Le microbe et le terrain
Par Kaddour Naïmi – En suivant avec attention tout ce qui se dit sur l’actuelle pandémie, notamment sur les vaccins, il semble utile d’y ajouter des observations. Pasteur aurait dit à la fin de sa vie : «Béchamp avait raison. Le microbe n’est rien, le terrain est tout.» L’observation empirique démontre ce fait, dans n’importe quel domaine : biologique, social, psychologique, idéologique.
En son temps, Mao Tsé Toung (si ma mémoire est correcte) employa une métaphore dont voici la substance. Considérons un coup de poing. S’il frappe une tomate, elle se réduit en miettes ; si, par contre, il frappe un caillou, c’est le poing qui est réduit en miettes.
De manière plus conceptuelle, dans tout phénomène, sa ou ses contradictions internes, autrement dit les conflits qui s’y trouvent sont d’abord à considérer pour estimer combien des contradictions externes à ce phénomène (autrement dit des conflits qui le visent) peuvent influencer ce phénomène.
Exprimé d’une manière axiomatique : toute considération sur un fait doit rechercher et trouver sa cause première, laquelle provoque des causes secondaires.
Pourquoi commencer par ces prémisses ? Pour dire que les propos suivants sont dictés par l’observation empirique, laquelle dépend du bon sens et de raison garder, sans considérer les propres convictions, la propre morale, ni idéologie.
Chats et fripons
Dans la majorité des arguments justifiant ou récusant l’emploi de vaccins, d’une manière particulière, comme dans les considérations sur la pandémie actuelle, en général, ne semble-t-il pas que ce qui a été dit dans les prémisses ci-dessus n’est pas respecté, ou pas de manière suffisamment claire, autrement dit, pour reprendre l’expression de Boileau, d’«appeler un chat un chat, et un fripon un fripon» ? Essayons donc de clarifier.
La pandémie et le débat sur les vaccins, dans quel système social existent-ils ? Dans un système capitaliste, privé ou étatique, mais capitaliste. Quelle est la base et la caractéristique principales de ce système ? Le profit financier, l’enrichissement. De qui ? De tous ? Non pas : d’une minorité d’environ 1%, composée de détenteurs de capital consistant (genre Bill Gates, Rothschild, Soros, etc.), sans oublier les actionnaires, du plus important au plus petit. Tous ces gens-là, quel est le motif premier de leurs activités, de leur existence sur cette planète ? Produire le bonheur sur terre pour toute l’humanité ? Ou, d’abord, produire leur enrichissement financier personnel ? Et quand ce dernier entre en conflit avec le bonheur de l’humanité tout entière, est-ce que le détenteur de capital (ou d’action capitaliste) choisit de renoncer à son enrichissement personnel au détriment du bonheur de l’humanité ou, au contraire, il opte pour le bonheur de l’humanité au détriment de son enrichissement personnel ?
Le système capitaliste est clair à ce sujet : priorité au profit financier personnel du détenteur de capital (ou d’action). Evidemment, dans leurs déclarations, les capitalistes prétendent le contraire, en invoquant Dieu ou la «morale» : qu’ils œuvrent pour le bonheur de l’humanité. «Enrichissez-vous !» proclamait le ministre français Guizot, à l’aube du capitalisme. A l’époque du même capitalisme devenu triomphant contre le «socialisme» (plus exactement, capitalisme étatique), un autre déclara : «Il n’y a pas de honte à s’enrichir !» en ajoutant : «Qu’importe si le chat est noir ou blanc, l’important est qu’il attrape la souris !» (Deng Xiao Ping, qui se disait «communiste»).
Serait-il incorrect de déduire de ce qui vient d’être dit : qu’importe le sort de l’humanité, l’important est de réaliser un profit financier ! Oui, bien entendu : on prétend que l’enrichissement profitera à l’humanité entière. L’observation empirique montre qui est le profiteur de cette situation : d’abord une minorité d’individus, et une amélioration relative des classes moyennes : il faut qu’ils achètent pour produire du profit aux marchands. Quant au reste de l’humanité – qui est la majorité –, qu’elle se débrouille ou meure. «Loi de sélection sociale, conforme à celle naturelle», disent les capitalistes.
On objecterait : mais la personne qui penserait ainsi serait folle car, pour réaliser un profit financier, il est nécessaire d’exploiter des êtres humains, il faut des «souris» à attraper, des exploités d’où tirer une plus-value.
Réponse. Observez empiriquement, exactement comme le savant observe un microbe, le comportement réel (en le comparant aux déclarations) des capitalistes. Ne constate-t-on pas les traits essentiels du psychopathe ?
Dans un essai, je signalais les observations d’un psychologue canadien. Il n’a rien d’un anarchiste, communiste, gauchiste, complotiste, contestataire. Il est renommé pour ses recherches sur la psychologie criminelle :
«Le Dr Robert Hare, un consultant pour le FBI sur les psychopathes, établit des parallèles entre un psychopathe et la corporation moderne. Ses conclusions corroborent le comportement suivant : dure indifférence pour les sentiments d’autrui, incapacité à maintenir des relations durables, imprudent mépris pour la sécurité d’autrui, trompeur en mentant à répétition et en trompant les autres en vue du profit, incapacité de faire l’expérience du sens de culpabilité, incapacité à se conformer aux normes sociales avec respect pour les comportements licites.» (1)
Dès lors, concernant la pandémie actuelle (et toute autre), et les manières de l’affronter (vaccin ou pas, gratuit ou payant, curatif ou dangereux, etc.), faut-il s’étonner du comportement actuel de tout ce qui appartient et se nourrit du système capitaliste, c’est-à-dire de la priorité absolue du profit financier personnel d’une minorité d’individus ?
Réforme ou rupture ?
Une déclaration m’a contraint à réfléchir, d’où la rédaction de ce texte. Une députée italienne, Sara Cunial, parlant au Parlement, dénonça les méfaits de la gestion actuelle de la pandémie, allant jusqu’à demander de déférer Bill Gates pour crime contre l’humanité auprès du Tribunal pénal international (2). En envoyant cette information à un ami italien, généralement bien informé, il resta perplexe à propos de cette déclaration. Alors, je lui ai envoyé la déclaration de Robert Kennedy Jr concernant les implications du même Bill Gates dans l’affaire de la pandémie (3). L’ami italien en resta effaré : «Est-ce possible ?»
Je lui expliquais qu’il n’y avait pas de quoi l’être. En effet, s’il peut exister un capitaliste qui se prive de son capital (optant pour une vie ordinaire de citoyen) ou en offre une partie pour des œuvres bénéficiant réellement à l’humanité (et non pas exploitant de manière opportuniste cette action pour augmenter son capital), ce genre de personne est l’exceptionnelle exception à la règle absolument dominante.
Dès lors, et retournant aux prémisses introductives, n’est-il pas légitime, raisonnable et logique de poser la question : le système capitaliste est-il réformable ? Par exemple, pour une gestion correcte, c’est-à-dire au bénéfice de l’humanité et non pas d’abord de l’enrichissement financier personnel, suffit-il à Sara Cunial de proposer l’envoi de Bill Gates devant le Tribunal pénal international ? Suffit-il à Robert Kennedy Jr de dénoncer les méfaits de Bill Gates ? Suffit-il aux professeurs Didier Raoult, Stefano Montanari et autres savants (non dépendants financièrement de firmes capitalistes) de dénoncer les malfonctionnements du système sanitaire national et mondial ?
Certes, après la victoire contre le nazisme et le fascisme à la fin de la Seconde Guerre mondiale, puis durant l’existence des deux blocs idéologiques pendant la guerre froide, les dirigeants capitalistes furent contraints, oui contraints, de pratiquer des politiques sociales pour empêcher leurs peuples d’être attirés par le modèle social adverse.
Mais, à présent que le capitalisme domine la planète entière, sous forme privée ou étatique, les capitalistes considèrent avoir toute la liberté de s’enrichir sans freins, à outrance. Ils reviennent au capitalisme sauvage du début de ce système. A celles et ceux qui s’étonnent de les voir mettre en péril jusqu’à l’existence de l’espèce humaine sur terre, notamment par l’exploitation effrénée de la nature, par la course aux armements, y compris bactériologiques, faut-il rappeler le caractère psychopathe des partisans du profit avant tout ? L’histoire le montre : toute oligarchie n’accepte jamais de disparaître sans entraîner avec elle ceux qui la font disparaître : «Après moi, le déluge.»
A l’heure actuelle, cependant, les forces d’opposition à ce système capitaliste ne disposent pas d’un rapport de force sociale (nationale et mondiale) favorable, parce que les peuples sont généralement anesthésiés par les moyens de conditionnement et de consentement contrôlés par les capitalistes, et les détenteurs d’un savoir émancipateur demeurent une minorité disposant de peu de moyens d’action et de diffusion de leurs idées.
Faut-il se résigner ?
Rappelons un précédent historique. Dans la Grèce puis la Rome antiques, comme dans la Chine antique, existait le système esclavagiste. Il dominait à tel point qu’en Grèce les plus «éminents» penseurs (Platon, Aristote) considéraient le système esclavagiste comme «naturel» et «éternel» ; seules de rares personnalités à contre-courant dénonçaient l’esclavage comme une tare sociale à éliminer (Antisthène, Diogène de Sinope, Epicure). En Chine, de même, le plus «éminent» penseur considérait la domination de la minorité sur la majorité comme «normale» et appelait uniquement à une «charité humaine» (Confucius) ; là aussi, seules de rares personnalités à contre-courant dénonçaient la domination sociale comme une tare à éliminer (Zhuang Zi). Tous ces contestataires défendaient un principe d’auto-gouvernement par l’ensemble de la communauté des citoyens.
Après plusieurs siècles, sous le coup des luttes populaires (et intellectuelles) et les contradictions internes au système esclavagiste, il disparut dans les poubelles nauséabondes de l’histoire. Le capitalisme inventa un esclavage adapté à son époque : l’exploitation salariale par le conditionnement à la servitude volontaire.
Pourquoi donc, le capitalisme serait-il, comme l’esclavagisme et le féodalisme auparavant, «naturel» et «éternel» ou, encore, «le moins pire des systèmes» ? Certes, il domine actuellement et dominera un certain temps. Mais les Antisthène, les Diogène de Sinope, les Epicure, les Zhuang Zi d’aujourd’hui et de demain, d’une part, et, d’autre part, les révoltes citoyennes d’aujourd’hui et de demain, faut-il les ignorer, les dédaigner, les mépriser ? N’est-il pas raisonnable, logique et, – osons le mot –, honorable en cette époque obscure de capitalisme triomphant, de ne jamais oublier que «le microbe n’est rien, le terrain est tout» ? Le terrain, n’est-il pas le niveau de conscience des peuples (et de la partie des détenteurs de savoir qui en font partie) ? Et ce niveau de conscience n’est-il pas à stimuler par toute personne intéressée non pas au profit financier personnel, mais à la dignité collective de l’espèce humaine et de son cadre naturel ?
Par conséquent, lutter pour des réformes, oui ! Entreprendre toutes les actions possibles pour «corriger» les «errances», «incohérences» et «injustices» (on appelait cela les contradictions) du système social capitaliste, oui ! Toutefois, est-ce suffisant sans tenir compte de la cause des causes : un système qui donne la priorité au profit personnel au détriment du bien-être de l’humanité ? Autrement, n’est-on pas dans la situation de personnes se trouvant dans une barque trouée, se limitant à jeter par-dessus-bord l’eau envahissante, sans néanmoins se préoccuper de se munir d’une barque sans trous ? La «barque» qu’est la planète Terre a des trous dans l’ozone, des «trous» appelés bases militaires secrètes de guerre nucléaire et bactériologique, des trous appelés spéculations financières, et des trous qui provoquent des pandémies mondiales.
Quel modèle ?
D’accord, dirait-on, mais, alors, quelle «barque» utiliser, par quoi remplacer le capitalisme ? Le système qui, dans le passé, était antagoniste à celui capitaliste a, désormais, montré sa tragique inefficacité. Il s’est révélé très vite, au-delà du vocabulaire de novlangue, n’avoir été qu’un capitalisme de forme étatique.
Alors, quand on demande légitimement à ce que les citoyens, les peuples décident réellement et en réelle connaissance de cause de leur société, que demande-t-on ? Une «démocratie populaire» ? Oui, si l’expression n’a pas été prostituée par des régimes qui s’en réclamaient avec la plus hypocrite des impostures. Autogestion sociale ? Oui, si le terme n’avait pas été stigmatisé comme «anarchie» en y voyant désordre social et utopie ridicule.
Toutefois, l’observation empirique constate : le système capitaliste ne permet pas réellement aux citoyens, aux peuples de connaître correctement les enjeux sociaux pour décider raisonnablement qui les représenteraient fidèlement dans ce domaine. Autrement, le capitalisme serait éliminé. La preuve ? C’est toujours la minorité des détenteurs de capitaux (privés ou étatiques) qui décident et gèrent la planète, à travers des institutions (nationales et internationales), dans tous les domaines stratégiques (comprenant la santé, évidemment), institutions conçues par eux et appliqués par leurs employés convenablement stipendiés et glorifiés. Ces derniers sont d’abord les dirigeants politiques étatiques élus grâce à l’argent des capitalistes (privés ou étatiques), ensuite, les idéologues qui gèrent la machine du consentement servile de la majorité des citoyens.
Revenons à la gestion sociale par le peuple. Les rares fois où elle exista réellement, elle fut noyée dans le sang. Au sujet de l’appellation de cette gestion sociale, peu importe l’expression et les termes employés ; au fond, c’est le contenu concret qui importe. Bien entendu, il ne s’agit pas d’un «modèle» tout prêt à appliquer, pas d’une recette toute faite. On a suffisamment constaté le désastre du dogmatisme, y compris «scientifique» ou «révolutionnaire». La gestion sociale par les citoyens est une indication, une proposition à expérimenter, de manière libre, égalitaire et solidaire. Les trois conditions forment une unité complémentaire indissociable.
Concluons avec un dicton chinois ancien : «Un voyage commence par un premier pas.» Le voyage vers l’émancipation de l’humanité ne consiste-t-il pas à raisonner en distinguant la cause première des causes secondaires, le microbe par rapport au terrain, le coup de poing qui frappe une tomate ou un caillou, à désigner un chat un chat, et un fripon un fripon ?
K. N.
(1) Plus de détails in «La guerre, pourquoi ? La paix, comment ?», disponible in https://www.kadour-naimi.com/f_sociologie_ecrits_guerre_paix.html
(2) https://www.youtube.com/watch?list=PLaRAHzymuCedM997KHKXHAa2Fzy9B2Aok&time_continue=5&v=eq_CY08uk5g&feature=emb_title
(3) https://reseauinternational.net/kennedy-bill-gates-le-diffuseur-de-fausses-nouvelles-controle-la-ligne-de-factchecker-et-de-politifact-sur-les-vaccins/
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