement au quatrième mandat prévu pour l’année d’après, mais également au cinquième qui mettra le feu aux poudres six ans plus tard.
Le complot de Gaïd-Salah visait à sauver sa peau car sachant que son sort était lié à celui du cercle présidentiel dont il assurait la pérennité, tout en profitant des largesses que lui procurait la double fonction de chef d’état-major de l’armée et de vice-ministre de la Défense nationale. La suite de ce complot contre l’Etat se caractérisera par les premières manœuvres échafaudées par Gaïd-Salah et Saïd Bouteflika contre ceux qu’ils considéraient comme les conspirateurs contre le clan. Le ministre de l’Intérieur sera remplacé par Tayeb Belaïz trois mois plus tard et le patron de l’ex-DRS essuiera des attaques enragées de la part de l’ancien secrétaire général du FLN, Amar Saïdani, et de l’ex-associé des fils de Gaïd-Salah, Baha-Eddine Tliba, savamment relayées par l’outil de propagande de la coterie, Ennahar TV, dont le directeur croupit depuis peu derrière les barreaux à la prison de Koléa.
S’ensuivra le démantèlement des services de sécurité après la mise à la retraite du général Toufik, dans la perspective du cinquième mandat que Gaïd-Salah voulait imposer aux Algériens, fût-ce en présentant un croquis en lieu et place du candidat forcé à sa propre succession. Mais c’était sans compter avec la ferme volonté des citoyens de mettre fin à la mascarade. Cela n’empêche, Gaïd-Salah réussira à détourner à son profit le mouvement de contestation populaire qui venait d’éclater après le carnaval de la Coupole, en se présentant comme le «pulvérisateur du clan mafieux», jetant ses propres alliés en prison et instaurant une dictature dont les stigmates sont encore perceptibles cinq mois après sa mort.
A. S.
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