Une contribution de Saadeddine Kouidri – De la magie à l’idéologie

Par Saadeddine Kouidri – Des musulmans font la guerre à d’autres musulmans. Est-ce à dire qu’il y a deux islams ? A la question, Hussein Mroué répondait juste avant de se faire assassiner par le sionisme en 1987 : «Il n’y a pas deux islams différents, mais il existe des positions idéologiques différentes dont l’appartenance de classe de ceux qui les professent.»

Posons-nous la question : quelle est l’idéologie des Frères musulmans ? Nous savons que cette association est née en 1928 en Egypte et son fondateur, Hassan El Benna, l’étendait aux «frontières nationales définies par la foi et non par les limites géographiques». Elle soutint la Révolution égyptienne du 23 juillet 1952 jusqu’au moment où cette dernière élabora son programme de transformation sociale dont la révolution agraire. Suite à cela, elle s’opposa au programme du gouvernement égyptien et particulièrement à la révolution agraire, y compris par le terrorisme. Depuis l’opposition politique au nom de l’islam contre les jeunes Républiques arabes se confond avec la pratique de l’idéologie libérale, envers les pays ex-colonisés, celle du capitalisme qui s’étend comme ils disent aux frontières de la foi, comme si des assassins de femmes et d’enfants ou ces pilotes chrétiens et juifs qui bombardent Gaza, pouvaient en avoir.

Nous savons, malgré la falsification de l’histoire par le pouvoir, que les islamistes algériens adhéreront tardivement à la lutte de libération et qu’ils ne pouvaient, donc, en être ni les initiateurs ni les dirigeants. Ils s’opposeront au lendemain de l’indépendance au régime en place lorsqu’il optera pour l’option socialiste dont le point d’achoppement est la réforme agraire, y compris par le terrorisme comme les Frères musulmans en Egypte.

On peut donc affirmer que l’islam politique s’oppose au «cadre des principes islamiques» dont parle la déclaration du 1er Novembre puisqu’elle précise en plus que «l’Etat souverain» est «démocratique et social» avec «le respect de toutes les libertés fondamentales sans distinction de race, ni de religion». Que serait la liberté sans la terre à ceux qui la travaillent et quel serait ce respect, pour soi-même et pour les autres, quand la première loi sur la nationalité impose l’islam comme religion au citoyen ?

Aujourd’hui, après plus de 58 ans d’indépendance et plus d’un an de Hirak, nous avons à la tête de l’APN un islamiste et, en sus, au moment même où le pouvoir élabore une nouvelle Constitution ! Si on doit juger les hauts responsables, c’est sur ce volteface ou la corruption n’en était que l’instrument pour endommager l’Etat démocratique et sociale. La grande corruption était entamée lorsque le révolutionnaire a été muté en moudjahid ou le faux, plus nombreux, damait le pion au vrai, jusqu’à culpabiliser Mellouk qui, lors de son inspection officielle, avait dénoncé des juges faussaires et leurs affiliés !

Si le mouvement du 22 Février a mobilisé une grande partie du peuple, il n’a pas su transformer ce mécontentement en force matérielle pour un changement capable de compléter celui du 1er Novembre. La principale raison à cela est dans la présence d’un ennemi déguisé sous d’autres oripeaux, vociférant et clamant même la démocratie qu’il qualifiait de «kofr». Une démocratie qui exclut la liberté des femmes et du paysan. La silmiya cachait un loup pour le faire entrer dans la bergerie, au dam des démocrates.

La lutte entre l’option d’une République démocratique et sociale et une République antidémocratique n’a pas cessé depuis le 1er Novembre 54 et bien avant pour tout citoyen conscient de l’enjeu politique national.

La lutte des citoyens au quotidien ne fait pas la Une des journaux mais remplit certainement les pages des PV des polices dont les états-majors se sont fixé comme ennemi les démocrates et non les islamistes, malgré leur lutte contre le terrorisme.

C’est la mise en pratique de la réconciliation, celle de s’allier avec l’ennemi mortel de la République, qui a mené deux anciens Premiers ministres, des ministres et des généraux, dont le chef des services de sécurité, en prison.

Dans l’immédiat, l’absence de discernement des deux idéologies permet la fatwa qui va à l’encontre des mesures barrières au moment où Abdelmadjid Tebboune parle de l’islamisme politique au passé quand il s’agit de l’Algérie ! «L’islam politique est présent depuis plus de trois décennies dans la région. Nous sommes bien placés pour en parler après en avoir subi les conséquences dans les années 1990», dit-il au journal français L’Opinion le 13 juillet 2020 dans une interview en parlant du Sahel, tout en complétant, à juste titre, que «la lutte contre le terrorisme est légitime. Mais les solutions militaires n’ont jamais été idoines et pérennes». Le moins que l’on puisse dire est qu’il ne joint pas l’acte à la parole puisqu’il permet les fatwas d’un ministère de la République et un islamiste à la tête de l’APN !

Dans cette même interview, il informe que pour un travail mémoriel avec la France,  c’est Benjamin Stora qui a été désigné et le 19 juillet, lors de sa rencontre avec la presse, il nous informe de la nomination d’Abdelmadjid Chikhi.

Et si au lieu de ces deux responsables, le premier au Musée de l’émigration en France et le second comme directeur général des archives en Algérie, le politique corrigeait au préalable l’intitulé de l’histoire en question. Macron, à juste titre, affirmait ce 10 juin que «la guerre d’Algérie reste un impensé». Il a grandement raison car, comment peut-il en être autrement quand on veut écrire sur la cause et non sur le sujet qui fait l’histoire ? Le sujet, est la Lutte de libération nationale, intitulé par la colonisation en 1954 «Evénements d’Algérie» et par la suite de «Guerre d’Algérie». Certains ont adopté l’intitulé. Après des milliers de pages écrites sur leur «Guerre d’Algérie», voilà que des années après, de jeunes communistes français, un 19 mars 2012, commémorant le 50e anniversaire de la Victoire, se posent la question : pourquoi la «Guerre d’Algérie» ? L’intitulé «Lutte de libération de l’Algérie» aurait tari la question.

L’intitulé «Guerre d’Algérie» est comme un acquis pour les démocrates après celui d’«Evénements d’Algérie» qui sévissait. Il devient une arme dans la guerre des mémoires et se consolide jusqu’à transformer ce faux en vérité. Il est temps aujourd’hui de corriger en qualifiant ces «événements» de Révolution algérienne. Tous les anticolonialistes s’y retrouveront et ils ne sont pas tous algériens mais français aussi parmi d’autres nationalités. Un nombre infime, certes, mais cette solidarité est précieuse, comme le sont tous les actes révolutionnaires. Sans cette correction au préalable, l’écriture tendra vers le roman qui, pour la France, est dans cette sentence : «Nous avons colonisé l’Afrique et nous l’avons décolonisé.» L’histoire est constituée de faits, et le fait saillant est cette victoire des anticolonialistes sur le colonialisme français que l’autorité française refuse. La déclaration de Stora est comme un aveu lorsqu’il affirme que l’islamisme est un courant politique, sans préciser que c’est un courant intégriste. Pour ces gens-là, même le 5e mandat ne les dérangeait pas. Il a quitté l’Algérie quand nous étions «Français musulmans» il aspire presque à nous voir «Algériens musulmans», comme le souhaitait son ancien président Mitterrand.

L’absence de distinction entre les idéologies par la majorité des citoyens relève d’un mal profond qui remonte à la nuit des temps. Cette confusion est entretenue par de grands médias et par tous ceux et celles qui sous-estiment la lutte des idées, et qui affirment que c’est la lutte dans le secteur économique qui prime sur le politique. Ce qui est souvent faux, et l’exemple du Hirak contre le 5e mandat, à l’instar des grandes manifestations, dont celles du 11 Décembre 1960 et du 5 Juillet 1961 dans l’Algérois, l’attestent.

Sans remonter au temps des Pharaons qui pratiquaient le hiéroglyphe pour dissimuler le savoir, on perçoit aujourd’hui plus que jamais que ce que diffusent les médias 24 h/24 est dominé par le mensonge. Un mensonge perpétué sous la forme de magie, de sorcellerie, d’idolâtrie, de mythe, de superstition, d’illusion qui parvient souvent à aliéner les gens jusqu’à leur faire croire que leur ennemi objectif peut être leur allié et, parfois même, leur protecteur !

La désaliénation des consciences devient primordiale pour les démocrates car les médias du pouvoir et de l’opposition ne diffusent que de l’idéologie. On comprend que si le travail de la gauche est immense, il reste que l’internet y pourvoit. Il y a même ceux qui prennent comme exemple «l’initiative du gouvernement d’Allende (assassiné le 11 septembre 1973) d’utiliser la technologie Cybersyn à distance pour contrôler l’économie de tout le pays en temps réel». Une économie planifiée qui fait front au chômage, aux maladies, aux catastrophes naturelles. Cette initiative relève d’une politique post-capitaliste.

La religion comme idéologie qui remonte à la nuit des temps. Cette éternité en a fait une superpuissance matérielle aux mains du clergé juif, chrétien ou musulman. En sus des plus puissants comme Trump et Netanyahu qui sont comme les gourous des évangélistes.

En sous-estimant cette superpuissance, la société politique influencée par la gauche est tombée dans l’économisme, d’où le Mouvement citoyen a réussi à lui frayer la sortie en Algérie comme contribution importante au changement de la société. On peut d’ores et déjà affirmer que la gauche des pays «musulmans» a été idéaliste, au moment où la réaction était matérialiste, de l’indépendance jusqu’au Hirak. L’idéologie est toujours réactionnaire, et il incombe à la gauche de la mettre à nu, à la démystifier. C’est ce que le peuple a entamé massivement et pendant plus d’un an en occupant la place publique depuis le 22 février 2019, un vendredi.

S. K.

Comment (4)

    Lazizi
    1 août 2020 - 21 h 01 min

    C’est à dire ? Mr Kouidri.

    lhadi
    1 août 2020 - 18 h 30 min

    Ce qui importe, au jour d’aujourd’hui, c’est de regarder finement les facteurs qui indiquent une catastrophe à venir.

    La situation est telle que nous devons semer l’alarme sur la nécessité de trouver un équilibre entre impérative sanitaire et économique.

    Le contraire contribuerait à hypothéquer l’avenir de la jeune nation algérienne et in fine celui du citoyen.

    Fraternellement lhadi
    ([email protected])

      Wallah
      2 août 2020 - 14 h 30 min

      Il nous faut de bons vrais contrôleurs des conditions de signatures de contrats (corruption).
      Les hommes intègres honnêtes se font rares de nos jours;
      Nous avons trop de ceux qui se montrent religieux à coups de Allah dans chaque phrase, mais dans les faits : motus !
      Être ou paraitre là est la réponse !

    Mouilhha
    1 août 2020 - 12 h 53 min

    Merci Kouidri !
    Hélas c’est les hommes qui veulent à tout prix s’accrocher à quelque chose.
    Après, c’est aux plus malins de les utiliser …
    En avant les menaces, peurs, mensonges, promesses, histoires, interprétations de phénomènes non encore compris…

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