Comment Tebboune compte reconstruire les relations algéro-françaises
Par Mounir Serraï – Le président Abdelmadjid Tebboune enchaîne ces derniers mois des communications téléphoniques avec son homologue français et multiplie les entretiens dans les médias de l’Hexagone. En effet, depuis deux mois, pas moins de trois entretiens ont été accordés par le chef de l’Etat à la presse française, écrite et audiovisuelle. Après Le Figaro, France 24, c’est dans L’Opinion qu’Abdelmadjid Tebboune aborde à nouveau les relations algéro-françaises, livrant ainsi sa vision des choses et exprimant sa volonté d’œuvrer à leur reconstruction sur des bases solides.
Dans sa nouvelle stratégie de reconstruction des relations bilatérales avec la France, Abdelmadjid Tebboune compte beaucoup sur le président français, Emmanuel Macron, avec lequel il semble bien s’entendre. «Emmanuel Macron appartient à une nouvelle génération. Au moment de l’indépendance, il n’était pas né et il n’a jamais été en accointance avec les lobbies anti-algériens. Il a reconnu que la colonisation est presque aussi dramatique que la Shoah», affirme le président Tebboune dans son entretien paru aujourd’hui dans le journal français L’Opinion sous le titre «Alger-Paris : les vérités du président algérien».
Tebboune insiste dans toutes ses sorties médiatiques sur le fait que son homologue français est mu d’une bonne volonté de mettre sur de nouvelles bases les relations algéro-françaises. Mais il ne cesse de relever qu’il y a bien des «lobbies anti-algériens» qui cherchent à entraver cette bonne entente et empêcher les deux pays d’asseoir une nouvelle base de coopération, en réglant de manière définitive la question mémorielle. «Le président Macron doit lutter contre le parasitage de lobbies minoritaires mais très dangereux qui essaient de saper son travail, notamment des personnes revanchardes connues pour leur anti-algérianité», souligne Tebboune.
Pour que les relations algéro-françaises soient totalement dépassionnées, il faudra, comme le veut le président Tebboune, régler le contentieux. Et il ne s’agit pas, pour lui, de «mimétisme» par rapport à ce qui se fait ailleurs. Se voulant rassurant sur l’histoire des compensations matérielles qui suscitent hésitation et crainte du côté français, Abdelmadjid Tebboune écarte toute exigence de compensations matérielles. Pour lui, les Algériens «tiennent beaucoup plus à la reconnaissance de l’Etat français de ses actes qu’à une compensation matérielle». Cela hormis celles relatives aux essais nucléaires, qui ont laissé des séquelles encore vives pour certaines populations, notamment atteintes de malformations. Aussi s’agit-il pour Tebboune du traitement de certains sites contenant encore une forte charge radioactive.
Le président Tebboune, qui semble avoir profondément étudié la question mémorielle avec son homologue français, affirme sa volonté d’en finir avec la question de colonisation qui envenime les relations entre les deux pays et entrave leur développement pour le bien des deux peuples. En cherchant à dépasser ces problèmes de mémoires, Abdelmadjid Tebboune aspire ainsi à faire avancer les relations bilatérales avec beaucoup de sérénité. Si la France a perdu sa place de premier fournisseur de l’Algérie, cela n’est absolument pas irréversible, souligne-t-il. «Nous avons aussi une très forte communauté en France que nous voulons également servir et préserver», martèle-t-il. Il n’est donc pas question de remettre en cause ces relations mais de les renforcer en dépassant la question mémorielle à travers la reconnaissance de l’Etat français de ses crimes coloniaux. Ce qui n’est cependant pas une mince affaire quand on sait que les lobbies évoqués par Tebboune ont toujours de l’influence assez significative au sein de la classe politique française et ils pourraient, de ce fait, bloquer toute démarche dans le sens du président Macron.
Mais pour Tebboune, les relations avec la France demeurent tributaires du dépassement des problèmes mémoriels. Elles ont toujours été tendues et tumultueuses à cause de la charge historique et des pressions des lobbies des deux côtés.
Pour montrer sa bonne volonté d’aller de l’avant, le président Tebboune insiste sur le fait que l’Algérie est incontournable pour la France, comme la France l’est pour l’Algérie. Le destin des deux pays reste donc lié. Il faudra juste arriver à aplanir les différends historiques dans la sérénité.
Le président Tebboune va-t-il pouvoir régler la question mémorielle avec son homologue français ? Possible, surtout lorsque l’on sait que Macron avait qualifié durant sa campagne électorale les crimes coloniaux de crimes contre l’humanité. Emmanuel Macron pourrait donc faire un autre geste fort.
Côté algérien, Abdelmadjid Tebboune devra faire face aux «lobbies» anti-français qui sont aussi puissants, notamment au FLN et dans le courant islamiste (qui obéit à des lobbies étrangers, arabes et turcs). On voit la campagne incessante que mène depuis des mois Abderrezak Mokri, très proche de la Turquie d’Erdogan, qui a d’importants intérêts économiques et commerciaux à défendre en Algérie.
M. S.
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