Quand le Tunisien Ghannouchi «plagie» les discours du général Gaïd-Salah
Par Abdelkader S. – «Ghannouchi assassin !» C’est par cette sentence que les Tunisiens ont crié leur colère suite à l’arrestation de deux syndicalistes pour «agression contre un député» à Sfax, dans le sud du pays. Les manifestations battent leur plein et le dirigeant du parti islamiste Ennahdha, la branche tunisienne de la secte des Frères musulmans, est la cible privilégiée des manifestants en colère contre le pouvoir en place. Et c’est tout naturellement par le biais d’un média qatari que le président du Parlement a riposté en empruntant à la terminologie des dictateurs.
Dans un entretien à Al-Jazeera, on croirait entendre une harangue de Gaïd Salah. Rached Ghannouchi qualifie, en effet, les demandes de dissolution du Parlement de «plans visant à porter atteinte à la stabilité du pays, perturber les institutions de l’Etat et gêner les intérêts des citoyens». «Ces plans, insiste-t-il, sont connus de tous et servent des agendas locaux et régionaux», reprenant à son compte la thèse de la «main étrangère», arme efficace pour étouffer toute révolte dans l’œuf. Durant tout son règne, Ben Ali accusait le même Ghannouchi de rouler pour des officines secrètes qui, à partir de pays «hostiles», œuvraient à semer le chaos dans le pays.
Tout comme son ennemi d’hier, Gaïd Salah ou encore Donald Trump, ces derniers jours, le dirigeant d’Ennahdha accuse, lui aussi, des «putschistes» et des «anarchistes» qui «mènent des campagnes subversives», appuyés par des «médias étrangers suspects qui inventent des protestations en Tunisie». Preuve, selon lui, que la Tunisie «fait face à un projet de sabotage». Toujours sur le même ton inquisiteur, Rached Ghannouchi, qui appelle à «respecter les règles constitutionnelles et légales strictes», dénonce le «désordre» et «l’atteinte à l’ordre public», estimant que l’Etat «doit sévir contre le désordre».
Les Tunisiens qui réclament la dissolution du Parlement sont accusés de «distiller des mensonges» et de «semer la discorde». Ce que Ghannouchi «rejette» avec vigueur car «ces pratiques doivent être condamnées et blâmées», martèle-t-il, en abondant dans le sens de la question d’Al-Jazeera dont il appuie le «constat» selon lequel «des cercles politiques essayent de répandre le chaos», lesquels cercles «sont encouragés par des puissances étrangères et des pays du Golfe qui vouent à la révolution tunisienne et au mouvement d’Ennahdha une grande animosité». C’est que le Qatar, par le truchement de son média de propagande, en profite pour régler ses comptes avec le frère-ennemi émirati. «En effet, [ce que vous dites] est plus que jamais établi», répond, concédant, le leader des Frères musulmans tunisiens qui s’en prend à nouveau à des «médias suspects qui mènent des campagnes subversives aux fins de diabolisation».
Dans le pur mode impératif à la Gaïd-Salah, Rached Ghannouchi menace : «Que tout le monde sache que notre pays est prémuni contre les forces de la réaction et les partisans du chaos et du contournement de la légitimité !» Puis, il tend la carotte : «Le plus important est cette conscience de la jeunesse convaincue par la nécessité d’adhérer à la pratique politique civique et pacifique, loin des plans de destruction et du désordre.»
Une pâle copie des laïus brouillons de Gaïd-Salah, mais dans un langage plus soutenu, ironisent certains.
A. S.
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