Au Maroc aussi l’appareil judiciaire est sous la botte des services secrets
Par Adil Zraïdi – Malgré les milliards de centimes dépensés par le régime du Makhzen pour soigner son image de marque et faire croire à l’existence d’une démocratie qui «suscite la jalousie des autres pays arabes», il n’en demeure pas moins que la réalité est tout autre, ne serait-ce qu’à partir des peines d’emprisonnement prononcées à l’encontre de citoyens marocains qui critiquaient le régime et mettaient en évidence l’ampleur de la corruption au sein de toutes les institutions et administrations de l’Etat.
Les cibles du Makhzen sont les journalistes intègres, les blogueurs ou tout citoyen qui aspire à la justice et le droit de vivre dignement dans son propre pays. Pour y arriver, le Makhzen ne lésine pas sur l’élaboration de textes de loi par lesquels il peut facilement arrêter et condamner illico presto tout citoyen qui ne se conforme pas à l’état d’esclavage dont il est victime.
Dans ce cadre, certains profiteurs des bienfaits du Makhzen ont voulu faire passer une loi par laquelle tout citoyen qui lance un appel au boycott ou met en ligne des vidéos ou des commentaires qui ne plaisent pas au régime en place sera condamné à de lourdes peines d’emprisonnement et à des amendes salées pour remplir les caisses noires.
Le Makhzen, qui est accusé par beaucoup de Marocains d’avoir éliminé deux personnages dérangeants, à savoir les défunts Mohamed Zaïdi et Abdallah Baha, s’est vu contraint de modifier sa méthode qui peut lui créer des problèmes si jamais il y aurait des fuites incontrôlées. La nouvelle arme est donc l’appareil judicaire. De cette façon, toute voix dérangeante peut être éliminée grâce à la justice.
Plusieurs journalistes ont eu droit à ce nouveau traitement qui consiste d’abord à ficeler un dossier sur la cible, notamment sa vie privée et ses éventuelles escapades érotiques, sinon on lui crée un dossier correspondant en payant des personnes pour jouer le rôle de la victime qui va déposer une plainte sur la base de laquelle il est arrêté et présenté devant la justice. Durant la période où il est entre leurs mains, on lui propose de coopérer en se mettant de leur côté, en lui faisant comprendre que malgré les beaux draps dans lesquels il est, le roi peut le faire sortir et le blanchir à nouveau. Normal, puisque c’est au nom du roi qu’il a été arrêté et condamné.
Pourtant, des journalistes audacieux continuent de défier le Makhzen contrairement à ce qu’il aurait souhaité. Ainsi, le rédacteur en chef d’Akhbar Al-Yaoum, Souleimane Raisouni, a cru nécessaire de se poser des questions sur les statistiques émises par la police et la justice, mettant en évidence l’écart entre les personnes condamnées pour avoir enfreint l’obligation de porter des masques et celles qui ont subi des analyses. Jusque-là, ça peut passer. Mais ce qui a mis le Makhzen hors de lui, c’est le fait que le journaliste ait effectué une comparaison entre l’Egypte de Sissi et le Maroc de Mohammed VI. Ainsi, celui qui est désigné comme le dictateur de l’Egypte ne condamne pas les Egyptiens à la prison pour le non-port des masques, mais seulement à une amende, alors que Mohammed VI les condamne à la prison, et cela se passe dans le pays qui est censé être à des années-lumière en matière de droits de l’Homme par rapport à l’Egypte de Sissi, selon les propos du journaliste.
L’article en question est paru le 20 mai. Deux jours après sa publication, Souleimane Raisouni est arrêté par la police et placé en garde à vue sur ordre du procureur général auprès de la cour d’appel de Casablanca.
On arrive ici à la nouvelle méthode du Makhzen pour éliminer les voix qui dérangent. Le journaliste en question n’a pas été arrêté pour avoir critiqué implicitement le régime de Mohammed VI, faisant paraître ce dernier pire que Sissi, mais pour «attentat à la pudeur avec violence et séquestration».
Quant à la présumée victime, personne ne sait quoi que ce soit sur elle, sinon qu’elle s’appellerait Adam. L’arrestation s’est faite sur la base de ce que ce dernier a écrit sur Facebook. Dans un premier temps, il a déclaré qu’il y avait tentative, puis il a changé sa version pour devenir un «attentat à a pudeur avec violence». Il n’y a eu aucune confrontation entre le journaliste et la victime, ce qui est censé être fait par n’importe quel officier de Police judiciaire, fût-il débutant. Mais comme la Police judiciaire agit sous la coupe des services secrets qui contrôlent même la justice, alors il n’y a pas de raison de se poser des questions.
Cette autre affaire qui s’ajoute aux autres, impliquant des journalistes et des militants de tout bord, nous donne la preuve formelle que le Maroc est bien loin de l’Etat de droit. Lorsque la justice courbe l’échine devant les services secrets, il n’y a ni démocratie, ni justice, ni droits, ni loi sinon celle du plus fort. Dès lors, nous ne sommes plus dans un Etat, mais dans une jungle où la férocité commande les instincts.
Les tyrans croient toujours que casser des plumes, couper des langues, humilier et opprimer les résistants à la tyrannie, l’oppression et la corruption est la solution magique pour qu’ils continuent à sévir impunément. Ils peuvent être contents de s’entourer d’idiots, de pervers, d’hypocrites et d’arrivistes qui créent un monde d’illusions à leur image, alors que les vrais dirigeants, intègres, intelligents, modestes, patriotes s’entourent de personnes à leur image, ce qui se remarque sur la situation de l’Etat et du peuple en général.
La méthode expéditive du Makhzen via l’utilisation de la justice par les services secrets n’est plus un secret pour personne. Après les enlèvements, les assassinats, les accidents, cela paraît peu coûteux pour la crédibilité et l’image du Makhzen, mais cela ne change rien à la réalité, celle d’un pays gouverné par la mafia chérifienne.
A. Z.
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