La filiale Numilog de Rebrab : leçon d’un capitalisme algérien
Par Kaddour Naïmi – Durant les débats sur le système social algérien le plus convenable, certains préfèrent un système capitaliste, à l’exemple des nations où il domine. L’argument avancé est : ainsi, l’Algérie parviendrait à un niveau de développement économique et de démocratie politique qui garantirait un progrès général. Qu’en est-il en fait ?
Voici un événement qui annonce la caractéristique de ce capitalisme en Algérie.
«Le 30 juin 2020, l’entreprise privée Numilog de Béjaïa, filiale de Cevital, a licencié abusivement trois syndicalistes et sanctionné plusieurs travailleurs pour avoir participé à la création régulière d’une section syndicale. Plus grave, depuis le 9 juillet, l’employeur ferme carrément l’entreprise, suspend la totalité des travailleurs en grève et entreprend de les remplacer, ce qui est interdit par loi. Alors que le peuple algérien se mobilise depuis 17 mois pour faire tomber un régime despotique et faire triompher la justice sociale et la démocratie, Numilog/Cevital fait régner l’esclavage et la terreur à l’intérieur de l’entreprise et viole le droit le plus élémentaire accordé aux travailleurs par la Constitution et le code du travail.
Dénier aux travailleurs le droit syndical, c’est agir contre la volonté du Hirak d’instaurer une véritable démocratie. Dans ce combat inégal, les travailleurs de Numilog qui ont levé l’étendard de la lutte ne peuvent compter que sur la solidarité agissante des travailleurs des autres secteurs et de tous ceux qui militent pour la démocratie. Nous, syndicalistes, travailleurs, retraités et citoyens, qui militons pour la démocratie et la justice sociale, signataires ci-dessous, exigeons la réintégration des travailleurs licenciés et la reconnaissance de leur organisation syndicale.»(1)
Est-ce donc ce modèle capitaliste qui assurerait un développement harmonieux de l’Algérie ? Certains oseraient répondre oui, avec l’«argument» suivant : «Les travailleurs n’ont qu’à accepter les plans de production du patron, sinon qu’ils créent leur propre usine !» laissant sous-entendre qu’ils en sont incapables, et qu’ils devraient donc remercier «celui qui leur accorde de quoi vivre».
Cependant, interdire la création d’un syndicat libre et autonome des travailleurs dans une unité de production, est-ce un signe de démocratie ou, au contraire, de totalitarisme ? Ceux qui reprochent à l’Etat actuel de créer des difficultés à la création de syndicats autonomes, qu’attendent-ils pour faire le même reproche à un capitaliste algérien qui agit comme la pétition le décrit ? Et ne faut-il pas débattre de manière honnête, objective et rationnelle de ce capitalisme ? Les travailleurs y sont considérés non pas comme êtres humains et citoyens, mais uniquement comme marchandise, à utiliser ou jeter en fonction d’un seul critère : le profit financier d’un propriétaire d’un moyen de production, encore faut-il savoir comment il est parvenu à ce statut.
Remercions le patron de Numilog pour la très précieuse leçon pratique qu’il donne au peuple algérien. Pour ce patron, en ce qui concerne son action telle que décrite dans le document évoqué, le plus important n’est pas l’«ethnie» (la solidarité entre Kabyles), ni la religion (la solidarité entre musulmans), ni le patriotisme (la solidarité entre Algériens), ni l’espèce humaine (la solidarité entre êtres humains), mais d’abord le profit financier personnel, par l’exploitation de la force physique de travailleurs. Ce qui démontre ceci : éliminez le profit financier (2), autrement dit la base du système capitaliste, par nature égoïste et rapace, et vous n’aurez plus de problème religieux ni «ethnique», parce que, alors, le système social aurait comme base le triptyque social : liberté, égalité, solidarité. «Utopie !» s’exclameraient certains.
Se libérer de l’esclavage puis du féodalisme furent des utopies qui se réalisèrent. Pourquoi en serait-il autrement pour l’esclavage moderne qu’est le capitalisme, et d’abord de ce capitalisme qui interdit le droit, reconnu par la Charte des Nations unies, dont l’Algérie est signataire, de créer un syndicat pour défendre l’intérêt légitime des travailleurs ?
Encore un aspect à débattre pour édifier une Algérie telle que la souhaitaient celles et ceux qui ont lutté pour son indépendance nationale, et telle que la voudrait quiconque tient à cœur l’édification d’une nation aux valeurs harmonieuses.
K. N.
(1) Document du Comité de solidarité avec les travailleurs de Numilog. La pétition peut être signée en envoyant un mail à : [email protected]
(2) Ceux qui prétendent que le profit financier est dans la «nature» humaine sont soit des idéologues manipulateurs, soit ne connaissent pas convenablement l’histoire réelle de l’espèce humaine.
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